Claire Florette est responsable du pôle transition énergétique de l’Ademe Île-de-France, l’agence de la transition écologique. Selon elle, un déploiement massif des énergies renouvelables est soutenable, à condition de lui associer sobriété et efficacité énergétiques.
Derrière le mille-feuilles de textes normatifs, quel objectif se cache pour la France en matière de transition énergétique ? Existe-il une déclinaison régionale ?
CF À l’échelle nationale, la France ambitionne d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Pour y parvenir, diversifier notre mix énergétique avec des énergies renouvelables et de récupération (EnR&R) ne sera pas suffisant ! Sans sobriété et sans efficacité énergétiques, la France devrait en mobiliser une telle quantité que leur déploiement en serait rendu très difficile. Mais des efforts sont déjà tangibles. Au niveau local, le Schéma régional climat air énergie (SRCAE) – actuellement en cours de révision – fixait à l’Île-de-France un objectif de réduction de consommation de 20 % par rapport à 2005. Avec 180 Térawatt/heure (TWh) d’énergie finale consommée en 2020, notre région a presque atteint sa cible, avec une baisse de 17 % enregistrée. En termes de production, la région couvre près de 10 % de ses consommations avec des EnR&R locales, avec 85 à 90 % sous forme de chaleur, mais n’atteint pas la cible qu’elle s’était fixée en 2012 de doubler la production d’EnR&R sur son territoire par rapport à 2009, c’est-à-dire d’atteindre l’objectif de 26 TWh d’EnR&R en 2020.
Des dispositifs d’investissement et d’accompagnement publics tentent d’encourager la dynamique. Votre agence possède d’ailleurs son propre levier…
CF Il s’agit du Fonds chaleur de l’Ademe, un dispositif issu du Grenelle de l’environnement et doté de 820 M⇔ cette année. Son budget, en constante augmentation, permet de financer des études de prospection et de conception, d’accorder des subventions d’investissement et de multiplier les relais sur le terrain pour accompagner les acteurs du renouvelable, et notamment la filière des réseaux de chaleur et de froid urbain (des équipements capables de produire climatisation et chauffage collectifs, Ndlr). Nos subventions sont conditionnées à l’élaboration d’une stratégie d’optimisation des gisements locaux par le porteur du projet, qu’il s’agisse d’une commune, d’un syndicat d’énergie ou d’une entreprise privée. Pour l’agence, il s’agit d’éviter l’accaparement d’une ressource par un seul acteur, alors qu’une alternative ou qu’un partage est possible.
Le grand public méconnaît les énergies de récupération. Leur rendement relève-t-il du symbolique ?
CF L’Ademe recense quatre filons de récupération de chaleur : les data centers, les usines d’incinération de déchets, les sites industriels et les eaux usées. En Île-de-France, une étude a évalué le potentiel valorisable à 6 600 GWh/an, et le potentiel sur une trentaine de projets déjà identifiés à 900 GWh/an, soit un peu plus de 5 % de la production actuelle de la région. Cela peut sembler faible, mais des data centers, jusqu’ici complexes à localiser et à mobiliser, continuent de se développer. Reste un écueil fragilisant le retour sur investissement : leurs exploitants ne peuvent pas systématiquement s’engager à livrer, sur le long terme, une quantité constante de chaleur…
Historiquement, le bassin parisien se distingue par son potentiel géothermique. Reste-t-il des gisements à ce jour inexploités ?
CF Certaines nappes, à l’image du Dogger, commencent à saturer. Mais d’autres aquifères (couches géologiques contenant une nappe d’eau souterraine, Ndlr) demeurent à explorer – citons le Lusitanien – ou plus en profondeur – le Trias. Une étude vient justement d’être lancée, avec pour périmètre d’exploration l’Ouest francilien. Une campagne d’acquisition sismique va améliorer notre connaissance de ce sous-sol et sécuriser les explorations à venir. Aux acteurs de la filière de se saisir des données qui seront rendues publiques, et notamment les collectivités territoriales, compétentes en matière d’énergie. Celles-ci ont un rôle déterminant à jouer dans le verdissement de la fourniture en chaleur de leur patrimoine, mais aussi de celui des bailleurs sociaux, des entreprises locales ou des copropriétés sur leur territoire…
Il faut garder à l’esprit que toute énergie, quelle qu’elle soit, a une incidence sur l’environnement.
En matière d’EnR&R, le maillon faible de la filière française semble être la formation professionnelle dans des métiers encore à créer…
CF On constate en effet un manque de savoir-faire et, donc, un besoin de formation dans certains métiers en tension, comme celui des foreurs dans le secteur de la géothermie. Par ailleurs, les opérateurs énergétiques qui exploitent et assurent la maintenance des chaufferies fossiles et énergies renouvelables sont confrontés au défi de l’attractivité de notre région pour ce type de professions, dont le salaire ne s’avère pas toujours en adéquation avec les contraintes du métier. Un frein sur lequel l’Ademe n’a aucune prise…
Les EnR&R vont-elles faire fondre la facture énergétique des ménages, alors qu’elles réclament d’importants investissements ?
CF Le prix de l’énergie constitue un sujet de préoccupation pour l’agence chaque fois qu’elle finance des projets de chaleur renouvelable. Notre subvention est même orientée vers la diminution de la facture, mais la problématique des tarifs énergétiques relève également des communes qui, pour certaines, affichent une politique volontariste en la matière et compensent le surcoût induit par l’usage d’une énergie plus respectueuse de l’environnement. Retenons que les EnR&R apportent surtout une certaine stabilité des prix pour l’usager et une source d’emplois non-délocalisables.
Les énergies renouvelables sont-elles sans impact sur l’environnement ?
CF Des efforts technologiques ont été réalisés : le recyclage des panneaux solaires – qui contiennent une importante quantité de métaux rares – atteint aujourd’hui 95 %. Mais il faut garder à l’esprit que toute énergie, quelle qu’elle soit, a une incidence sur l’environnement. Notons toutefois que la perception de l’impact des énergies renouvelables, citons les éoliennes sur ce point, peut être biaisé parce que ces technologies supposent une production locale. La pollution induite par l’extraction d’énergies fossiles, largement importées, s’avère loin de notre champ de vision et donc, de nos préoccupations…
Comment obtenir l’adhésion des populations ?
CF Le déploiement des énergies renouvelables ne peut pas se faire contre les populations ! De plus en plus de projets citoyens se développent d’ailleurs en France, dans le photovoltaïque, l’éolien et plus rarement dans la chaleur renouvelable. D’après une étude, les retombées économiques locales sont deux à trois fois plus élevées que pour des projets portés par des développeurs privés. Soucieuses d’embaucher une main d’œuvre et d’utiliser des matériaux locaux, ces initiatives permettent aux citoyens de se réapproprier les questions d’énergie, permettant au passage une montée en compétences et une prise de conscience des enjeux.