Ouvert en 1978, le grand parc départemental du nord des Hauts-de-Seine est une invitation à la détente et aux loisirs au cœur de la ville. Plus sauvages qu’à ses débuts, ses étangs abritent une biodiversité remarquable et intimement liée au fleuve.
Par Nicolas Gomont
Dans la boucle de la Seine, cette bulle de verdure n’a pas toujours été un havre de nature. Jusqu’au milieu du XXe siècle, une industrialisation triomphante imprime fortement le paysage de la plaine de Gennevilliers, laissant peu de place aux espaces verts. « On trouve à l’époque encore quelques jardins familiaux, des terrains vagues, et quelques rares survivances de maraîchages, raconte Cécile Brune, chargée de valorisation du patrimoine paysager au Département. Au loin, outre les zones industrielles, un habitat en voie de densification, des entrepôts, des routes… mais pas un jardin public, pas un parc et très peu d’arbres… » Quant au site en tant que tel, à cheval sur Gennevilliers et Villeneuve-la-Garenne, il n’était que carrières de sable et de graviers, alimentant inlassablement des chantiers de construction en pleine expansion. Ces extractions ont laissé derrière elles des terrains délaissés, souvent pollués, et peu propices à une utilisation agricole ou urbaine. Des « steppes » pour ceux qui, comme Alain Ramon, s’en souviennent : « Enfant, je venais ici pêcher des poissons rouges ; c’était, ma foi, il y a 45 ans…, se remémore le référent gestion écologique du parc pour le Département. De cette gravière en fin d’exploitation, où la nappe de Seine remontait çà et là, a jailli ce parc à vocation de détente, une déambulation dépourvue de loisirs dans un premier temps. » Son avènement par tranches, des Fiancés et Mariniers en 1978 aux Tilliers en 1991, ne doit rien au hasard ; et tout à la volonté politique du Département. Près de quarante ans avant sa Stratégie nature, cette initiative visait déjà à rééquilibrer le paysage urbain entre nord et sud, en intégrant des zones de respiration pour les citadins, favorisant ainsi une meilleure qualité de vie. « Au fil du temps, ce parc, qui demeure l’œuvre intégrale de l’ingénierie départementale, souligne le président Georges Siffredi, n’a cessé de s’étendre dans les interstices de la ville, pour offrir aujourd’hui une superficie de 87 hectares. »


NATURE EN MOUVEMENT
Au-delà de sa création, la collectivité a initié des projets visant à enrichir l’expérience des visiteurs, des aires de jeux pour enfants aux zones de pique-nique, en passant par des espaces plus récents d’agrès sportifs ; chaque aménagement a ainsi été pensé pour répondre aux attentes des différentes tranches d’âge et favoriser le lien social post-Covid. « Il s’agit de composer dans un même lieu avec des publics de plus en plus présents, amenant des concentrations d’usages différents, dit Cécile Brune, spécialiste du parc. Les Chanteraines, qui ont atteint leur maturité, soit une quarantaine d’années, peuvent nous sembler jeunes comparées aux parcs historiques tel que Sceaux. Et pourtant, le site entre inexorablement dans notre patrimoine. » La politique d’entretien, labellisée EVE® (Espace végétal écologique) par Ecocert depuis 2012, n’en est pas moins inféodée à la gestion horticole des débuts – dont les jonquilles tirées au cordeau sont peut-être les ultimes témoins. Porté par une nature en mouvement, le parc a peu à peu basculé dans une gestion, non seulement différenciée mais de plus en plus naturelle. « Ce mode de traitement inauguré par l’Île-Saint-Germain a ruisselé jusqu’ici, explique Alain Ramon. D’un parc tout tondu et tout taillé – on appréciait la nature quand elle était » propre » -, on a évolué vers un parc aux volumes renouvelés, alternance de pelouses classiques et de hautes prairies. » Ces terrains laissés au bon vouloir des plantes, grâce à la fauche tardive, permettent aux insectes et aux oiseaux de compléter leur cycle de vie. Cette couche d’herbacées fait aussi tampon, protège des hivers rigoureux ou des étés secs, qui craquellent la terre. Par ailleurs, l’utilisation de pesticides et d’engrais chimiques est proscrite, au profit de méthodes moins invasives. « On décompacte les sols sans les retourner ; on sème à la juste saison ; on délaye du compost broyé et décomposé sur place, égrène Alain Ramon. En relâchant la pression sur la nature, on pousse ainsi le public à franchir des zones inexplorées. » Avec l’arrêt de l’arrosage – sauf pour les jeunes plants -, les pelouses virent à l’été au chaume brûlant, avant de reverdir dès les premières pluies. On préfèrera alors s’étendre sur un transat au bord de l’étang des Hautes-Bornes. « Cela revient à “changer les meubles de place”, nous proposons une autre lecture des espaces, en constante réinvention sur eux-mêmes ».


BLONGIOS NAIN
Toutes ces actions contribuent à la résilience d’une nature en ville, mais encore à la création d’habitats propices à de nombreuses espèces migratrices ou menacées par le milieu urbain. Lieu de baignade jusqu’en 2008, l’étang des Tilliers attire aujourd’hui une multitude d’oiseaux aquatiques, descendus pour la plupart des méandres de la Seine plus au nord. La Promenade Bleue, sentier pédestre et cycliste créé le long des berges de Seine, passe par le secteur des Mariniers, un corridor de biodiversité. « Deux mares en eau à la période de reproduction des amphibiens, du triton alpestre aux grenouilles verte et riante (qui ont succédé aux rainettes, à l’origine du lieu-dit Les Chanterennes [sic], Ndlr), introduisent une chaîne alimentaire attirant les migrateurs tel le héron », détaille Alain Ramon. Pour les voir sans être vu, des observatoires accessibles aux personnes à mobilité réduite ont été aménagés et offrent aux passionnés d’ornithologie d’admirer les grandes aigrettes – des régulières – le butor étoilé – qui repointe le bout de son bec – la plus commune des mouettes ou, à l’opposé, le plus rare des blongios nains ; un petit héron figurant sur la liste rouge régionale des oiseaux nicheurs. « Sa réapparition spontanée est un marqueur de la progression de la biodiversité dans la réserve naturelle du parc », souligne Alain Ramon. De plus, ce sanctuaire abrite l’une des rares colonies de sternes pierregarins d’Île-de-France, espèce également menacée dont la reproduction est facilitée par la présence d’îlots artificiels, flanqués de « bouées » à ras d’eau, en prévention de la noyade des petits. Bientôt, les adultes tournoient et chassent les autres volatiles en compétition pour l’espace. Blottis dans la roselière, deux cygnes préparent une naissance, indifférents à ces conflits de voisinage… Cette faune sauvage et fragile côtoie à l’année une faune domestique habituée des publics.
PIPER ET MIMI PAGE
Au sein du parc, la ferme pédagogique propose ainsi aux visiteurs une immersion hybride dans le monde rural en ville. « À l’heure de la fermeture, les plus sauvages viennent jusqu’ici, notamment le martin-pêcheur, qui doit s’y plaire parce que cela fait une trotte depuis la Seine…, raconte Juliette Pouradier, la responsable de la ferme, elle aussi labellisée EVE®. En plus de son rôle récréatif, la ferme joue un rôle éducatif essentiel, avec des ateliers régulièrement organisés pour sensibiliser les publics du champ social, des scolaires, des familles…à l’agriculture, à l’écologie et aux circuits courts. Il s’agit de se réapproprier cet univers autrement que par la “consommation” de mignons petits animaux ». L’architecture des bâtiments s’inspire des fermes normandes du Vexin, avec une grange, un poulailler, une chèvrerie, un pigeonnier, un clapier, des prés pour les animaux ; le tout constituant un ensemble pittoresque côté Villeneuve-la-Garenne. Dès l’entrée, le visiteur est interpelé par Piper et Mimi Page, des cochons polynésiens de race kunekune, sélectionnés pour leur régime végétarien et leur caractère facile. Achetés bébés, ils ont été comme tout le cheptel accoutumé à la médiation animale. Après Howard, le canard aux doigts atrophiés, trois chevrettes sont nées en parfaite santé à la mi-mars. « On ne fait pas de reproduction à proprement parler ; seulement des naissances de démonstration pour montrer aux enfants le cycle de la vie. » Aux petits soins, Juliette Pouradier a doublé la ration de la mère qui allaite, et l’a placée à l’isolement pour protéger la portée des « coups de tête » des autres biquettes.



TCHOU-TCHOU !
Avec leur tendance à l’embonpoint, deux ânes dressés à l’attelage devraient bientôt promener les personnes handicapées dans tout le parc, dans une optique thérapeutique. « L’idée, c’est que la ferme s’exporte dans le parc, quand elle en était dissociée par le passé. » Le potager, géré en mode biologique, propose de voir, au fil des saisons, des variétés maraîchères, dont la récolte est disponible à la vente lors de journées événementielles. À venir en mai-juin, pas de fameux « poireaux de Gennevilliers » mais des tomates bien rouges, des courgettes, fèves, fruits et aromates… De retour au corral, les moutons de l’éco-pâturage traversent les voies du chemin de fer miniature, long de plusieurs kilomètres, qui propose aux visiteurs une balade bucolique à un autre rythme : prairies, sous-bois, plans d’eau… Fonctionnant de mars à octobre, il est géré par l’Association des Modèles Réduits de Chemins de Fer (AMRCF), un groupe de passionnés qui veille à l’entretien et au bon fonctionnement des locomotives, dont une électrique. Autre tradition bien ancrée au sein du parc : le guignol, animé par la compagnie des Petits Bouffons de Paris. Nouvelle polarité du parc, accessible par la station « Étang des Tilliers », ce théâtre couvert et chauffé propose, tout au long de l’année, des spectacles de marionnettes mettant en scène le célèbre personnage de Guignol, figure emblématique du théâtre lyonnais, ici dans une version parisienne à destination des plus de 3 ans. Les aventures de Polichinelle, de la mère Bigoudis et du Père Lustucru, mises en scène par les marionnettistes Pascal Pruvost et Alexandre Abbas, parfois accompagnés au piano, font le bonheur des enfants mais aussi des adultes qui redécouvrent les histoires de leur enfance. « Les spectacles à succès sont les plus simples – typiquement, le lapin voleur de carottes, explique M. Abbas. C’est aussi ceux qui laissent toute latitude d’improviser, d’interagir avec ce public que l’on perd vite… » Tel ne fut pas le cas avec son spectacle Graines magiques, donné en avril, et dont la morale pourrait être : rien ne sert de planter, faut-il encore arroser. Avec de l’eau de Seine, peut-être…
FÊTE DE LA NATURE
L’agriculture paysanne est essentielle, même pour les citadins. De nombreuses animations en font la preuve dans un parc où une ferme pédagogique sensibilise toute l’année petits et grands à la culture rurale. Du 21 au 24 mai, celle-ci « sort de son enclos » en organisant plusieurs événements sur le thème de la nature, dont une soirée ciné-débat autour de la projection du film documentaire Bienveillance paysanne du réalisateur Oliver Dickinson (18 h 30) et un après-midi festif au secteur des Fiancés, avec ateliers, activités et jeux pour les familles le samedi 24 mai (de 14 h à 18 h).
