À Châtenay-Malabry, l’exploitation alimente en bio et en circuit court un groupe scolaire à la conception novatrice. Pour son caractère à la fois solidaire et écologique, le Prix Hauts-de-Seine 2030 lui a été remis en juin.
Par Nicolas Gomont
Déguster charlottes, maras et gariguettes, mûres en mai, c’est apprécier, à proprement parler, le fruit de leur travail. Une fois n’est pas coutume, les cultivateurs vaquent ce matin entre les salades rescapées des limaces et désherbent énergiquement. « C’est notre lot à tous, une bonne heure d’arrachage par jour, sourit Luc Bouillard, moniteur-responsable de la ferme. Après la corvée, des tâches plus plaisantes comme le tuteurage des tomates nous attendent, naturellement. » Sur cette lèvre de la Coulée Verte, au bout des Jardins de LaVallée, c’est comme si la campagne avait repris son droit de cité. Difficile d’imaginer qu’autrefois, s’étendait là un parking à la périphérie d’une plus vaste étendue stérile. L’École Centrale, déménagée de Paris en 1969, était vétuste et devait rejoindre le cluster universitaire de Paris-Saclay (Essonne) en 2018. En digne héritier du site, grand comme vingt hectares, l’écoquartier LaVallée a revêtu en sa mémoire le patronyme de son père fondateur en 1829 ; l’homme d’affaires Alphonse Lavallée. À une majuscule près qui fait le jeu de mots, sur ce relief en pente. « En initiant ce projet urbain il y a près de quinze ans, explique le président Georges Siffredi, nous voulions faire du terrain, fermé sur lui-même, un quartier largement ouvert sur la ville, vivant, dynamique. » Exploité par l’Esat historique de Châtenay-Malabry (Établissement et service d’aide par le travail, Ndlr), réputé en lisière du Plessis pour ses productions horticoles – les Châtenaisiens connaissent forcément ses géraniums ! – sa ferme « Volterre » n’est pas seulement un modèle réduit d’exploitation agraire.

UNE FERME INCLUSIVE
« Produire en quantité n’est pas notre priorité ; l’essentiel est ailleurs, dit Aurélie Decossin, directrice générale des services de Châtenay-Malabry. Trois ambitions ont déterminé le projet : offrir aux demi-pensionnaires des produits bios et locaux, sensibiliser à l’environnement et contribuer à l’insertion. » D’un hectare, la ferme n’est pas une école, ni un centre de formation mais un lieu de travail à part entière. Encadrés par l’Esat Vivre, la soixantaine d’ouvriers agricoles souffrant de troubles cognitifs et/ou mentaux, peuvent s’y revendiquer salariés. « C’est pour eux un motif de fierté ; d’aucuns préfèrent d’ailleurs taire leur rattachement à un établissement spécialisé, confie Luc Bouillard. Avant toute chose, nous réglons leurs problèmes sociaux autour de la précarité et du logement, freins potentiels en vue de leur insertion en milieu ordinaire : jardinerie, pépinière… » Les moins diplômés d’entre eux, dont certains ignorent tout du métier, engrangent de l’expérience jusqu’à prétendre à « l’équivalent d’un CAP ». D’un commun accord, Coccinelle & Vers de terre, une association vouée au développement de l’agriculture urbaine, leur prête main forte quoi qu’il arrive. Rémunérés « un peu plus » du Smic, APA comprise (Allocation personnalisée d’autonomie, Ndlr), ces « volterriens », qui plus est dans ce cadre bucolique, s’investissent avec envie. « Certains pique-niquent au soleil, s’y sentent mieux qu’à la maison. »
LE BUT EST D’ÉTALER LES RÉCOLTES OU, À DÉFAUT, D’EN SAUVER UNE PARTIE FACE AUX ALÉAS DE TYPE GRÊLE OU GEL
LABELLISATION BIO
L’économie de la ferme repose sur la mairie propriétaire, garante des coûts de production moyennant la perception de 80 % des récoltes. Les 20 % restants pour l’Esat lui génèrent un petit revenu et permettent de se former au contact client : « Ainsi, nous restons dans un système d’insertion, non de production intensive. » L’espace d’un an, le terrain – 5 % de l’écoquartier LaVallée – a livré quelque deux tonnes de légumes à la pesée. Moins de la moitié de sa surface est effectivement cultivée ; la partie encore libre est destinée au futur cœur battant du volet de « sensibilisation à l’environnement ». Le fastidieux processus de labellisation biologique – la ferme est pour l’heure « en transition » – touchera à son terme en janvier 2026. Il est aisé d’en deviner les contraintes fonctionnelles – semences biologiques, pas d’apports chimiques à l’exception de la bouillie bordelaise, tolérée… – un peu moins les parades enseignées, puisqu’à chaque ferme urbaine, « sa réponse à un problème commun ». « Face aux ravageurs, en ce moment les chenilles, on développe ici des tactiques de taille des arbres, en aguichant en parallèle les auxiliaires telles les coccinelles », explique Luc Bouillard. Si un hôtel à insectes et des massifs de plantes mellifères offrent déjà à ces derniers le vivre et le couvert, l’équipe conçoit l’écologie de la ferme à de multiples échelles. Après un fol hiver – en 2024, l’aventure débute sous des auspices diluviens – une rigole d’évacuation a été creusée et l’équipe penche pour un modèle de cuve de récupération enterrée, alternative écologique à l’eau de ville.

INNOVATION ÉNERGÉTIQUE
Du côté des cultures, la sélection des variétés s’est faite à raison de leur précocité ; le but étant d’étaler les récoltes ou d’en sauver une partie face aux aléas de type grêle ou gel. Les plantes aromatiques et leurs saveurs exotiques – huître, kola, anis – attirent les centres de loisirs les mercredis et côtoient d’honnêtes poires William, reines des reinettes, myrtilles, kiwis, figues, groseilles… Grâce à un partenariat avec la Chambre d’agriculture, une analyse rassurante de la terre végétale a pu être conduite. Quant au talus SNCF préexistant, sa pauvreté en nutriments devait faire de lui ce coteau dédié à la vigne, où l’on cultive le chasselas blanc. Ses raisins garniront bientôt les étals des selfs du groupe scolaire Voltaire, à son voisinage immédiat. Ouvert en 2024-2025, ce bâtiment très dessiné abrite dans ses murs la nouvelle cuisine centrale de Châtenay-Malabry, jusque-là sise à Léonard-de-Vinci, et dont la production en liaison chaude la surpasse légèrement. Les livraisons échelonnées, dont la plupart se font à pied, sont concertées avec Céline Spitzer, la cheffe de la restauration scolaire et alimentent des ateliers d’éveil au goût avec des élèves. En symbiose, ces deux projets ont été distingués en juin par le Prix Hauts-de-Seine 2030, aujourd’hui adossé à l’Agenda 2030 du Département (voir encadré). Vitrine de l’écoquartier, Voltaire l’est à plus d’un titre. En matière d’innovation immanquablement, puisque le parti pris initial a été de réaliser un bâtiment « bioclimatique » et une construction bas carbone, anticipant les normes à venir (loi RE 2020, démarche E+C–).
ÉNERGIE GÉOTHERMIQUE
D’abord envisagée en terre, selon le principe traditionnel du pisé, sa façade en béton faite à 100 % – la norme est de 30 % – d’agrégats issus de la démolition de l’École Centrale ne laisse personne indifférent. À cette coque minérale s’adosse une structure en bois en partie intérieure. Menés avec le concours de l’Ademe, des tests de conception poussés ont « dépassé toutes les espérances ». « Prenons les cloisons en bois, remplies de terre/chanvre, elles surperforment en cas d’incendie et sont également intéressantes d’un point de vue hygrothermique, révèle l’architecte Samuel Delmas. L’isolation est si puissante que des répétiteurs d’alarme ont dû être installés dans les classes. » À elles seules, ces cloisons ont permis une baisse de 350 % de l’impact carbone en comparaison d’un procédé classique. Grâce à un système de récupération associé à des noues paysagères, les cours, haute et basse, garantissent zéro rejet d’eaux pluviales dans les réseaux. Un dernier chantier d’ordre énergétique reste à mener : le raccordement de l’école, à l’instar de tout l’écoquartier La Vallée, raccordée dès 2026 au réseau de géothermie en cours de déploiement sur l’ensemble de la commune. En attendant, ses huit classes de maternelle et six d’élémentaire peuvent compter sur la centrale biomasse assurant la transition.
