CD92/Laurent Duvoux
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DES MARRAINES POUR OSER ÊTRE SOI-MÊME

L’association Elles Bougent encourage les jeunes filles à investir les filières industrielles et technologiques, traditionnellement masculines. À Bagneux, ses marraines ont rencontré l’ensemble des filles de troisième.

La première fois qu’une « gamine » a lui a demandé combien elle gagnait, Nadège Vignol s’est sentie « pétrifiée ». Quinze ans plus tard elle aborde spontanément le sujet dans les établissements scolaires. « Quand les jeunes filles prennent conscience que les métiers scientifiques sont rémunérateurs, ça devient concret. » Elle commence par retracer sa trajectoire de matheuse et d’étudiante, évoque sa spécialisation en informatique et sa décision de rejoindre le distributeur d’électricité Enedis pour « ses valeurs de service public ». « Le bac + 5 est un passeport car vous évoluez plus rapidement et avec une rémunération plus élevée, mais le bac + 3, c’est très bien aussi », leur dit-elle. L’égalité entre les hommes et les femmes, à ses yeux, passe notamment par le salaire. « Être indépendante signifie par exemple pouvoir vivre seule en cas de séparation et pouvoir assumer ses enfants. »

Quatre cadres ont pris leur matinée pour échanger avec les filles de troisième, issues des secteurs de l’énergie (Engie, GRTgaz, Enedis) et de l’aéronautique (MBDA). Ayant eu connaissance des interventions d’Elles Bougent, la référente « égalité filles-garçons » du collège, Siham Ghoufrane, a saisi la balle au bond. « Elles ont la chance d’entendre le témoignage de femmes qu’elles ne voient pas dans les médias ou dans leur entourage et, ce, quel que soit leur choix par la suite. » Dès le premier trimestre de troisième, les élèves émettent des vœux d’orientation : seconde générale et technologique, seconde professionnelle, certificat d’aptitude professionnelle… tandis qu’en seconde viendront l’arbitrage entre le bac général et technologique et le choix d’une spécialité. Or, au quotidien, des collégiennes lui font part de leurs craintes à travailler « dans des milieux où il n’y a que des hommes », ou pensent que certains métiers « ne sont pas adaptés ». « Grâce aux observations de la conseillère d’orientation et du lycée de secteur, nous savons aussi que beaucoup d’entre elles s’engagent par la suite dans les métiers de vente ou du médico-social, y compris celles qui avaient de bonnes notes en maths. »

 

Les filles doivent être plus ambitieuses, encourage Jean Fotein de GRTgaz, lors d’une discussion décomplexée.© CD92/Olivier Ravoire

CARRIÈRES À EMBRASSER

Les stéréotypes et l’autocensure sont loin d’être circonscrits à cet établissement. Selon une enquête diligentée par Elles Bougent*, plus de 80 % des répondantes disent avoir entendu des préjugés sur le rapport des femmes aux sciences, tandis qu’une bonne part des étudiantes parmi elles redoutent de ne pas se sentir à leur place en école et d’être confrontées au sexisme une fois en poste. En France, les femmes ne représentent que 30 % des effectifs en école d’ingénieur et dans les métiers industriels et technologiques, alors même que ces filières sont en tension. « Les technologies sont au service du progrès technique mais également au service du progrès de la société ; penser qu’on va construire la société de demain sans les femmes, c’est se priver de 50 % de l’humanité ! » s’exclame Valérie Brusseau, présidente de l’association et directrice R & D dans l’industrie. C’est là que les marraines, des bénévoles issues de toutes les filières (énergie, bâtiment, aéronautique, aérospatial, ferroviaire, etc.), peuvent aider la génération suivante. « Elles viennent parler de leur métier au quotidien et de leur parcours, y compris sur des questions plus personnelles qui ne seraient pas posées à un homme. Les jeunes filles se rendent compte que ces femmes pourraient être leur mère, leur sœur, leur copine, ce qui peut déclencher chez certaines l’envie d’embrasser ces carrières. »

ELLES ONT LA CHANCE D’ENTENDRE LE TÉMOIGNAGE DE FEMMES QU’ELLES NE VOIENT PAS DANS LES MÉDIAS OU DANS LEUR ENTOURAGE.

 

Cinq femmes ont répondu à l’appel, dont Barbara Heude, à gauche, maman d’élève et directrice de recherche à l’Inserm.© CD92/Olivier Ravoire

ITINÉRAIRES BIS

Chacune à son tour, les intervenantes distillent les confidences. Chez Engie, Marion Castilla travaille à l’émergence d’un « mix énergétique plus vert »… jusqu’à son prochain défi. « En devenant ingénieur, mon but était de ne pas m’ennuyer. Il y un an je travaillais dans le médical, aujourd’hui je suis dans l’énergie, et pour la suite tout est ouvert ! » Autre anecdote, une partie des collègues femmes de Nadège Vignol sont originaires du Maghreb où l’informatique est moins « genré ». « Un métier où l’on n’a besoin de rien d’autre que de son cerveau et de ses mains n’est pas un métier d’homme ou de femme ! » assène-t-elle. D’une famille ouvrière, cette enfant de Drancy a suivi la voie royale de la classe prépa menant aux grandes écoles, mais souligne que d’autres parcours sont possibles (prépa intégrée, passerelles, etc.). L’établissement est situé en réseau d’éducation prioritaire et elle s’est sciemment attardée sur son origine sociale pour leur donner envie d’y croire. « Le milieu socio-culturel a certainement un impact, estime de son côté Siham Ghoufrane. Ce n’est pas que les parents ne souhaitent pas voir réussir leur enfant, bien au contraire, mais parfois ils ne veulent pas le voir prendre de risques. »

Abandonnant sa BD, Dado a remisé ses airs indifférents pour assaillir les marraines de questions. « Plutôt bonne élève », elle se destine à être médecin ou vétérinaire, alors ingénieur, pourquoi pas, à la rigueur, si elle devait abandonner. « Je viens d’une famille un peu traditionnelle, dit-elle. Au début ils étaient étonnés que je veuille faire médecine mais ils me soutiennent, surtout ma mère qui est mon modèle car elle a toujours fait de son mieux, même si elle n’a pas beaucoup d’instruction ». Alicia, qui prend des notes, a été marquée par l’échange avec la trentenaire Léa Rolland, experte des systèmes de défense aérienne chez MBDA. « Son métier à l’air passionnant et elle a des responsabilités, dit-elle, confiant vouloir plus tard « concevoir des fusées et des sondes. » Depuis une visite à la Cité des Sciences et de l’Industrie, elle se rêve ingénieur dans l’aérospatial. « On m’a fait remarquer que si j’avais des enfants, mon travail devrait être compatible avec la vie de famille. Ça sera surement fatigant mais ça va me plaire ! » 

Pauline Vinatier
www.ellesbougent.com

* Consultation OpinionWay pour Elles Bougent en 2024, auprès de plus de 6 000 femmes, étudiantes ou en activité.

 

UN PARTENARIAT RENOUVELÉ AVEC LE DÉPARTEMENT

La rencontre avec les marraines est au cœur des événements d’« Elles bougent ». Association nationale de référence en matière de sensibilisation des jeunes filles à la mixité des métiers de l’industrie et la technologie, agréée par l’Éducation nationale, elle reçoit le soutien du Département depuis 2023. Grâce à son réseau de 350 partenaires et de quelque 15 000 marraines, elle organise, en présence des femmes ingénieurs ou techniciennes, des visites d’entreprises et de salons, des interventions en établissements et des campagnes sectorielles (Smart City Week, Elles bougent pour demain, Elles bougent pour l’orientation…) En 2023-2024, 884 collégiennes issues de collèges du territoire et 700 lycéennes ont été sensibilisées.

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