Confortable et aseptisée, l’ambulance est, plus qu’un moyen de transport, un lieu de soin et d’échanges. CD92/Olivier Ravoire
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SUR LA ROUTE, AVEC LES BÉNÉVOLES DE LA CROIX-ROUGE

Avec son réseau de secours d’urgence, l’association peut prêter main forte au Samu et aux pompiers de Paris, grâce à une flotte d’ambulances renouvelée par le Département.

À bord de Rubis, toutes sirènes hurlantes, les maigres indices friturés à la cibi plongent l’équipage dans l’inconnu. Seule certitude pour Damien, l’as du volant plein gaz sur le pont de Suresnes : il y a urgence à rejoindre la rue Jean-Bleuzen, à Vanves. Dans son sillage, Claude Girardi, président de la Croix-Rouge du 92, doit jouer du klaxon pour ne pas le perdre de vue. « Nos ambulances ont beau être sérigraphiées, le pilote formé, elles ne sont pas considérées comme des véhicules prioritaires… », explique Challenger 92, son nom de code. Quel est au juste l’état de gravité de Magali* sur place ? Débarqués à temps, Élise et ses secouristes sont après elle, étendue mais consciente. « La victime a interpellé une passante, se sentant mal, rapporte Stéphanie à la cheffe d’intervention (CI), en guise de bilan préliminaire. Elle se plaint d’une oppression rétrosternale, comme un blocage dans la poitrine, de fourmillements, d’une tête qui a tourné… » Vigilante, Élise, CI depuis 4 ans, préfère s’en assurer : « Tu l’as chiffrée cette douleur dans la poitrine… ? » Au même moment, Damien peut rester de côté, à charge de baliser le périmètre et d’écarter les curieux avant de brancarder. « Il arrive qu’il y ait des attroupements, un contexte de bagarre…, décrypte Claude Girardi. C’est la mission du conducteur, qui tourne pour que l’expérience ne s’émousse pas. » Les portes arrière claquées, l’examen peut aller plus avant : le mal de la jeune femme – à peine 22 ans – est-il pulmonaire ou cardiaque ? À l’angoisse qui l’étreint, répond une bienveillance qui le dispute au professionnalisme.

 

Permis ambulance en poche, Damien, gendarme à la ville, goûte son rôle d’enquêteur médical.© CD92/Olivier Ravoire

PUPILLES RÉACTIVES

« C’est qu’il faut établir sans s’égarer ou tarder un bilan neurologique (cohérence des propos…), circulatoire (tension…), traumatique (fracture…) et respiratoire (ventilations par minute, oxygène dans le sang…) », explique Claude Girardi, un œil jeté dans le hublot. Magali sourit des deux côtés : pas d’AVC. Magali a craqué sur les bonbons : c’était pour ça, la glycémie ! À la nuit tombée, l’ambulance, bien éclairée et chauffée, est bientôt reliée à la patiente par tout un réseau de « tentacules » : oxymètre au doigt, brassard au bras, ventouses sur la poitrine… « Une tension, s’il vous plaît, il me faut une tension ! ». La cheffe d’intervention supervise étroitement la collecte des mesures, dont l’ECG (électrocardiogramme, Ndlr). Au bout du fil, le médecin du Samu, depuis le centre de régulation du CHU de Garches, attend les éléments pour convenir de la suite à donner. « Les pupilles sont réactives, la fréquence cardiaque à 90 bien perçue… On l’emmène à Saint-Joseph ?! », apprend Élise, qui le répète dans la foulée. « C’est un malaise sans perte de connaissance, sans signe de détresse vitale, résume celle qui est aussi directrice de l’urgence de Boulogne. Après, on n’est pas habilités à interpréter l’ECG, juste à s’assurer qu’il est lisible, sans interférences. On se borne à être les yeux et les oreilles du médecin… » Dans le cas présent, clef du diagnostic, l’ECG embarqué n’a été généralisé qu’en 2020, après que les Hauts-de-Seine ont été désignés pour deux ans « territoire d’expérimentation ».

 

Dans son petit musée, Claude Girardi, président de la Croix-Rouge 92, se montre incollable sur la genèse du secourisme associatif, à partir de 1972.© CD92/Olivier Ravoire

ARRIVÉE EN DIX MINUTES

Créé en 1972 pour suppléer Police Secours, le réseau d’urgence de la Croix-Rouge des Hauts-de-Seine intervient en tant qu’équipe première aux ordres du Smur (Structure mobile d’urgence et de réanimation, Ndlr), sur la voie publique et à domicile. En cinquante ans d’existence, « la confiance a fini par s’installer avec les professionnels, le bénévolat n’étant plus pris pour de l’amateurisme ». Fort de 3 500 volontaires, de tous âges, de toutes conditions sociales répartis en trente unités locales, la CRF du 92 équivaut en nombre d’intervention à un centre moyen de secours de la BSPP (Brigade de sapeurs-pompiers de Paris, Ndlr). « Nous pré-positionnons trente VPSP (véhicule de premier secours à personnes) dans pratiquement toutes les communes, afin d’avoir de la proximité et de la rapidité – la norme, c’est une arrivée en dix minutes maximum. »
Sauver des vies a malheureusement un prix : 70 000 € l’ambulance toute équipée. Sollicité en 2022, le Département a répondu présent par une contribution de 630 000 €, soit neuf unités mobiles dont les missions s’étendent, au-delà du secourisme, à l’action sociale, à la formation et à l’humanitaire. « Le partenariat qui nous lie est le fruit d’une relation de confiance, nouée depuis de nombreuses années », rappelle le président du Département, Georges Siffredi. Quête, vente de muguet, formation aux premiers secours… les bénévoles donnent également de leur personne pour diversifier les fonds.

 

la croix-rouge assure 80 % de la régulation associative.

 

BÉNÉVOLAT DE MISSION

« Cela responsabilise vis-à-vis du matériel et participe de l’attachement à l’association, estime Claude Girardi qui, avec 42 ans d’engagement, ferait presque office d’oiseau rare. On attire énormément les jeunes, puisqu’il suffit d’une formation de 70 heures pour ressentir l’adrénaline de l’ambulance. La nouveauté, c’est l’apparition d’un bénévolat de mission : sitôt l’intérêt évanoui, ils quittent l’association qui porte pourtant d’autres actions… » Fidèle au poste, l’équipage d’Élise a passé le relai à l’IAO, un infirmier d’accueil et d’orientation. Si cela ne tenait qu’à elle, la cheffe d’équipe demanderait des nouvelles, ne serait-ce que pour le retour d’expérience. Plus de peur que de mal, a priori donc, même si les trousses embarquées – kit membres sectionnés, kit brûlure, défibrillateur… – rappellent à l’esprit la tournure, pour sûr dramatique, d’autres sorties. « Les cas les plus impactants ne sont pas toujours les plus spectaculaires, nuance Claude Girardi, citant l’exemple d’un enfant maltraité par sa propre mère. Il y a aussi des réjouissances, comme des accouchements, de plus rares interventions héliportées par la Sécurité civile vers Garches... » Retour « au bercail », rue de Clamart. Par radio, se signale au départ de l’hôpital Béclère Babette, le véhicule de Meudon que nous retrouverons tout à l’heure. Pas le temps de bachoter ses fiches médicales, qu’il faut « décaler ». Avenue Victor-Hugo à Issy, Henriette*, en résidence senior, a décliné la soirée dansante au 2e après un léger malaise. « Mais vous avez une tension de jeunette : 13 et des bananes ! », la rassure Stéphanie, sur fond de scope qui soliloque. L’ancienne boulangère, « gourmande » de son propre aveu, est aussi équilibrée en sucre. Élise préfère explorer la piste des boîtes de médicaments qui jonchent le plan de travail. Aurait-elle sous-dosé la gélule prescrite le matin même par le docteur ? « À part, l’oxygène, nous n’avons aucun médicament sur ordonnance. Nous sommes seulement formés à l’aide à la médicamentation : le patient doit avoir sa dose sur lui. »

 

Défibrillateur, électrocardiagramme, kit accouchement… Tout l’équipement utile au soin ou au diagnostic se trouve à portée de main.© CD92/Olivier Ravoire

DAUPHIN, CASTOR ET SAPHIR

21 h 45. La nonagénaire en tenue du soir sera donc conduite à Saint-Joseph. Presque 23 h, au centre de régulation hébergé à Raymond-Poincaré (Garches). Sur Minutis, un logiciel développé en interne, Mathieu et son collègue Jimmy, Croix-Rouge tatouée sur le poignet, scrutent à l’écran Rubis « au final », autrement dit : toujours en attente aux urgences… Demandés par un ARM (assistant de régulation médical, Ndlr) les deux bénévoles acceptent un délestage du 15, centralisent les informations-patient, puis déclenchent l’ambulance la plus proche. La carte synoptique des Hauts-de-Seine les découpe en cinq secteurs, dont ceux de Dauphin, Castor et Saphir, des collègues à Rubis. « En premier lieu, les appels sont entendus par un médecin, détaille Claude Girardi. En cas d’arrêt cardio-respiratoire, c’est le Smur qui se rend sur place. » Pour un col du fémur fracturé, Babette sera de taille, ensuite orienté vers un hôpital de secteur avec le « plateau technique » idoine – en l’espèce : Beaujon à Clichy, spécialisé en orthopédie. « La Croix-Rouge assure ainsi 80 % de la régulation associative. La convention avec le Samu exige de nous au moins trois camions par soir, la semaine et toute la journée les week-ends, explique Mathieu Lézier. En cas d’urgence, on peut sortir nos trente véhicules à la fois, comme pour l’évacuation de l’Ehpad Saint-Agnès en 2020. » Soudain, un bip entêtant : Bob Dylan a achevé son concert à La Seine Musicale ; le dispositif prévisionnel de secours (DPS) est levé. Cette fois, la Croix-Rouge ne se trouvait pas sur le pont.

Nicolas Gomont

*Les prénoms ont été modifiés.

 

AVEC LE DÉPARTEMENT, UNE ALLIANCE RENFORCÉE

Des maraudes aux espaces bébés-parents, en passant par Croix-Rouge EnsembleS, dont l’objectif est d’identifier, d’accompagner et de rompre l’isolement notamment les personnes âgées, la Croix-Rouge des Hauts-de-Seine est sur tous les fronts, grâce au soutien du Département – plus de 100 000 € en fonctionnement en 2024. Avec le DIS 92, le dispositif d’insertion sociale, les mineurs non accompagnés participaient déjà avec l’association à des activités intergénérationnelles ; leur hébergement lui sera bientôt confié par la collectivité, à Villeneuve-la-Garenne.

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