Deuxième artiste en résidence de création au musée départemental Albert-Kahn, Fabien Ducrot travaille les Archives de la Planète avec les outils du XXIe siècle.
Pour son projet des Archives de la Planète, Albert Kahn envoyait photographes et cinéastes, aux techniques encore balbutiantes dans ce premier tiers de XXe siècle, fixer un état du monde avant sa disparition. Le temps a passé, il a effacé ce monde d’avant dont il ne demeure que des images. Pour l’exposition Matière et mémoire, jusqu’au 24 mars dans la salle des Plaques du musée à Boulogne, le plasticien Fabien Ducrot s’est servi des 72 000 autochromes numérisées pour « nourrir » des outils d’intelligence artificielle générative, avant de les guider dans un double processus : soit la création d’une image nouvelle aux teintes de la nostalgie, soit une image de l’époque augmentée par l’intervention, parfois visionnaire, parfois trompeuse, de la machine. Au-delà de la beauté spectaculaire du résultat, le plus passionnant est peut-être le parallèle qui peut se faire entre le début du XXe siècle et le début du nôtre quant à la métamorphose du rôle des artistes. Lorsque la photographie couleur a su documenter le monde, les peintres se sont, plus ou moins consciemment, libérés de cette tâche, de nouvelles visions artistiques ont alors pu apparaître, inimaginables auparavant. Malgré la peur qu’ils engendrent, souvent irrationnelle, les outils d’intelligence artificielle, en s’attachant à des techniques de fabrication toujours dirigées par l’homme, ne sont-ils aussi parfois pas en train de libérer l’artiste des tâches et de le conduire ailleurs ?
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