Créée il y a deux ans par le club des Hauts-de-Seine, la section rugby adapté parie sur les bénéfices socio-éducatifs de la discipline pour améliorer le quotidien des personnes atteintes de handicap mental.
Par Nicolas Gomont
Invisible, le ballon ovale circule sous une mêlée ondoyante d’équipiers, identifiables à leurs chasubles colorées par-dessus le maillot ciel et blanc, uniforme qui fait leur fierté. En mouvement elle aussi, Maya Rigou, dont la voix plane au-dessus de cette lutte pied à pied, encourage et tance tour à tour : « Allez, on ceinture, là vous vous faites des câlins ! » Responsable des filles U12 à l’école de rugby, elle-même joueuse chez les féminines, l’éducatrice sportive ne sous-estime en rien ces « extraordinaires », comme on les appelle ici, atteints de troubles mentaux, cognitifs ou de problèmes de comportement « J’ai vu l’un d’entre eux improviser une feinte de passe alors qu’en dehors du terrain, il aurait du mal à donner son prénom. » Incapables de s’orienter, d’autres joueurs s’autonomisent à vue d’œil. « Il faut être derrière eux pour éviter qu’ils ne s’égarent mais je passe un des meilleurs moment de la semaine ! C’est le côté humain qui prime? »
En dehors du terrain, le dojo où apprendre à chuter, la salle de musculation, le club house pour la rituelle « troisième mi-temps » leur sont ouverts également. À vrai dire, l’ensemble des installations ou presque du Plessis-Robinson. « Le rugby, c’est le partage, la réunion de gens différents, on est avant tout une grande famille, explique Franck Marquis, instigateur de la section en 2023/2024 et promoteur infatigable du rugby adapté. Or on connaît surtout le rugby fauteuil alors qu’en France il y a énormément de personnes en situation de handicap mental ». L’engagement du club n’est pas nouveau mais a connu un tournant avec la création de cette section. Après un long partenariat avec l’association Aressif de sport adapté, puis l’accueil d’un premier tournoi « Special Olympics » il y a trois ans, décision a été prise de basculer sur une action à l’année. « Ç’a été un cumul de moyens matériels, et surtout humains, qui nous a permis de mettre en œuvre une volonté d’inclusion. Le rugby adapté est complètement intégré au sein du club, au même titre que l’école de rugby, le rugby féminin ou les pros », insiste Christophe Mombet, président du Racing Club de France Rugby.

ACCOMPAGNEMENT INDIVIDUALISÉ
En deux ans, la section adaptée est même devenue la plus importante du club, avec quatre-vingt joueurs de 10 à 89 ans, pour la plus âgée, issus d’une quinzaine d’établissements des Hauts-de-Seine et des Yvelines : Esat, IME, Itep (Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique, pour les problèmes de comportement, Ndlr). Ce sport collectif est parfois victime d’une image de brutalité ; or il ferait des merveilles avec ce public fragile : les occasions sont nombreuses de travailler les objectifs psychomoteurs et sociaux du quotidien, à commencer par le simple fait de dire « bonjour », le seuil du club house franchi. Une fiche de suivi, étayée par les établissements, permet un accompagnement individualisé sur le terrain où les éducateurs spécialisés épaulent les sportifs. « Notre présence met en confiance les jeunes et l’on peut modérer l’effort s’ils ont un problème de santé ou si des choses ne se sont pas bien passées dans la semaine. Rencontrer d’autres structures leur fait beaucoup de bien, quel que soit leur profil », confirme Jean-Marc Bouet, de l’externat médico-professionnel de Trappes. Il y a en effet un monde entre le timide Hakim, qui « apprend à aller au contact », et son comparse Gabriel, « très investi » et fonceur. « Il évacue les tensions grâce au rugby. Depuis qu’il a commencé ici, notre relation s’est améliorée ; il s’amuse et je pense qu’il a fait le rapprochement avec le fait que je sois là pour l’encadrer. »
LE RUGBY ADAPTÉ EST COMPLÈTEMENT INTÉGRÉ AU SEIN DU CLUB
« RACING FAMILY »
Supervisé par le « responsable terrain » Jean-Jacques Sarthou, l’enseignement sportif est sans concession. « Ils apprennent à faire des passes, à marquer, à plaquer mais on adapte l’engagement physique, les vitesses de course, le type de plaquage en débutant par du ceinturage », précise ce partisan d’un « rugby éducatif avec contact » qui compare le rugby sans placage au « judo sans chute » ou à « l’escalade sans verticalité » : « Le contact leur permet d’apprendre à se contrôler et d’intégrer les valeurs comme le respect de l’autre et de l’arbitre ou la solidarité. » À cet égard, la progression de Mohamed, proclamé capitaine en vertu de « son sérieux et son attention aux autres », est impressionnante. « C’était un dur, se souvient Jean-Jacques Sarthou. Quand il était percuté, il se sentait agressé et frappait en retour. » Déjà de l’aventure de l’Aressif, l’enseignant en Staps à l’université de Nanterre est secondé lors des séances par une quinzaine d’étudiants et par des espoirs du Racing en formation BPJEPS, qui bénéficient ainsi d’une « mise en application de rêve ».
Ultime preuve d’intégration, certains de ces joueurs deviennent bénévoles lors des grandes occasions, matches de Top 14 voire rencontres nationales, en soutien aux étoiles du Racing. « C’est du donnant donnant, on a tous besoin les uns des autres », résume Juan Imhoff, parrain de prestige de la section « rugby adaptée » qui se mêle de temps à autre aux entraînements. L’international argentin, tout juste retraité, n’a rien oublié de ses débuts dans un club amateur « ouvert à tous », refuse l’élitisme et réserve à ses protégés cette vibrante déclaration : « Vous voir sur le terrain donne envie de jouer au rugby ; vous êtes toujours là, toujours présents… Le véritable modèle, c’est vous ! » Ainsi va le rugby au sein de la « Racing family ».
