Ouvert l’an dernier à Bagneux, le site rassemble jardins partagés et individuels, lieu d’ateliers et bientôt une ressourcerie et un fablab. Une petite ville presque autonome grâce au tissu associatif local et aux habitants.
Le mercredi, le temps est idéal pour jardiner. Comme toutes les semaines, Léa et ses petits-enfants sont venus mettre les mains dans la terre de leur parcelle individuelle et arroser les plantes fatiguées par la chaleur de la fin de l’été. Aujourd’hui, la récolte est fructueuse. Petit à petit, les seaux se remplissent de tomates cerises toutes plus colorées les unes que les autres. Depuis un an et demi, pommes de terre, salades et autres courges poussent sur ces quatre mètres carrés que cette retraitée partage avec sa fille, ses petits-enfants et sa sœur. « J’ai même entraîné ma voisine dans l’aventure ! », lance-t-elle. Un enthousiasme qui a convaincu son petit-fils Alban, douze ans, qui vient s’initier tous les mercredis depuis trois semaines. « Au moins je me dis que je sais d’où vient ce que je mange, que je n’achète pas dans les magasins. J’aime voir que même dans les zones où il y a beaucoup d’immeubles comme ici, il y a encore des coins de nature. »
Le manque de place, voilà ce qui a poussé Léa à venir ici. « J’habite en appartement avec un balcon et je n’ai pas l’opportunité de cultiver grand-chose. J’ai toujours été dans cette mouvance écologique : je possède déjà un petit potager en province et je fabrique moi-même mes produits d’entretien. » Et en matière de fruits et légumes, Léa a elle-même beaucoup de conseils à donner puisqu’elle suit depuis plusieurs années les préceptes de la permaculture. « C’est une méthode qui permet de respecter la terre au maximum en laissant par exemple les vers de terre faire leur travail ou en mettant du paillis sur le sol afin de limiter l’arrosage », explique-t-elle. Une technique qui fait autorité ici, sur la quarantaine de parcelles individuelles et collectives disponibles à l’Agrocité de Bagneux. Encore en construction, les buttes orientées du nord au sud permettent de créer de l’humidité qui réduit les besoins en eau. Les courges et les tomates cerises forment un joli couple aussi bien gustatif que nutritionnel. « Les deux graines s’enrichissent mutuellement, ce qui augmente la productivité. Ces techniques permettent au sol de se régénérer sans pratiquer de culture intensive tout en donnant un rendement maximal », explique Maud, de AAA, l’association à l’origine de cette petite ville de huit cents mètres carrés pas comme les autres. Si une partie des fruits et légumes cultivés est destinée à la consommation, une autre viendra enrichir la grainothèque qui permettra de replanter l’année suivante.
Matériel de récup’
Voici tout l’esprit de l’Agrocité. Ici, on teste, on se donne des conseils et on débat. L’association AAA a posé pelles et râteaux il y a pratiquement trois ans à Bagneux, en plein cœur du quartier Tertres-Cuverons. Cet Atelier d’Architecture Autogéré arrive dans le sud des Hauts-de-Seine après avoir semé plusieurs graines sur son passage. Tout d’abord avec l’un des pionniers, le Passage 56 dans le XXe arrondissement de Paris. Puis en 2011, à Colombes, dans une première Agrocité depuis déménagée à Gennevilliers. Objectif de ces lieux : recréer du lien entre monde rural et urbain et appliquer le principe de résilience de la terre tout en les adaptant au changement climatique. En 2016, ce site de Bagneux n’a pas été choisi au hasard. « Il fait partie d’un ensemble d’espaces verts avec en face une friche que la ville veut préserver et un parc qui est une véritable réserve de biodiversité. Il se situe non loin du quartier des Mathurins en pleine réhabilitation et dans lequel la nature aura une place importante », détaille Juliette Hennequin, de AAA. Les premiers jardiniers, eux, ont débarqué l’an dernier.
Sur cet espace, l’association a construit les fondations de son Agrocité, à commencer par le grand bâtiment en bois. Perché sur sa butte, on ne voit que lui depuis la rue en contrebas. Cette bâtisse a été édifiée uniquement avec du matériel de récupération : le madrier, le bois utilisé pour le plancher, provient d’une ancienne installation sur le pont des Arts tandis que le vitrage a été récupéré sur un chantier de déconstruction. Le très local a été privilégié avec parfois des matériaux comme des gravats récupérés « à la brouette » depuis la déchetterie de l’autre côté du terrain. Si la charpente a été conçue par une entreprise, le reste du chantier s’est voulu participatif avec au sol une mosaïque de réemploi réalisée par le public. Prochaine étape : l’isolation grâce à un mélange de terre et de paille. Tout a été fait pour limiter au maximum l’impact sur le terrain. « Jusque dans le choix des fondations : pas de béton, juste des micro-pieux. Le bâtiment est surélevé, ce qui laisse le sol totalement perméable », poursuit Juliette Hennequin. En-dessous justement, c’est tout un ingénieux système qui a été mis en place pour assurer l’autosuffisance en eau pour l’arrosage des jardins. En plus de la récupération des eaux de pluie, AAA a conçu des toilettes sèches ventilées, sans sciure. Le contenu est récupéré puis trié. La partie liquide rejoint les eaux dites « grises » – c’est-à-dire les eaux domestiques issues du lavabo par exemple – et file dans un bassin de phytoépuration où elle sera purifiée par les plantes avant de repartir irriguer le sol. La partie solide, elle, est retournée une à deux fois par an et sert de compost. L’atout du site, c’est également son emplacement en hauteur et sa vue dégagée. Le bâtiment en bois est orienté plein sud et disposera à terme d’une grande serre qui servira aussi à la culture. Enfin le tout est chauffé grâce à un poêle à bois et les éoliennes installées sur le toit – bientôt végétalisé – couvrent une partie des besoins en électricité.
Faire soi-même
Cette Agrocité ne représente qu’une seule des trois « unités de transition » qui composeront à terme le site. En plus des jardins partagés et du bâtiment en bois qui sert de lieu d’ateliers de formation et d’échanges, le site va s’agrandir pour atteindre presque un hectare et accueillera une ressourcerie et un fablab. « Aujourd’hui, il y a enfin du concret, se réjouit Florence Legendre, membre de l’association Bagneux Environnement. Ce site permet à la fois pour le retour de la nature en ville et la réduction des déchets. » La ressourcerie va permettre aux habitants de déposer des objets dont ils n’ont plus l’utilité, comme du petit mobilier qui pourra ensuite être revendu. En face, dans un ancien hangar, le fablab mettra à disposition des outils pour ceux qui veulent fabriquer de leurs propres mains sans acheter une tonne de matériel. « L’idée est de proposer un espace où on expérimente le “ faire soi-même ” et où l’on sensibilise sur le gâchis des matières premières », poursuit Florence Legendre. Tout est d’ailleurs prétexte ici à parler de savoir-faire et de tradition, avec notamment le four à pain qu’un boulanger allume une fois par mois pour un atelier autour du pain bio. La ressourcerie verra le jour courant 2020 avant la troisième unité : l’Écohab, un habitat participatif.
Le bail entre l’association AAA et la ville de Bagneux a été signé fin 2016 pour une durée de quatre ans. Ce contrat sera amené à être prolongé en fonction de l’avancée des différents projets mais, comme pour tous les autres sites, le but est à terme l’autonomie. « Cela passe par plusieurs phases, explique Maud. Tout d’abord une phase de sensibilisation mais Bagneux était déjà bien impliquée en la matière avec un tissu associatif dynamique, des ruches, des poulaillers et une partagerie pour déposer des objets dont on ne se sert plus. Puis on voit comment le lieu vit et on finit l’aménagement avec une partie en participatif avant de laisser les lieux s’autogérer. » Cette autogestion passera peut-être par Zora, une assidue des lieux qui vient pratiquement tous les jours. Cette habitante du quartier est encore un peu hésitante sur les techniques à employer. « Au début, j’ai dû demander comment on tournait la terre et ajouter du compost. Mais je prends du plaisir à venir ici, planter, arroser et récolter. En arrivant, je ne connaissais personne et désormais, je connais tout le monde. » Avec l’Agrocité, la (re)connexion à la terre crée aussi du lien social.
Mélanie Le Beller
www.r-urban.net