Le Département, en co-portage avec son opérateur ActivitY’, développe des « emplois de transition », en particulier par la clause sociale dans les marchés publics. De quoi redonner des perspectives aux personnes éloignées du travail, par manque d’expérience ou de formation.
Par Nicolas Gomont
À soixante-deux ans, la retraite, Richard Ménard n’est pas en droit d’en rêver. « C’est loin, rien que d’y penser, ça me fiche le cafard… » Sa carrière, longue, si seulement elle était complète, il l’entame en tant que manœuvre bien avant sa majorité. Puis c’est le yoyo entre le bâtiment et la restauration, avant une annus horribilis passée chez lui à tourner en rond. « C’était le gouffre, aussi bien moralement que financièrement, confie-t-il. Je n’ai jamais eu d’emploi stable, mais là… Aucune offre ne m’intéressait. Aujourd’hui électricien, on me proposait des stages de pâtisserie… » En fin de droits, quatre ans que Richard vivait sur son RSA (Revenu de solidarité active, Ndlr) ; et c’est précisément à ce titre qu’il s’est vu proposer un emploi dit « de transition ». Ils étaient plus de 1 300 à en bénéficier comme lui en 2024 ; « un chiffre significatif. » « Cette approche permet aux personnes de se reconnecter au monde du travail, de façon progressive, en étant accompagnées, de se former et de valoriser une expérience récente sur leur CV., explique Ramzi Dali, directeur d’ActivitY’, l’opérateur du Département dédié à la mise en œuvre de sa politique d’insertion par l’emploi. Les emplois de transition prennent la forme de Parcours emploi compétences, de contrats dans les structures d’insertion par l’activité économique (SIAE) et de contrats via les clauses d’insertion dans les marchés publics. »

RETROUVER LA CONFIANCE
Être bénéficiaire du RSA, à condition de s’avérer en recherche d’emploi, répond à un des neuf critères d’éloignement du marché du travail, synonyme d’éligibilité à la clause sociale (obligation pour les prestataires de réserver une part des heures de travail prévues dans le marché aux publics éloignés de l’emploi, Ndlr). Ainsi pris en main par ActivitY’, sur réorientation de France Travail, Richard a pu renouveler son habilitation électrique, passeport exigé pour manier la fée électricité sur un chantier. Et pas n’importe lequel : celui du musée du Grand Siècle à Saint-Cloud. « Je suis fier d’être utile à un tel projet, cela me remet en confiance, une confiance perdue en même temps que mon précédent job… » Administrativement parlant, lui et son binôme Ismaïla Soumare relèvent de l’agence d’intérim Humando, qui les met à la disposition de Satelec, filiale de Fayat, maître d’œuvre. Ce circuit est défini en amont avec l’entreprise retenue par le marché public. Il aurait aussi pu prendre la forme d’un recrutement direct par Satelec, en CDD ou CDI, ou d’une sous-traitance par l’intermédiaire d’une entreprise d’insertion (EI). Les violons accordés, ActivitY’ diffuse le profil de poste recherché auprès de son vaste réseau de partenaires : missions locales, France Travail, CCAS, Espaces territoriaux, etc. Jouant les « facilitateurs », l’agence voit son rôle déborder celui de simple intermédiaire, puisqu’elle assure elle-même la pré-sélection des curriculums vitae ; la décision finale revenant dans le cas d’espèce à Satelec.

ACCOMPAGNEMENT PERSONNALISÉ
Fort de quinze ans d’expérience, qui l’ont conduit à connaître Euro Disney « en large et en travers », on pourrait croire que Richard en connaît un rayon. Il n’en demeure pas moins épaulé dans ses tâches, du tirage de câble au raccordement des pianos de cuisine, à l’unisson d’Ismaïla Soumare, de l’autre côté de la pyramide des âges. Ne percevoir aucune allocation n’a pas empêché cet artisan de moins de 26 ans de voir son profil retenu (le 5e critère vaut pour les jeunes sans qualification et les diplômés justifiant d’une période d’inactivité de six mois à la sortie du système scolaire, Ndlr). Originaire du Sénégal, sans diplôme reconnu en France, il lui tarde de révéler ses ambitions, que cet emploi de transition sert à plus forte raison. « Ce chantier n’est pas intimidant pour moi, je recherchais un défi, dit-il. Pouvoir faire mes preuves me motive, et puis ici, il y a tout pour devenir un électricien complet. » De nouvel arrivant acceptant les missions à la chaîne, ce Français par son père pourrait finir « chef de chantier », avant « d’ouvrir sa propre boîte de sous-traitance d’ici dix ans ». Leur contrat à la semaine chaque fois renouvelé, les deux compères en électricité pourraient être, sans transition, CDIsés à l’issue de leur période d’essai. Deux success-stories qui donnent la preuve par l’exemple que « nul n’est inemployable ». Suivant ce mot d’ordre, le Département, qui finance l’allocation du RSA, adapte son action de réinsertion aux attentes et aux besoins de ce public cible. « Le retour à l’emploi est l’horizon privilégié de tous ses bénéficiaires, souligne le président Georges Siffredi, et tous ont le droit à un accompagnement de qualité et adapté à leur situation. L’ambition collective doit être de révéler les envies, les compétences et l’énergie des personnes en insertion, en leur permettant de devenir acteurs de leur parcours. » Signataire avec l’État de la « Convention insertion, emploi et perspective » en 2024, la collectivité, qui détient une connaissance fine des publics des solidarités, développe et déploie son propre Programme départemental d’insertion (PDI).
À DURÉE INDETERMINÉE
Il s’agit de répondre, d’une part, aux besoins des personnes en recherche d’emploi ou en reconversion et d’autre part, aux besoins de recrutement et de développement des compétences émanant des acteurs économiques. « En effet, les filières en tension sur lesquelles nous travaillons ont d’importants besoins en recrutement, malgré les incertitudes conjoncturelles », souligne le directeur d’ActivitY’. Le deuxième volet de ses prérogatives repose sur sa plateforme métiers, destinée à promouvoir les emplois dans des secteurs en tension confrontés à une pénurie de main-d’œuvre, comme dans les secteurs liés à l’autonomie, le logistique ou encore le bâtiment. « Ainsi, l’agence travaille à la question de l’attractivité des métiers et met en place des programmes de formation continue ou des parcours de professionnalisation pour permettre aux candidats de répondre aux attentes des employeurs. » S’il est le principal, le manque de qualification n’est pas l’ultime obstacle à l’embauche. Raison pour laquelle les parcours s’appuient également sur la levée préalable des « freins périphériques » (problèmes de santé, de mobilité, de garde d’enfants…). L’emploi permet à la diversité de ses bénéficiaires – allocataires du RSA on l’a dit, mais aussi personnes handicapées, seniors au chômage, réfugiés… – de gagner en stabilité, autant qu’il est une manière de redonner enfin à ces personnes, au parcours souvent accidenté, une dignité. Payé à la tâche dans le bâtiment, Mohammad Jawad Shafeey rentrait chaque soir sur les rotules, balloté de foyer en foyer pour expatriés. De là, il tombe malade, la faute à l’insalubrité. Réinséré par le Département comme Richard et Ismaïla, ce natif des champs afghans s’épanouit depuis 2023 comme agent d’entretien au parc départemental André-Malraux, à Nanterre. « J’y ai appris à travailler la terre, tailler, désherber, souffler… Tout ce que je sais faire. » Au terme d’un accompagnement de deux ans – durée maximale et généralement suffisante – c’est dans un petit studio tout confort à Sartrouville qu’emménage le jardinier. Avec un peu plus du Smic pour 35 h/semaine, il savoure depuis 2023 son contrat à durée indéterminée. « Ici, le cadre est magnifique, j’aimerais y rester toute ma vie. »
