Un concours invite les élèves à s’approprier cette technologie, en réalisant une vidéo à 360°. Les participants défendront leur projet lors du festival HDS Digital Games, organisé par le Département les 24 et 25 mai prochains.
L’air ombrageux, un cheval cabré surgit au bout de l’allée. Sa présence, sans jurer avec le décorum princier, laisse le visiteur songeur. Gare aux déductions hâtives : l’endroit est loin de Maranello, antre de la scuderia Ferrari. Ce bronze, œuvre de l’artiste Kasper, évoque plutôt en abyme l’ancien maître des lieux et l’emploi qu’il faisait de son domaine. « Vous voilà au château de Marc-René de Paulmy de Voyer d’Argenson, révèle Perrine Pirat, attachée culturelle de la mairie d’Asnières, qui veille à ne pas écorcher son nom. Le marquis était responsable des haras royaux, sous le règne de Louis XV… » Entre temps, s’est massée autour d’elle une joyeuse cohorte d’élèves. Un bus les a transportés au petit matin du collège André-Malraux, leur établissement des quartiers Nord, jusqu’au cœur historique de leur ville en bord de Seine. Pour eux, c’est presque un autre univers… « Ils passent beaucoup de temps dans le périmètre du collège, dit Iris Utter-Ferrage, leur professeur de français. L’idée de cette sortie, c’est aussi de leur faire découvrir un site qui leur est méconnu de la ville où ils ont pourtant grandi… » Bientôt, le motif implicite de cette visite, devant se prolonger jusqu’à la mairie, se matérialise.
Revisiter le patrimoine local
De son sac à dos, Maya, 11 ans, extirpe une boîte qui ne paye pas de mine. À l’intérieur, un petit bijou de technologie, flanqué d’une panoplie d’accessoires confiés aux soins de ses camarades. D’un abord insolite, la caméra à double œilleton, disposé de part et d’autre du boîtier, est à même de capturer n’importe quelle scène à 360°. Une fois téléchargé, le panorama obtenu se transpose en trois dimensions, grâce à la magie des casques de réalité virtuelle : le pendant de la GoPro 360°, également fourni par le Département. Son usage, en ce lieu, trahit les visées de tournage de cette classe de 6e, qui bataille pour arracher sa victoire au concours « Au cœur du patrimoine ». « Les bénéfices attendus sont multiples, dit Jeanne Legendre-Leget, leur professeure principale. Cela mobilise des compétences transversales et participe à l’épanouissement des élèves. » Ce projet innovant est proposé pour la première fois aux collèges du département, en collaboration avec les écoles et lycées partenaires. Objectif : célébrer le patrimoine local, à travers la combinaison d’une vidéo immersive et d’un commentaire original, celui des jeunes, invités à contraster avec la vision rebattue ou plus formelle des adultes. « En faisant écho au programme scolaire, elle complète la palette de nos dispositifs d’éveil aux nouvelles technologies, avec la programmation robotique et la création de jeux vidéo au collège », explique Farid Hamzi, chef de projets innovants à la direction de l’Éducation au Département. Parmi les équipes en lice, certaines sont dotées à demeure de tout le matériel nécessaire, conséquence d’un appel à projets que le Département renouvelle à chaque rentrée scolaire. De quoi multiplier les créations, tout au long de l’année.
Comme au cinéma
C’est en tout cas la chance offerte à la classe de Jeanne Legendre-Leget : « les élèves ont eux-mêmes suggéré les lieux de tournage, de façon participative, parce qu’ils les connaissaient déjà ou au contraire, parce qu’ils avaient hâte de les découvrir ». Sondés, ceux-ci ont retenu par plébiscite trois propositions devant cadrer, et c’est l’écueil, avec le règlement de la compétition. Exit donc la butte d’Orgemont, écartée car hors du territoire alto-séquanais. Dans le tiercé de tête, figurent à l’arrivée la mairie d’Asnières, l’Arena Teddy-Riner et fatalement, le château du marquis d’Argenson, ancienne maison de plaisance, rare rescapée du genre en Île-de-France. Guettée par la ruine, la bâtisse, signée Jacques Hardouin-Mansart – architecte du Roi – a été sauvée bien que son jardin, loti, se soit trouvé amputé de ses broderies de buis. Le dernier vestige, une cour ensablée, est aujourd’hui défendu par une grille en fer forgé : un obstacle à la vue, de laquelle les cinéastes en herbe ont dû s’écarter. Si a priori, la vision panoramique remet en cause la notion même de cadrage, celui-ci doit tout de même être travaillé, de manière à prévenir les entrées ou sorties de champ parasites : le photobombing dans le jargon technique. « Dans quel sens placer la caméra ? » ; « Que faut-il montrer au spectateur ? » ; « N’oubliez pas le cheval ! » … : comme sur un plateau de cinéma, les apprentis techniciens, cadreurs ou réalisateurs, selon, se concertent en équipe. Préalablement, une session de repérage leur a fourni des idées de plans, consignées pêle-mêle dans un document en forme de storyboard. Toutes affaires cessantes, « il faut s’occuper du montage du trépied », suggère Hinda, d’un ton assuré. Une fois les bras télescopiques déployés et l’appareil paré à enregistrer, résonne le très attendu coup de clapet : attention, « Action ! ».
Les élèves ont eux-mêmes suggéré les lieux de tournage.
Une fenêtre sur l’art
Débute alors une partie de cache-cache, où tout le monde s’abrite de l’œil perçant de la caméra. « C’est un bon moyen de fédérer les élèves, avec une ouverture fortuite sur l’art », souligne Iris Utter-Ferrage. Et pour cause. Dans l’épaisseur de la bâtisse, une exposition collective occupe l’enfilade des pièces richement décorées. Aussitôt dans la place, Keïra s’engouffre à droite, direction la galerie. Sur ses murs, aujourd’hui déparés de leurs Rembrandt – le marquis était amateur d’art – sont apposés des œuvres contemporaines, évoquant les disciplines sportives inscrites à l’agenda des Jeux Olympiques. « Je photographie tout, c’est pour un montage, que je vais ensuite poster sur les réseaux », explique la fillette. « La chambre du marquis est fermée !, s’attriste pour sa part Blessing, en pointant une porte dérobée. Plus exactement, ce n’était pas sa chambre mais un coin de repos. » Aucun détail de ce morceau du patrimoine asniérois ne semble avoir échappé à sa camarade, nouvelle arrivante dans la ville. Après un plan immersif tourné dans le grand salon, la petite troupe boude le premier étage et sa chambre jaune, qui aurait pu inspirer Gaston Leroux. Pour la dernière prise, un vote à main levée désigne la salle à manger, en rez-de-chaussée. Avant de la « mettre en boîte », la guide leur apprend à décoder les œuvres qui vont se disputer le cadre. Ici, on appréhende la notion de triptyque. Là, on décortique le vestiaire en terre glaise d’un coureur antique. « Pour ces jeunes, c’est l’occasion de se confronter à un monument public, qui peut, de prime abord, paraître intimidant », remarque Perrine Pirat.
Un jury et deux récompenses
Retour au collège. Toutes les opérations de « post-production » s’y déroulent en petits comités. Des capsules vidéo, tournées en amont dans l’établissement, font office de « crash-test ». « On doit caler sur la séquence une musique d’ambiance, un morceau paisible pour les oreilles », expliquent Keïra et Sophie, affectées au montage sur la plateforme Évasion Hauts-de-Seine, spécialement développée par le Département pour ses casques de réalité virtuelle. L’occasion d’un premier contact avec l’ordinateur, vieux dinosaure déjà remisé par certains, de la « génération smartphone ». Blessing, Assia et Youmna apportent, de leur côté, une dernière main au script esquissé par leur professeur de français. « Cela permet de travailler l’orthographe et de leur apporter du vocabulaire », dit l’enseignante. Tantôt affirmée, étouffée ou timorée, la voix off de ces vidéos commentées fait son entrée. Maya, dans les starting-blocks, doit toutefois partager la vedette et cabotine pour se distinguer de ses copines. « Parlez comme si vous présentiez une publicité : après tout, il s’agit de vendre le patrimoine de votre ville », les incite Iris Utter-Ferrage. Les langues qui fourchent et autres zozotements font le bonheur des farceurs. Tous devront retrouver leur sérieux pour présenter leur projet, une fois abouti, devant le jury réuni à l’occasion du festival HDS Digital Games, les 24 et 25 mai prochains. « Un Coup de cœur du jury et un Prix spécial seront décernés », précise Farid Hamzi. En lien avec le projet Évasion, autre dispositif innovant du Département, les deux lauréats auront le privilège de voir leur vidéo intégrée au catalogue proposé aux pensionnaires des Ehpad du territoire. Autrement dit, leur première « sortie en salle »…
Nicolas Gomont