Comment inventer un boulevard plus fluide, plus sûr, plus durable ? Le temps de quatre expérimentations et pendant un an, le boulevard Circulaire de Paris La Défense fait le tour de la question.
Vous êtes au volant de votre véhicule, à l’approche d’un carrefour. Au milieu d’un trafic dense, vous vous préparez à appuyer sur l’accélérateur : « Pas question d’avoir le feu au rouge », vous jurez-vous. Jusqu’ici, rien d’extraordinaire. C’est alors qu’une consigne de vitesse vous est transmise : vous pouvez franchir l’intersection sans vous précipiter. Comme celle de vos voisins, votre allure devient plus fluide et l’ensemble de la circulation s’en trouve apaisée. Tout droit sorti des bureaux d’Aximum (groupe Colas), ce dispositif d’aide à la conduite devient réalité à Paris La Défense. « Actuellement, quand vous arrivez à proximité d’un feu, vous ne savez pas quand il va changer. À partir de cette information et de la position du véhicule, nous permettons au conducteur de mieux adapter sa vitesse ou de se préparer à s’arrêter », explique Didier Panaroni, directeur du développement ITS d’Aximum, à propos de ce système d’optimisation des flux de circulation aux feux tricolores (Sofft). Développé au départ pour les véhicules ultra-connectés voire autonomes, sur le Circulaire Sofft s’adresse à tous les automobilistes.
À l’intérieur de sa boucle surplombée de gratte-ciels, le Circulaire enserre et dessert le quartier d’affaires sur près de quatre kilomètres. Jusqu’alors propriété de l’État, il est entré dans le domaine départemental en 2017, sous le nom de RD 993. De premiers travaux ont porté sur la sécurisation et la mise à niveau de l’infrastructure, raccordée à l’outil de gestion des feux Siter. À plus long terme, avec Paris-La Défense, Courbevoie et Puteaux, le Département travaille, au sein d’une « mission Défense », à sa requalification. « Le Circulaire, ainsi que d’autres voies annexes, doit être mieux intégré au tissu urbain environnant. C’est une question d’accessibilité du quartier », explique Charles Chemama, directeur adjoint des mobilités. En attendant de devenir un « boulevard urbain de référence », cet axe inaugure en ce début d’année son RD 993lab. « On a voulu se donner les moyens d’expérimenter en matière de route intelligente. Le Circulaire devient un support de réflexion sur les mobilités au sens large », explique la chef de projet Myriam Hugot. Sur quarante dossiers déposés en 2019 lors de l’appel à projet départemental, en partenariat avec le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), quatre avaient été retenus qui bénéficient d’un soutien de 25 % minimum à hauteur de 980 000 euros au total. « Ce n’est pas un appel à projet ordinaire, estime Frédéric Fabre, du Cerema. Il est extrêmement rare d’avoir quatre expérimentations en même temps, d’autre part le terrain de jeu se distingue par sa complexité : nous sommes sur un boulevard très fréquenté (30 000 véhicules par jour, NDLR) avec des travaux et de la vie autour. » Les solutions de fluidification et de sécurisation du trafic ont la part belle dans ces projets : « En fluidifiant un trafic en accordéon, on évite aussi des nuisances sonores et de la pollution, souligne Myriam Hugot. Sans compter que circuler dans un environnement chaotique n’est guère rassurant. »
Du temps réel à la prédiction
Avec ses conseils de vitesse, Sofft s’inscrit au cœur de ces enjeux. La communication des consignes s’effectue en premier lieu vers les véhicules connectés, mais aussi vers les smartphones via l’application gratuite « CTD », développée avec NeoGLS, partenaire d’Aximum, et vers deux panneaux d’information pour les moins geeks des conducteurs. Des infrastructures communicantes ont pour cela été implantées sur les onze carrefours à feux. Au croisement avec l’avenue Gambetta, Sofft se décline aussi dans une version « piéton » qui départage « en fonction de l’offre et de la demande » le temps de feu avec les véhicules, grâce à une technologie de détection par caméra thermique, à rendre poussiéreux le bien connu bouton poussoir. Mais l’effort de fluidification touche aussi les outils réservés aux gestionnaires. Parmi eux, la solution digitale développée par Citeos (Vinci Énergies) et la start-up Qucit – qui fournit un algorithme de machine learning capable d’émettre des prédictions de trafic toutes les minutes à quinze minutes pour les huit tronçons du boulevard. « L’algorithme fonctionne à partir des données vives du territoire en lien avec la mobilité, remises en forme pour être ingérées plus facilement, explique Alexane Gondel, pilote du projet chez Citeos. Ce sont « les données Siter comme la vitesse ou le temps de parcours, des données externes comme la météo, les jours fériés, les occupations de voirie liées à des travaux ou les festivités à l’Arena, qui peuvent créer des embouteillages ». Pour repérer des « lois de trafic », l’intelligence artificielle s’est entraînée sur l’historique de ces mêmes données. Outre l’anticipation des congestions, cette solution pourrait déboucher sur des scénarios pour les plans de feux ou sur une communication avec les automobilistes via des panneaux à messages variables.
Carrefour lumineux, éclairage intelligent
Autre maître-mot de ce RD 993lab : la sécurité des usagers. Sur le carrefour avec la rue de Strasbourg et la liaison médiane s’installe ainsi Flowell, un nouveau type de signalisation. En lieu et place du marquage blanc traditionnel des dalles encapsulées de Leds, reliées au réseau électrique et à un poste de pilotage, s’allument en fonction des cycles de feux ainsi qu’en présence de piétons ou de deux-roues… Un système qui permet de multiplier les tracés sans rendre illisible la chaussée. Déjà les extrémités des passages piétons ainsi que les points d’arrêt des véhicules – ligne d’effet de feux et de passage piéton – en sont équipés. La piste cyclable provisoire également. « Des chevrons vélos ont été placés sur l’axe des véhicules au niveau de l’intersection de manière à éviter que ces derniers ne coupent la trajectoire des vélos en tournant à droite. L’expérimentation est d’autant plus intéressante qu’avec l’effet Covid les cyclistes sont plus nombreux », explique Emmanuel Orlianges chez Colas. Une seconde étape, au printemps, mettra l’accent sur le guidage des automobilistes qui peuvent « au centre d’un carrefour complexe et très large comme celui-ci, avoir un temps d’hésitation ». La signalisation lumineuse permettra « la continuité du marquage jusque dans le carrefour de manière à conserver les véhicules dans le bon axe et éviter les freinages et changements de voies intempestifs ». Conseil de vitesse, prédiction de trafic, sécurisation des carrefours font donc du Circulaire un bon élève de la smartcity. Mais ce n’est pas tout puisqu’il devient aussi plus économe en énergie. Cette démonstration a lieu sur l’arc nord, dont les candélabres portent le dispositif Luciole d’Eiffage. « Il y a quelques années, des collectivités avaient décidé de couper l’éclairage public à certaines heures de la nuit pour faire des économies, ce qui pouvait poser des problèmes de sécurité », raconte le chef de projet Tenan Jasaroski. Luciole, dont le slogan est « l’éclairage intelligent au juste besoin », vient résoudre ce dilemme avec un revêtement routier clair, qui réfléchit la lumière, et des candélabres associant Leds et détecteurs de mouvement. À l’approche d’un usager, cet éclairage s’intensifie graduellement pour redescendre ensuite. « L’intensité peut croître jusqu’à 90 % de sa puissance au passage d’un piéton ou d’un cycliste. Elle sera moindre pour un automobiliste éclairé par les phares de son véhicule, poursuit Tenan Jasaroski. L’usager ne discerne pas ces variations, imperceptibles pour l’œil humain, et progresse dans une bulle de lumière. » Sur le plan énergétique, Eiffage mise sur un gain important de 70 %. Chacun des quatre projets s’est ainsi vu assigner des objectifs précis. Le protocole d’évaluation élaboré par le Cerema prend par ailleurs en compte la fiabilité technique, la sécurité, l’impact sur le trafic ou encore l’« acceptabilité » auprès des usagers. Dans un an, le bilan sera tiré. Il sera temps de capitaliser les retours d’expérience du RD 993lab auprès de la communauté scientifique et technique, « un maître d’ouvrage à l’autre bout de la France pouvant s’en inspirer », explique le Cerema, mais aussi et surtout sur les routes départementales. Au-delà du seul Circulaire, ce vaste réseau comprend plus de sept cents carrefours à feux et des axes très fréquentés.
Pauline Vinatier
www.hauts-de-seine.fr