Sur dix-sept hectares à Châtenay-Malabry, ce centre propose toutes les infrastructures pour porter près de 250 sportifs vers le plus haut niveau. Avec les JO de Paris 2024 en ligne de mire…
Les volants jonchent le sol du gymnase, innocentes victimes de l’entraînement du jour. Sur le terrain, Mathieu Thomas répète les mêmes gestes, inlassablement. Le badiste est encore en lice pour décrocher sa qualification pour les Jeux paralympiques de Tokyo. Il doit attendre pour cela la commission qui statuera peu avant le début des épreuves et donnera le nom des trois qualifiés restants. En attendant, l’athlète s’entraîne près de cinq heures par jour au Creps (Centre de ressources, d’expertise et de performance sportive) d’Île-de-France, sans compter la préparation mentale et l’analyse vidéo. « J’arrive ici tous les jours à 9 h 30 pour repartir vers 17 heures. Soit l’équivalent d’une journée de travail. Je fais tout ici », explique le sportif, qui a mis, il y a trois ans, entre parenthèses sa carrière de consultant dans le digital pour se consacrer entièrement à sa préparation. Il vit aujourd’hui du sponsoring et de conférences données en entreprise sur le handicap.
Sa grande silhouette se détache par rapport au reste du groupe. À 36 ans, l’athlète fait figure d’exception dans ce groupe composé de jeunes pousses du badminton. « J’ai commencé à venir ici avec des stages de trois semaines pendant les vacances, puis j’ai demandé deux heures par semaine en individuel avant d’intégrer le pôle. Je suis entré en poussant un peu la porte », se souvient Mathieu, qui a commencé le parabadminton tardivement, à 28 ans. Plutôt féru de basket, il voit sa vie basculer à l’âge de dix-sept ans, lorsqu’on lui diagnostique une tumeur au bas ventre. L’enlever signifie sectionner le nerf de la cuisse droite et perdre sa capacité à se déplacer de manière latérale. « On m’a dit à ce moment-là que je ne pourrai plus jamais courir. J’ai essayé de cacher tout ça en centre de rééducation et je me suis lancé à fond dans mes études. » Aujourd’hui, son handicap se voit à peine. Au bord du terrain, Michel Taalba, le responsable du pôle espoirs de badminton qui regroupe une quinzaine de sportifs, confirme. « Aujourd’hui, il arrive à s’intégrer dans une séance collective technique. Les jeunes jouent le jeu en matchant contre lui. »
Donner les moyens
Comme Mathieu Thomas, près de 250 sportifs fréquentent le Creps d’Île-de-France et son site de dix-sept hectares boisé et classé. Objectif de la structure : « faire monter les sportifs sur les plus hautes marches olympiques et leur faire mener ce que l’on appelle le double projet, à savoir réussir sa vie professionnelle et sportive », résume Michel Godard, le directeur des lieux. Ici, dix-neuf pôles de treize fédérations sont réunis, certaines cumulant pôle espoirs pour faire accéder les jeunes au haut niveau et pôle France pour les sportifs de plus haut niveau. « Il s’agit de l’un des trois plus gros centres de France en termes d’activités sportives et le plus gros pour la formation », poursuit le directeur du Creps. L’institution ne s’occupe pas à proprement parler de la préparation physique. « Les fédérations nous confient leurs sportifs qu’ils choisissent selon leur propre stratégie, explique Philippe Omnès, responsable du département sport de haut niveau. Nous ne sommes pas là pour entraîner les athlètes. Nous leur fournissons simplement les infrastructures et nous nous occupons du suivi scolaire, de l’internat ou du service médical. » Pour le côté scolaire, le Creps peut s’appuyer sur un véritable écosystème éducatif avec trois collèges et deux lycées dans un rayon de deux kilomètres. « Ces établissements travaillent avec nous depuis des années et proposent des emplois du temps adaptés à la pratique sportive. Certains préfèrent avoir des grandes plages d’entraînement de quatre heures alors que d’autres veulent des séances plus courtes mais en plus grand nombre dans la journée », ajoute Philippe Omnès. À 16 h 10, à peine le temps de souffler pour Yanis. Juste le temps de dévorer son goûter avant de filer à l’entraînement de ping-pong jusqu’à 19 heures. Sa semaine est une succession de cours, d’entraînement et de devoirs. « Je m’en sors plutôt bien niveau organisation car j’ai l’habitude de planifier mon travail. Je sais quand m’avancer en fonction des compétitions. » En classe de terminale, Yanis a passé le bac en juin et vise à la rentrée une formation là encore de haut niveau en prépa scientifique. « Chaque année, 20 à 30 % de nos sportifs passent le baccalauréat, reprend Philippe Omnès. Nous sommes largement au-dessus de la moyenne nationale avec régulièrement 100 % de réussite. Nous avons des élèves très brillants, parfois avec deux ans d’avance. » Près de trois quarts des effectifs sont hébergés sur place. En plus de ces 250 athlètes, internes ou non, le Creps assure des formations dans le domaine du sport pour près de 1 300 personnes par an. Une vocation de maître nageur ou de coach vous conduira peut-être sur le site châtenaisien. « Ces métiers sont en tension et ont de forts taux d’employabilité. Nous enregistrons des taux de réussite d’environ 93 % », explique Michel Godard.
La pression monte
À peine rentrée des championnats d’Europe, Alizée Agier doit déjà se replonger dans sa préparation pour les JO et le tournoi de qualification de karaté. Une place dans les trois premières chez les plus de 61 kg lui assurerait son voyage au Japon. « Ce serait le Graal, on passe tout de suite dans une autre dimension », rêve-elle avant ce qui seraient les premiers Jeux. En attendant, elle s’est mise en disponibilité depuis le mois de janvier et vient au Creps deux fois par jour où elle enchaîne séances de musculation, de cardio et de karaté. « Le jeudi et le vendredi sont des entraînements personnalisés pour peaufiner certaines choses. Le rythme est assez intense, donc je vis à côté du Creps pour optimiser mon temps. Avec le centre de santé et les différentes salles de muscu, il y a toutes les infrastructures dont on a besoin. »
Pour Arnaud Grandjean également, « la pression monte gentiment ». Il ne lui reste que trois courses à disputer mais elles décideront de son avenir olympique. Depuis mars, le sportif, malvoyant en raison d’une maladie héréditaire qui entraîne une atrophie du nerf optique, a mis les bouchées doubles pour être à son meilleur niveau et accrocher une qualification pour les Paralympiques dans la catégorie PTVI qui concerne les déficients visuels. « Le triathlon est un sport chronophage avec souvent deux entraînements par jour. Je suis désormais détaché à plein temps [il est ingénieur de métier, Ndlr], ce qui me permet de souffler entre deux sessions et de progresser plus vite. » Son épreuve est composée de 750 mètres de nage, 20 km de vélo et 5 km de course à pied que cet athlète de 34 ans réalise en tandem avec Toumy Degham, son guide. Depuis 2014, il fréquente le Creps pour affiner sa préparation physique et avoir accès à la salle d’hypoxie qui appauvrit l’air en oxygène et recrée l’effort en altitude. « On a ce qu’il se fait de mieux en matériel et en accompagnement et avec les horaires qui m’arrangent. »
Tout athlète passé par Châtenay-Malabry a forcément fréquenté le centre de santé, situé près du nouveau terrain de hockey sur gazon. « C’est le lieu central du Creps, aime à dire Linh Vu Ngoc, médecin du sport et directeur du service médical. Les athlètes, les entraîneurs et même la direction s’appuient sur nous pour assurer la bonne santé des athlètes notamment lorsque l’on a des plus jeunes. » Il y a le côté réglementaire : chacun doit se soumettre deux fois par an à la visite de contrôle, la SMR (Surveillance médicale réglementaire). Mais il y a également le lieu qui soigne tous les maux du quotidien puisqu’ici, les médecins du sport, kinés et podologues consultent à côté des psychologues et d’un diététicien. Les athlètes, dont le corps est régulièrement mis à rude épreuve, y sont bichonnés. À une vitesse tranquille de 8 km/h, la foulée se fait pourtant lourde pour Armand. Et pour cause, le jeune fleurettiste trottine dans le bassin hydro-physio, sur un tapis de course immergé dans un mètre d’eau. La fin de la rééducation approche pour ce sportif qui se bat depuis un an et demi pour soigner une fissure au tendon situé au niveau du genou. Les sensations reviennent, petit à petit. « Ce bassin permet de travailler les appuis au sol et est plus difficile pour les muscles et le cardio, mais plus doux pour les articulations », explique Cassandre Depelchin, kiné du sport au pôle France d’escrime. Avec la salle d’hypoxie, ce bassin est l’un des « bijoux » du centre, rempli de machines de mesure et de rééquilibrage du corps humain. « Il a été agrandi afin de mieux rayonner sur les pôles et d’offrir plus de matériel technique pour permettre aux athlètes de performer », poursuit Linh Vu Ngoc.
Les yeux de tous ces sportifs sont fixés sur Tokyo, qu’ils vivront de près ou suivront de loin en attendant leur tour. Mais pour le Creps, le compte à rebours est déjà enclenché.
Paris après Tokyo
L’an dernier, le site a été labellisé « Centre de préparation des Jeux Olympiques et Paralympiques », ce qui lui permet d’accueillir des délégations venues des 206 comités nationaux olympiques et 184 comités paralympiques mondiaux. Actuellement, une quinzaine de groupes prend ses quartiers chaque année pour préparer des compétitions internationales. « Notre souci est de créer des lieux de vie pour les équipes qui préparent les JO et qui veulent prendre leurs marques », explique Michel Godard. Toujours d’ici trois ans, le Creps va totalement se réorganiser puisque les infrastructures sportives et administratives vont se concentrer sur la partie haute du site. « Les installations seront plus modernes avec des salles de classe et des gymnases supplémentaires et un ensemble plus cohérent », poursuit Michel Godard. De quoi donner les moyens aux athlètes qui passent par Châtenay-Malabry de tutoyer les sommets…
Mélanie Le Beller
www.creps-idf.fr