Huitième club labellisé Club des Hauts-de-Seine par le Département, les Mariannes 92 visent la place de numéro un français du volley-ball féminin.
Même quand la chance s’en mêle, il y a loin de la coupe aux lèvres… Philippe Peters le sait, et entend dérober à la patience la recette du succès. « À mon arrivée, en 2019, les dirigeants jetaient l’éponge, ils en avaient assez… », se souvient le président du club, qu’il sauve de la faillite en injectant « en urgence » ses propres deniers. Son attachement au Paris-Saint-Cloud – son nom à l’époque – « se construira ensuite avec le temps… ». Émanation du club de volley de Saint-Cloud et de la section volley du Stade Français, le club monte dès 2004 en Ligue AF – la Ligue 1 du volley féminin – et peut déjà mesurer le chemin parcouru. « Je n’ai jamais connu un début de saison avec autant de victoires en si peu de temps, dit sans triomphalisme la libéro Juliette Gélin, 22 ans. Toutes les joueuses sont portées par la même ferveur et veulent se hisser vers le très haut niveau. » Vice-championnes de France l’an dernier, qualifiées en Coupe d’Europe en échappant aux play-offs, les Franciliennes – seules représentantes de l’élite parmi les clubs de volley-ball des Hauts-de-Seine – espèrent « faire leur trou » à l’échelle nationale comme européenne. « Passées les limites du terrain, j’attends des filles qu’elles soient à 200 %, explique Alessandro Orefice, le très carré coach italien, par ailleurs sélectionneur national de l’Estonie. L’ambition est claire, il s’agit de construire, à moyen terme, le meilleur club français professionnel. » Aller chercher un titre, les Mariannes, leur surnom, en meurent d’envie.
Passées les limites du terrain, j’attends des filles qu’elles soient à 200 %
Deux « ballons d’or »
Mais pas question de confondre vitesse et précipitation. « Il s’agit plus d’une direction à long terme que d’un objectif immédiat », nuance d’ailleurs Philippe Peters. Fraîchement débarqué de Pays d’Aix Venelles la saison dernière – son contrat a été prolongé jusqu’en 2026 -, l’entraîneur principal veut faire prendre le large aux Mariannes avec un vent favorable. Fort d’une relance de l’investissement – 1,7 M⇔ de budget en 2023-2024 –, celui que l’on surnomme « Ale » remet à plat la stratégie sportive du club et commence par muscler soigneusement son staff. Recrutés à temps plein, un entraîneur adjoint, un préparateur physique et un statisticien, capables d’alterner les rôles, commandent une locomotive gagnante, à l’unisson des joueuses à l’effectif passablement remanié. « Le coach n’a pas fait un recrutement en se fondant sur notre seul niveau de volley, mais aussi sur nos personnalités, pour créer la combinaison gagnante, tournée vers le résultat, dit Juliette Gélin, des rêves plein la tête. J’ai toujours été portée par la culture du haut niveau, depuis que je suis petite, je veux participer aux JO. » Double détentrice du trophée MVP (Most Valuable Player) – le « ballon d’or » de la Ligue de Volley – la libéro bataille en parallèle pour arracher sa sélection en équipe de France. « Nos joueuses ont aussi des visées nationales », reconnaît le club qui, bien conscient, assure les « accompagner » dans cet autre volet de leur carrière. Au total, les Mariannes 92 dénombrent quatorze titulaires, parmi lesquelles dix joueuses aguerries sous contrat professionnel. Un contingent « soudé » en provenance de toute la planète volley (Finlande, Argentine, Serbie, Canada…) : « si l’on veut jouer le tableau, c’est un impératif, la concurrence est au minimum européenne, explique Fabien Lagarde, entraîneur du centre de formation des Mariannes 92, soutenu par le Département. Le recrutement au centre se fait en fonction des besoins de l’équipe professionnelle, en privilégiant la base locale, puisqu’il faut doubler, voire tripler les postes de l’équipe première. »
Musculation et cryothérapie
Contrairement aux autres centres de formation, la formation, dispensée sous le format du sport-études, y est gratuite et même rémunérée, à raison de 600 ⇔ mensuel environ. Championnes de France des moins de 21 ans, un titre que les Mariannes ont décroché à quatre reprises, quatre pépites issues de ses rangs figurent dans l’équipe réserve cette saison, sous convention du centre de formation. « Faire partie de l’équipe pro permet d’élever son niveau, souligne Cyrielle Depie, à 16 ans la benjamine de l’équipe. Pendant les entraînements, on met en scène cette petite rivalité avec les joueuses les plus expérimentées, en espérant pouvoir, un jour, leur succéder. » Dans une émulation intergénérationnelle, toutes s’entraînent d’arrache-pied sans ménager leurs « week-ends et jours fériés ». « Les entraînements se déroulent tous les jours, souvent deux fois par jour, précise Juliette Gélin. Bien sûr on a du temps libre, même si on vit un peu à contre-temps des gens « normaux »… » Conformément à son playbook – le conducteur de saison – la préparation physique varie selon les sites disponibles. À la salle de musculation du centre aquatique de la ville, les séances de mobilité et d’explosivité – sans oublier quelques prophylactiques sessions de cryothérapie, à moins 150°C ; au Palais des Sports de Levallois le rodage des side-out, block-defense, spin et autres services-recep flottants, propulsés d’un uppercut cinglant par un membre du staff ou par l’électrique lanceur de balle. Au sol, le parquet de Marcel-Cerdan se couvre préalablement d’un revêtement polyvalent avec les marquages aux dimensions règlementaires d’un terrain de volley – neuf mètres de large pour 18 mètres de long.
Un calendrier chargé
Son déploiement, comme son retrait, nécessite toute une logistique, que le club délègue à un prestataire. D’un investissement de « plusieurs milliers » d’euros, il est l’ancienne propriété et « dot » du Levallois Sporting Club (LSC), créé en 1983 et marié à l’été avec les Mariannes. « Cela faisait quatre ans que nous cherchions à monter en gamme, pour ce qui était de nos infrastructures notamment », se souvient le président du club, autrefois replié sur le vieillissant stade Géo-André, situé Porte de Saint-Cloud à Paris. Un temps dans l’impasse, le club engage début 2023 des pourparlers avec la mairie de Levallois-Perret, par l’entremise du LSC. Des premiers signes d’engagement sont donnés… a fortiori après l’annonce de la relégation du club levalloisien, à la suite de quoi son équipe professionnelle, une saison en Ligue AF plus tard, disparaît. Et c’est juché sur leurs trottinettes que les Clodoaldiennes, hébergées à deux pas résidence Casa Barbara, occupent depuis le Palais des Sports Marcel-Cerdan à Levallois. L’équipement est pourvu d’un vestiaire à leur nom et d’une salle de manipulation médicale, fréquentée au besoin par une médecin ou le kinésithérapeute du club. Camp de base des Metropolitans 92, autre Club des Hauts-de-Seine, le stade omnisports inauguré en 1992 croule sous les sollicitations : rencontres de basket, tournois de MMA et autres événements surchargent le calendrier des entraînements et compétitions à domicile. Pas de quoi entamer la détermination de la capitaine et enfant de la balle Karin Palgutowa, dont le père est entraîneur de volley-ball dans sa Slovaquie natale : « c’est la vie de joueuses professionnelles, on apprend à surmonter ces périodes exceptionnelles. »
Un capteur de performances
Face à la révolution technologique qui a frappé sa discipline, le club, désormais Levallois-Paris-Saint-Cloud, a saisi la balle au bond et dispense trois séances de coaching vidéo par semaine. Dans l’atmosphère obscure et studieuse de la salle de presse, l’entraîneur adjoint pointe à grand renfort d’archives vidéo les forces et faiblesses de leurs prochains adversaires. En l’espace de vingt à trente minutes, sont décortiqués chaque geste technique, chaque feinte, chaque coup de maître et les parades à leur opposer pour ne pas tomber dans leurs rets. Autre outil indispensable à la performance, les statistiques recueillies par un capteur de performances – une « Vert » dans le jargon – que chaque joueuse dissimule à la ceinture. « L’outil calcule, du début à la fin de la saison, le nombre de sauts effectués mais aussi leur hauteur moyenne, explique Aly Agamyradov, le statisticien, qui compile toutes ces données dans son tableur encrypté de complexité. Il s’agit de suivre, par les chiffres, la progression de chacune. » La science de l’ingénieur vient ainsi confirmer ou infirmer le ressenti humain de chaque joueuse, au service de la performance individuelle mais pas seulement. « Le volley est en train de devenir un sport spectacle, explique Juliette Gélin, et c’est aussi à nous, de rendre les confrontations plus magiques pour le public, tenter des coups que l’on ne voit pas souvent… » L’enjeu est d’attirer dans les gradins le public de Levallois et au-delà : « l’engouement que suscite aujourd’hui le sport féminin peut faire boule de neige. À nous d’impressionner le public francilien, notamment les jeunes, et les potentielles entreprises partenaires, par la dramaturgie, la beauté et la force de notre sport », souligne Philippe Peters. Avec au moins quatre rencontres pour le seul mois de janvier, dont les huitièmes de finale de la Coupe de France, leur agenda, chargé, leur laisse autant d’occasions de briller.
Nicolas Gomont
