Dès la 4e et avant l’heure des premiers choix d’orientation, le Département propose aux collégiens le « Campus des métiers », un parcours de découverte des filières d’avenir et créatrices d’emploi.
Au sortir du car s’offre aux collégiens la vision de cavaliers lancés au trot dans la cour. Ne manquent que les pages qui jadis les accompagnaient à travers ces écuries à la mesure du château royal, visible à l’autre bout de la place d’Armes. Ce « Campus des métiers et des qualifications » (Campus Versailles), créé en 2021, est logiquement consacré aux métiers du patrimoine et de l’artisanat d’excellence. « Ce sont ceux que l’on a reçus en héritage et qu’il importe de transmettre aux nouvelles générations », lance en préambule à la classe Jean-Christophe Da Veiga, directeur des formations du Campus. Leur hôte les guide ensuite dans un labyrinthe d’itinéraires professionnels (horticulture, patrimoine bâti, métiers d’art, gastronomie, travail du bois…), tout en prenant soin de lever certaines confusions – entre le tailleur de pierre pour l’appareillage et le sculpteur pour les décors, professions sujettes à « des batailles de guildes depuis le Moyen Âge » ; entre le menuisier, le charpentier et l’ébéniste dont les meubles étaient réalisés au moyen d’un placage plutôt qu’en bois massif. « Ce n’est pas de la triche car avec un tronc de ce bois précieux importé d’Afrique, on réalisait des centaines de pièces ! » Forts des connaissances acquises lors d’un atelier en classe sur les métiers historiques du bâti, animé par l’établissement public de la cathédrale Notre-Dame de Paris, les collégiens ne sont pas à court de questions. « Ce sont des élèves assez peu studieux, mais créatifs et dynamiques, qui se prennent facilement au jeu, remarque Isïa Settini, leur professeure principale au collège Alfred-de-Vigny de Courbevoie. Ils découvrent des métiers auxquels ils ne sont pas confrontés dans leur vie quotidienne en milieu très urbain, des métiers passion que l’on peut exercer quel que soit son niveau scolaire. »

PRESSION SOCIALE
À travers ce projet bien nommé, puisque du mot latin campus dérive le mot « champ », il s’agit pour le Département d’ouvrir le « champ des possibles » aux élèves de 4e dans trois univers différents (voir encadré). « Ils subissent beaucoup de pression sociale par rapport à leurs choix alors même qu’ils ne connaissent pas tellement de métiers ; et le stage de 3e arrive un peu tard, constate Pierre Roustit, qui suit ce projet au Département. Nous voulons leur apporter une vision plus complète du monde du travail. Car même quelqu’un de issu d’un milieu social favorable, avec des parents avocats ou médecins, ne voit souvent les choses qu’à travers le petit trou de la serrure. » Cette découverte en plusieurs temps comprend, entre autres, un atelier sur les stéréotypes de genre pour déconstruire certains préjugés liés à des métiers dits plutôt masculins ou féminins, en lien avec les objectifs de la stratégie départementale égalité femmes-hommes. « Il n’est pas toujours admis qu’une fille travaille dans une usine automobile ou dans le bâtiment, alors même que ces secteurs ont besoin de nouveaux profils », poursuit Pierre Roustit. De son côté, la professeure principale explique aborder régulièrement les questions de genre, en lien avec le quotidien scolaire ou la société en général. « Et à chaque fois je me rends compte à quel point c’est nécessaire ! », remarque Isïa Settini.
ILS DÉCOUVRENT DES MÉTIERS PASSION QUE L’ON PEUT EXERCER QUEL QUE SOIT SON NIVEAU SCOLAIRE
Ce « Campus des métiers et des qualifications » accueille – ce n’est pas toujours le cas – des formations pratiques en ses murs. Avec ses établis en bois clair et ses étagères encombrées d’objets inachevés, l’atelier « bois » éveille la curiosité de la classe. « Comment fait-on pour réaliser des meubles sans vis ni colle ? », s’enquiert Arthur. « Quand les mesures sont bien réalisées, cela s’emboîte parfaitement, il suffit d’y mettre de la force », lui répond l’animatrice, Mathilde Quintela. Estelle, de son côté, s’inquiète de savoir si « les filles coupent du bois », mais son objection sur la force physique est balayée par Mathilde : « Les garçons aident les filles et celles-ci s’entraident. » « Il y a des hommes qui sont maigrichons et des femmes qui sont fortes », renchérit Freya, une autre élève. Les étudiants en « Design et métiers du bois » se forment ici en un an, ou en six mois pour ce qui est du Parcours d’initiation et d’immersion des métiers de l’artisanat (PiiMA). Les femmes, qui forment la moitié des effectifs de cette spécialité, n’ont « aucun mal à trouver un stage ».

À défaut d’étudiants en menuiserie, un échange a lieu ce jour-là entre les collégiens et des étudiants du PiiMA « Métiers de l’alimentation et de la gastronomie », promotion qui mêle jeunes adultes et demandeurs d’emploi en reconversion. Houda, l’une de ces étudiantes, montre fièrement sur son smartphone des souvenirs de ses plus belles réalisations. À la fin de ce parcours au Campus Versailles, elle a opté pour les métiers de la cuisine, quand sa comparse Esmeralda a été retenue en CAP pâtisserie à l’Institut culinaire de Bordeaux – « une très bonne formation », se satisfait-elle. « Beaucoup d’artisans vont partir à la retraite et ont besoin de jeunes pour faire vivre leurs métiers. On ne fera pas venir de touristes en France si on n’est pas capables de restaurer les grilles de Versailles ou de faire du bon pain », insiste auprès des jeunes Mathilde Quintela.

ARTISANS DE DEMAIN
Heureux concours de circonstances, la classe s’offre en prime un crochet par le festival Fairespectives, réunissant cette semaine-là sur le site des artisans, chercheurs et inventeurs engagés dans la transition énergétique. À côté d’un atelier de tawashi japonais (des éponges réalisées à partir de tissus de récupération), des spécialistes de l’École des métiers de la musique (Itemm) présentent leurs recherches en lutherie pour remplacer les bois précieux, ébène ou grenadille, par du frêne croissant sous nos latitudes. À leur invite, les jeunes s’amusent à faire résonner des échantillons de différentes essences : « J’ignorais que l’on pouvait produire des sons aussi contrôlés en choisissant les essences, dit Jules après s’y être essayé. Et c’est une bonne chose d’utiliser du bois local ! » Même s’il a songé à devenir chocolatier quand il était enfant, ce féru de chiffres se projette davantage depuis quelque temps dans « de la conception plutôt que de la fabrication. » Ce parcours de découverte aura en revanche inspiré Souleymane qui, pour l’heure, brille par son jeu de jambes, mais pourrait exceller plus tard de ses mains : « footballeur professionnel avant tout, mais pourquoi pas tailleur de pierre… »
Pauline Vinatier