Luiz Braga, Janela Rio Guamá, 1988, Belém, Brasil
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UN INVENTAIRE À LA FOIS PROCHE ET LOINTAIN

Du 17 mai au 7 septembre, deuxième édition du festival de photographie contemporaine Mondes en commun, organisé par le musée départemental Albert-Kahn en partenariat avec les Amis du musée.

Par Didier Lamare

 

Les répertoires des dix artistes sélectionnés pour l’édition 2025 ont des airs d’inventaire à la Prévert… Avec l’esprit facétieux, cela donnerait une vache, un épouvantail, deux Brésiliens sous leur ciel sauvage, une coiffe, des perruches et des fleurs, un désert, deux déserts, le dessin du soleil… Et si le poète-parolier parisien est un peu passé de mode, il n’en est rien du projet d’Albert Kahn, archiviste planétaire inquiet, et de son directeur scientifique Jean Brunhes, de dresser « un vaste inventaire photographique de la surface du globe occupée et aménagée par l’homme, telle qu’elle se présente au début du XXe siècle ». Un cran plus loin sur le boulier des siècles, l’inquiétude n’est en rien apaisée de voir disparaître nos mondes en commun. D’où la pertinence de « poursuivre l’inventaire » à la manière des artistes photographes d’aujourd’hui, moins encyclopédique sans doute qu’autrefois, toute en diversité de focale et de cadrage.

 

Olhos para o Guamá, 1990, Belém, Brasil.©Luiz Braga

DEUX PRIX PHOTOGRAPHIQUES

Composé d’une dizaine de professionnels du monde de l’image – dont Nathalie Doury, directrice du musée départemental Albert-Kahn, des membres de l’association des Amis qui dote le prix d’une bourse, Thierry Ardouin, lauréat l’an passé -, le jury n’a pas pu départager deux candidats aux propositions très différentes. Clément Poché, commissaire de l’exposition et membre du jury, les présente ainsi : « Aurélie Scouarnec est une jeune photographe, née en 1990, qui a photographié les coulisses des fêtes bretonnes. Ses photographies délicates, en clair-obscur, ressemblent à des tableaux hollandais. Un inventaire se dessine, par petites touches, des différentes coiffes, des costumes, et l’on a choisi de les exposer dans la serre, qui fait jouer les dentelles des coiffes avec les dentelles de la structure. » Le deuxième lauréat des Amis du musée est Claude Iverné, né en 1963, qui travaille depuis près de trente ans sur le Soudan. « C’est un photographe voyageur, parti avec un aller simple dans les années quatre-vingt-dix, qui réalise un inventaire maximaliste du pays, ses paysages, ses habitants, les greniers à blé, les villes modernes… On a imaginé une installation pour présenter son travail, un grand lé de papier comme une grande dune d’images. »

Pas de coupe du monde de football en 2025, mais une saison France-Brésil mise à l’honneur avec deux photographes. L’Ode à la couleur de Luiz Braga nous entraîne chez les Ribeirinhos, peuple autochtone d’Amérique du Sud vivant le long des rivières. Rien à voir avec le Brésil du rêve exotique, ni d’ailleurs avec l’ethnographie à la façon de Claude Lévi-Strauss : ici, on regarde la vie moderne au quotidien, le travail des pêcheurs, les bars saisis dans des lumières qui intensifient les couleurs, au sein de villes côtières devenues industrielles. La série Suffocamento de Pedro David met des images sur la monoculture des eucalyptus dans le Cerrado, la savane qui couvre – ou plutôt couvrait – près d’un quart du territoire brésilien. Visuellement, les troncs élancés constituent une grille glaçante autour de quelques arbres protégés qui n’ont pas été coupés, derniers vestiges solitaires d’une biodiversité à l’agonie. Que deviennent ces eucalyptus ? Ils sont brûlés pour faire du charbon…

 

une exposition dans les jardins orientée vers la géographie humaine, les traditions populaires, la diversité culturelle et celle du vivant.

 

Katerini, Grèce.©Ursula Böhmer
Gwiskan – Revêtir -.©Aurelie Scouarnec

LES VACHES, LES PERRUCHES ET LES AUTRES

Dans l’esprit des collections du musée, les visiteurs de Mondes en commun naviguent entre inventaires du vivant et de l’inanimé, entre proximité modeste et infiniment lointain. Des bâtiments inachevés, Incompiuto, photographiés dans leur brutalité de béton par Roberto Giangrande comme des blessures dans le paysage italien, à La Postérité du soleil, matérialisation avec des moyens de rien du tout de la ligne du temps par Thomas Paquet. De l’inventaire des fameuses perruches vertes à collier, collectées dans la métropole parisienne par Rebecca Topakian, à celui des vaches des terroirs européens qui nous regardent à travers l’objectif attentionné d’Ursula Böhmer. « Nous présentons une série que j’affectionne particulièrement, souligne Clément Poché : un inventaire d’épouvantails photographiés dans la campagne par Peter Mitchell, photographe anglais de 82 ans réputé pour ses vues urbaines de Leeds. Ce sont des formats carrés, des images ultra-léchées qui font à la fois peur et imprègnent chaque épouvantail d’une personnalité. Ils sont typiques de l’Angleterre avec leurs cirés jaunes ou bleus, c’est tout un folklore qui raconte quelque chose des Archives de la Planète : la place de la géographie humaine, comment l’homme utilise le paysage pour ses cultures, comment il repousse le vivant. »

Et puisqu’il faut bien, comme dans l’inventaire de Prévert, quelque chose comme un raton laveur inattendu, c’est la photographe anglaise Siân Davey qui s’y colle, dans les marges de l’inventaire et de la thérapie. Projet né dans une période difficile pour l’artiste et sa famille, The Garden est devenu un idéal de rencontre de l’autre et d’acceptation de soi. « Tout le voisinage a passé un moment dans ce jardin d’Éden, connu à des lieues à la ronde, explique le commissaire de l’exposition. C’est une série forte et poétique autour de portraits, qu’on aimerait intégrer dans le jardin du musée afin d’accueillir les visiteurs, dans l’esprit d’hospitalité d’Albert Kahn. » 

Mondes en commun, poursuivre l’inventaire, jardins et musée départemental Albert-Kahn, Boulogne, du 17 mai au 7 septembre.

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