Pour le Clodoaldien Jean-Baptiste Serot, les moins de trente ans et les plus de soixante ans ont tout à gagner à vivre ensemble. Il a cofondé une plateforme d’habitat partagé, lauréate du tremplin départemental Made in 92.
Àl’image du colombage, alliant bois et torchis, la réunion des générations sous un même toit peut donner des mariages heureux si les fondations sont bonnes. « Passées les barrières, les personnes âgées ont beaucoup à nous apporter. Il y en a de marrantes et de moins drôles, c’est comme partout ! », énonce d’expérience Jean-Baptiste Serot, cofondateur de Colomb’Âge Cohabitation. Plus de soixante ans le séparaient de sa première colocataire, une octogénaire à qui, moyennant un faible loyer, il a rendu de menus services et tenu compagnie pendant son année de prépa. Dans le grand appartement neuilléen, tous deux discutaient de la pluie et du beau temps, des débats de société et de la vie en général. « Je pense qu’elle m’a aidé à prendre du recul sur les choses, son expérience de vie m’a, en quelque sorte, fait gagner du temps ! » Après son déménagement dans une autre ville, l’étudiant a gardé le contact avec cette dame jusqu’à sa mort.
UN PAS VERS L’AUTRE
Cette expérience fondatrice l’a conduit, frais émoulu d’une école de commerce, à quitter en 2023 son premier poste dans une banque d’affaires pour tenter l’entreprenariat solidaire avec trois amis. « J’ai toujours eu cette culture de l’intergénérationnel, dit-il. À Saint-Cloud, nous avions des voisines âgées et très seules ; mes parents m’encourageaient à leur rendre visite. » Son projet rencontre de puissantes réalités sociologiques : selon l’Insee, 1,5 million de 75 ans et plus souffrent d’isolement et la difficulté des jeunes à se loger est notoire. La start-up, lauréate des prix de la création sociale et solidaire et du public lors du dernier tremplin Made in 92, laisse le soin à une IA de traquer la première les convergences à partir des questionnaires remplis sur sa plateforme. « Si un senior aime le foot, nous lui trouverons un jeune qui aime le foot et je mets ma main à couper qu’à 21 h le dimanche ils seront ensemble devant la télé… » En région parisienne, cette cohabitation se double au besoin d’« une maison de retraite à domicile » : auxiliaires de vie recrutés en direct par Colomb’Âge, aide à l’adaptation du logement, à l’informatique… « Les seniors veulent souvent éviter d’aller en Ehpad mais parfois les familles sont découragées par le nombre d’interlocuteurs et ne voient pas d’autre solution. On leur propose de s’occuper de tout. »
SI UN SENIOR AIME LE FOOT, NOUS LUI TROUVERONS UN JEUNE QUI AIME LE FOOT.
SOCLE DE VALEURS
En France, c’est après la canicule de 2003 que ce mode de vie a pris son essor, tandis qu’en 2018 un cadre a été posé par la loi Elan : contrat en bonne et due forme, exonérations fiscales… Colomb’Âge n’invente donc rien mais a mis la solidarité au cœur de son modèle. « Compte tenu de la nature de notre projet, nous voulons garder un socle de valeurs suffisamment fort. Certaines cohabitations à la campagne, par exemple, ne sont pas rentables mais nous tenons à les conserver. » Jalouse de son indépendance, la start-up, hébergée au NeuillyLab après un parcours d’incubation à la Station F puis au Perqo, ne lèvera pas de fonds pour grandir plus vite. Pour les 150 jeunes cohabitants, l’abonnement au service est d’autant plus faible que la redevance du logement est élevée et Jean-Baptiste tient à sa rituelle « tournée » des cohabitations. « On doit m’offrir chaque vendredi une trentaine de cafés et de thés, sourit-il. Pour moi qui viens de la finance, il est important de rester en prise avec la réalité, j’ai été témoin du scandale Orpea, où, pour diminuer les coûts, on a commis le pire. » Il se félicite de voir chaque génération s’épanouir au contact de l’autre. « Notre société a évolué dans son rapport aux personnes âgées. Il faut l’accepter et trouver des solutions. Si ce n’est pas ton petit-fils qui vit chez toi, tu trouveras un autre petit-fils. »