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VIOLENCES CONJUGALES : LA LIGNE DE VIE

Attribué par le Parquet, le téléphone grave danger (TGD) est destiné à sécuriser les victimes de violences conjugales ou de viol. Elles sont près d’une centaine à en bénéficier sur le territoire, par l’intermédiaire de l’association L’Escale Solidarité-Femmes, soutenue par le Département.

 

L’appareil, un smartphone de couleur noire, est tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Ce qui l’est moins, c’est l’utilisation qui en est faite : en cas de danger, trois pressions sur le bouton latéral suffisent à alerter une plateforme de téléassistance joignable 24 h/24. Déjà au fait du profil de la victime, l’opérateur déclenche l’intervention des forces de l’ordre qui prennent le relais. Alors que 96 femmes et 23 hommes sont décédés en 2023 en France sous les coups de leur partenaire ou ex-partenaire et que huit mineurs ont été tués dans un contexte de violences conjugales, ce dispositif aura sans doute permis d’éviter d’autres tragédies.

Expérimenté à partir de 2009 en Seine-Saint-Denis, il est généralisé par la loi en 2014 sous le nom de « dispositif de téléassistance aux personnes en très grave danger » et réservé aux victimes ne cohabitant plus avec leur partenaire ; soit après une interdiction judiciaire d’entrer en contact, soit en cas de danger avéré ou imminent quand l’auteur des faits est en fuite, n’a pu être interpellé ou qu’une procédure judiciaire est en cours…

La coordination de la justice, de la police et des acteurs de l’aide aux victimes qui partagent une même « fiche navette » relative au bénéficiaire, conditionne l’efficacité du TGD. Dans 85 % des cas dans les Hauts-de-Seine, la justice en est la prescriptrice, quand la victime n’a pas été orientée vers cette solution par une association ou la police, par exemple. Signataire en 2016 d’une convention avec le Parquet de Nanterre et la Direction départementale de la sécurité publique, l’Escale est chargée de l’évaluation préalable à toute attribution, soutenue à ce titre par le Département à hauteur de 25 000 € en 2025. Il revient à deux travailleuses sociales, juristes de formation, de recevoir les victimes pour un entretien approfondi dans les locaux de l’association. « Outre leurs qualités d’écoute, nos équipes doivent faire preuve de sang-froid et avoir une grande capacité d’organisation, explique sa directrice générale, Anna Schwarzkopf. Les dossiers se bousculent, dont certains plus urgents, par exemple après une audience à l’issue incertaine si l’auteur des faits sort de prison. »

 

LA COORDINATION DE LA JUSTICE, DE LA POLICE ET DES ACTEURS DE L’AIDE AUX VICTIMES CONDITIONNE L’EFFICACITÉ DU DISPOSITIF

 

Ce dispositif strictement confidentiel n’est connu que des seuls bénéficiaires, de l’association référente et du Parquet.© CD92/Julia Brechler

DÉCORTIQUER LE DANGER

Accompagnée de longue date par l’Escale, Clara* venait de déposer plainte contre le père de ses enfants quand elle s’est vu proposer le TGD. « Depuis notre séparation en 2011, les menaces et le harcèlement n’ont jamais cessé. Il m’insultait au téléphone, me suivait et faisait des scènes humiliantes en public. Puis il s’est mis à utiliser les enfants pour m’atteindre : il disait à ma fille qu’il allait me tuer et qu’il me retrouverait où que je sois. » Lors du face-à-face, les travailleuses sociales « balaient l’historique de la relation » et « décortiquent le danger » à l’aune de plusieurs critères : durée et répétition des violences, ancienneté de la menace ou du harcèlement, isolement, vulnérabilité de la victime, profil psychologique, antécédents pénaux ou risques de récidive de l’auteur, situation de contrôle coercitif… « À partir du profil du mis en cause, on va chercher à savoir s’il a déjà été condamné pour des faits de violences et s’il a une arme par exemple ; sur l’intensité des faits, certains comportements, notamment les strangulations sont ce qui se rapprochent le plus d’une volonté de donner la mort », précise la cheffe du service chargée du TGD à L’Escale. Dispositif confidentiel connu des seuls bénéficiaires, de l’association et du Parquet, il ne doit figurer dans aucune plainte ni document consultable par le « mis en cause ». « L’avoir dans la poche me rassurait tout en me rappelant que j’étais en danger », raconte Clara qui l’a conservé un an, le temps de la condamnation de son ex-mari, interdit d’entrer en contact avec elle sous peine de voir son sursis révoqué. Comme le réclame ce dispositif, elle s’était engagée à activer la géolocalisation du téléphone et à le maintenir chargé, à effectuer les tests techniques ainsi que des points réguliers avec L’Escale. « Il est important que la personne nous tienne au courant de ses mouvements pour que la police puisse savoir où la trouver et qu’elle actualise sa situation pour que nous puissions évaluer l’état de la menace (le danger doit être actuel, NDLR). »

Autant que le « TGD », l’accompagnement par l’Escale, qui peut aussi être assuré par l’association la plus proche du domicile, participe de la stratégie de protection. « On commence souvent par répondre à des questions d’ordre juridique au sujet des procédures qu’elles ne comprennent pas toujours, précise la cheffe de service. De cette façon, on va créer une relation de confiance. » Certaines solliciteront de l’aide pour un dossier de surendettement, d’autres prépareront, grâce au réseau de la Fédération nationale Solidarité Femmes, un départ en province afin de retrouver l’anonymat. Pour sa part, Clara a reçu un soutien psychologique. « Toutes ces années de harcèlement m’ont détruite, je n’avais plus de ressources intérieures, je me disais que demain ce serait peut-être moi… »

 

En 2024, une vingtaine de déclenchements auront permis d’éviter des « face-à-face non souhaités ».© CD92/Julia Brechler

Au diapason de la tendance nationale, avec 5 000 téléphones en circulation courant 2024 contre quelques centaines dix ans plus tôt, 100 « TGD » sont aujourd’hui déployés dans les Hauts-de-Seine, en grande partie actifs, contre 55 en 2023 et 4 en 2016. « Il y a eu une prise de conscience avec #MeToo, la période de confinement, et cette question est devenue une grande cause nationale, si bien que le nombre de plaintes a augmenté », souligne Anna Schwarzkopf. Signe des temps, un pôle « Violences intrafamiliales » a été créé au tribunal de Nanterre, qui, en à peine deux ans, totalise pas moins de 10 % de l’activité correctionnelle, ce qui nécessite de nouveaux équipements. Enfin, l’association référente fait état d’une vingtaine de TGD déclenchés l’an passé, ayant permis d’éviter des « face-à-face non souhaités ». « Le danger zéro n’existe pas, mais notre responsabilité, et celle de toute la société, est d’accompagner au mieux les victimes. » 

Pauline Vinatier
* Le prénom a été modifié

À l’occasion du 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le Département sensibilise le public au sein de ses services territoriaux, aux côtés de ses partenaires, avec la Caravane Solidaire ou encore sur les marchés avec des stands d’information.

 

LE NUMÉRO D’APPEL ET LE DISPOSITIF FEMMES VICTIMES DE VIOLENCES 92

Il est souvent le premier contact avec l’extérieur des victimes de violences sexuelles, conjugales, intrafamiliales ou de harcèlement. Près d’un millier d’appels ont été passés l’an dernier vers le numéro « FVV-92 » (ouvert du lundi au vendredi de 9 h 30 à 17 h 30 au 01 47 91 48 44, en complément du numéro national 3919). « La première chose c’est de nommer les violences subies et qu’elles soient entendues et crues, explique une écoutante de cette ligne anonyme et gratuite ouverte aussi à l’entourage. Nous tentons de leur donner des pistes pour qu’elles puissent préparer une séparation et se projeter, tout en les rassurant sur le fait que cela ne les engage à rien. » Nulle ne raccroche sans avoir été redirigée – pour certaines vers l’une des structures du dispositif inter-associatif FFV-92, soutenu à hauteur de 259 115 € par le Département en 2025, qui dispensent un accompagnement dans la durée : L’Escale à Gennevilliers, l’AFED 92 et l’ADAVIP 92 à Nanterre et SOS femmes Alternatives – Centre Flora-Tristan à Châtillon.

 


 

QUINZE NOUVEAUX « LIEUX SÛRS » DÉPARTEMENTAUX

Signataire d’une convention avec l’application Umay, le Département a mis à disposition en mars 2025 dix lieux sûrs pour les victimes de harcèlement de rue. Courant 2026, cette expérimentation devrait s’étendre à quinze nouveaux sites.

tel du Département à Nanterre, pôles sociaux, stade départemental Yves-du-Manoir, musées départementaux… en mars 2025, dix de ces « lieux sûrs » ou « safe place » avaient été mis à disposition des victimes de harcèlement de rue ou de toute forme d’insécurité, dans le cadre d’un partenariat du Département avec Umay. L’application gratuite offre également le partage géolocalisé des trajets avec ses proches et la possibilité de signaler des dangers et une fonctionnalité d’assistance 24 h/24 via un chat. « La première condition de l’égalité, c’est de se sentir en sécurité lors des trajets du quotidien et dans la rue », souligne Camille Bedin, conseillère déléguée à l’égalité femmes/hommes. Depuis mars dernier, quarante-cinq trajets ont été lancés vers ces premiers lieux sûrs départementaux, auxquels s’ajouteront en 2026 quinze nouveaux sites, dont les agents auront été, à nouveau, formés à recueillir, renseigner et rassurer les victimes. De quoi étoffer le réseau de l’application, téléchargée par 6 740 utilisateurs alto-séquanais. Umay est également partenaire des villes de Clichy, Levallois-Perret, Puteaux, Villeneuve-la-Garenne et Bourg-la-Reine et dispose à ce jour de 150 lieux sûrs dans les bars/restaurants, pharmacies, commerces, commissariats et équipements publics… 

P.V.

L’application Umay est disponible sur Google Play et l’App Store. La carte des lieux sûrs du département est consultable sur hauts-de-seine.fr

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