Posté dans PETITE ENFANCE

MILLE ET UN MOTS POUR PRÉPARER L’AVENIR

Le Département propose aux parents d’enfants de moins de trois ans un suivi en vue de stimuler l’éveil au langage de leur tout-petit et favoriser ses chances de réussite scolaire. Expérimentée avec l’association 1001mots, cette action touche six cents enfants par an.

Par Pauline Vinatier

 

 

À Villeneuve-la-Garenne, le suivi à domicile se double d’ateliers animés par 1001mots sur des thématiques du quotidien, invitant au croisement des regards.© CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga

À vingt mois, Alma, turbulente brunette, cavale derrière ses sœurs mais fait ses premiers pas dans la jungle du langage. Déjà en possession de « Papa, maman, oui, non, au revoir, coucou », elle attrape au vol les nouveautés et il suffit à sa maman de lire sa gestuelle et ses regards pour compléter ses « phrases ». « Elle adore les animaux, ils la font toujours réagir, raconte Hassina. Quand elle en voit un dans un livre, vous pouvez être sûr qu’elle va le pointer du doigt ! » Il y a un an, lors d’un rendez-vous à la Protection maternelle et infantile (PMI), on propose à la Villeno-Garennoise de recevoir un livre sélectionné par 1001mots. « Dans la boîte aux lettres, on a trouvé un colis adressé à Alma, un petit bout de chou comme ça, avoir un livre à son nom ! » Les envois se sont ensuite succédé tous les deux mois, toujours adaptés au stade de développement d’Alma, comme ces livres aux coins siliconés à mordiller lors de la poussée dentaire. « Mon mari et moi avons beaucoup apprécié », se remémore Hassina.

FOSSÉ LANGAGIER

Âge tendre, ces premières années de vie portent en elles des inégalités sous-jacentes. Selon une étude fondatrice des psychologues américains Hart et Risley, en 1995, à trois ans un enfant de famille aisée disposerait d’un répertoire de mille mots, contre la moitié seulement pour un enfant du même âge mais d’un milieu défavorisé. Or, les capacités de lecture et d’écriture en seraient affectées par la suite. Partant de là, « 1001mots » – le nom de l’association est une référence à ce « fossé langagier » – accompagne les familles les plus modestes, qui gardent souvent leur enfant à la maison. « Chez les personnes qui ont des parcours de vie difficiles, la sphère de la communication n’est pas toujours au premier plan. Notre objectif est de soutenir ces parents et de collaborer avec eux sans rien leur imposer », explique Diane Ducher, psychologue et animatrice d’ateliers « 1001mots ». L’association, qui fédère des orthophonistes, psychologues et éducatrices de jeunes enfants, intervient dans sept départements et depuis 2023 dans les Hauts-de-Seine, à Asnières-sur-Seine, Gennevilliers et Villeneuve-la-Garenne. « Ces communes ont été retenues sur la base de leur vulnérabilité sociale. Nous n’avions pas d’autres indicateurs, puisque les troubles du langage sont dépistés un peu plus tard à l’école par les équipes de PMI », explique le Dr Elisabeth Hausherr, directrice de la « mission santé » du Département. Réalisés auprès des 3-4 ans, ces bilans de santé en école maternelle donnent toutefois une idée des disparités : alors que les orientations pour troubles du langage représentent en moyenne 9 % sur le territoire, elles atteignent 15 % dans les communes les plus en difficulté.

 

À TROIS ANS, UN ENFANT DE FAMILLE AISÉE DISPOSERAIT DE MILLE MOTS, CONTRE LA MOITIÉ POUR UN ENFANT ISSU D’UN MILIEU DÉFAVORISÉ.

 

DIRE CE QUI SE PASSE

Aiguillée par les antennes de PMI, l’association noue une relation privilégiée avec le parent. Dès les 5 mois de l’enfant et pour six mois à un an, l’accompagnement à distance s’adapte à ses disponibilités. « Ce programme avait quelque chose en plus que nous ne pouvions porter directement, poursuit le Dr. Hausherr. Le suivi individualisé met le parent au cœur de la démarche. C’est lui qui va proposer des activités à son enfant pour éviter qu’il ne soit devant les écrans toute la journée. » Outre l’envoi de livres sélectionnés par le comité de lecture de 1001mots, sont prévus trois SMS par semaine, remplis de suggestions d’interactions, appuyées de photos et de vidéos, parfois de témoignages. Chaque parent a aussi son « appelante », qui revient avec lui sur son vécu et l’aide à prendre du recul sur ses pratiques. « Le parent nous explique comment il se comporte et ce qu’il dit à son enfant dans différentes situations. Il arrive qu’on lui propose une autre façon de procéder. Si cela lui plaît on l’accompagne ensuite dans la mise en place », raconte Diane. En l’occurrence, Hassina, qui n’a pas toujours le loisir d’approfondir les questions éducatives avec ses proches, a l’impression d’avoir « quelqu’un à l’écoute au bout du fil » et, sauf quand elle est débordée, elle estime parler davantage à Alma qu’elle ne l’a fait avec son aînée au même âge – « trop petite pour comprendre », se disait-elle. « En général, les parents savent très bien rassurer leur enfant, par contre décrire l’environnement ou expliquer ce qui se passe ne va pas forcément de soi, reconnaît Diane. On nous dit :  » Si je fais ça dehors, dans la rue, les gens vont trouver ça bizarre.  » D’autant que cela repose sur des recherches sur le langage et le développement du cerveau assez récentes. » Que ceux qui hésitent à employer une autre langue que le français sachent que rien n’est imposé. « L’essentiel est d’être à l’aise dans l’interaction, car une fois que le circuit neuronal a été mis en place pour une langue, il est beaucoup plus rapide d’en apprendre une autre. »

PAIR À PAIR

À Villeneuve-la-Garenne, des ateliers complètent ce programme tous les mois sur des thématiques familières, allant du repas aux comptines en passant par les sorties. « Les ateliers vont faciliter le fait de sortir de chez soi, en dehors d’une obligation médicale ou d’une course. Ils sont l’occasion de passer un moment agréable et d’échanger de pair à pair. » En cet après-midi de novembre, huit mamans entourent Diane Ducher et Noël Grace Mbenzele Bimem, éducatrice de jeunes enfants à la PMI, pour parler « bain, habillage et change ». Avec ses livres et ses jeux, la salle offre de quoi occuper les plus grands. Les bébés font la sieste pendant que les adultes sont invités à s’exprimer. Que font ces mamans pendant le bain ? Ont-elles pensé à montrer à leur enfant les objets les plus banals et à les nommer ? « Ce temps du bain est précieux également pour qu’ils comprennent leur corps, et la limite entre eux et les autres. » La difficulté à sortir de l’eau est évoquée : « Déjà pour nous adultes, la transition peut être difficile, alors imaginez pour eux, ils ont envie de jouer ! Il faut verbaliser, essayer de leur proposer une activité à faire à la sortie ou avoir un petit rituel. » « Par exemple chanter une chanson », complète Noël Grace. Suit un temps de lecture sur le thème du jour, à partir d’une sélection de livres sensoriels, interactifs ou manipulables. Sa petite Hanaé, cinq mois et demi, dans les bras, Fatimata profite de ce moment paisible. « Elle est un peu fatiguée, en temps normal elle essaierait d’attraper les pages. » Elle débute le programme et se dit « demandeuse » de conseils. « Le pédiatre a constaté un retard de langage chez mon fils quand il avait deux ans, qui pourrait être dû en partie aux écrans (déconseillés avant trois ans, Ndlr). Depuis la naissance d’Hanaé je suis en congé parental, je peux donner plus d’attention à mes enfants. » Ayant exprimé sa difficulté à tenir Hanaé dans son bain, elle repart avec la piste du « bain en motricité libre » suggérée par Aurianne dont l’enfant est du même âge.

CARTON PLEIN

Pour évaluer l’impact du programme sur l’acquisition du langage, il faudra attendre que ces mêmes enfants, à l’âge de 3-4 ans, effectuent leur bilan de santé à l’école. La démarche bénéficie en tout cas d’un bouche-à-oreille croissant auprès des parents. « La quasi-totalité des familles accompagnées à la PMI et dont l’enfant répondait aux critères se sont saisies du projet. Nous avons fait carton plein, se félicite Francine Bagassien, cheffe du service des solidarités territoriales 1 (Villeneuve-la-Garenne). On a tellement observé de familles carencées sur le plan de la lecture que les bénéfices paraissent évidents. » De son côté, Noël Grace Mbenzele Bimem note que les livres de 1001mots sont souvent « les seuls présents » lors de ses visites à domicile et que dans les salles d’attente, les lignes ont bougé. « Les gens vont vers les livres et lisent des histoires alors qu’avant on observait des parents sur leur téléphone et des enfants qui tournaient en rond. » Dans la continuité de 1001mots, elle propose désormais des sorties hebdomadaires à la médiathèque Aimé-Césaire où « plusieurs familles se sont déjà abonnées ! » Cette expérimentation, dont l’enjeu n’est rien de moins que l’égalité des chances, a été étendue fin 2024 à la commune de Nanterre.

1001mots.org

 
 
 

Les commentaires sont fermés.