Il mène l’équipe chargée d’imaginer le futur parc urbain de Paris La Défense. Le paysagiste Michel Desvigne, grand prix de l’Urbanisme en 2011, veut renaturer ce parvis très minéral sans dénaturer le projet d’origine de Dan Kiley.
Le projet originel de conception de la dalle de La Défense de Dan Kiley date d’il y a quarante ans. Il prolongeait l’axe de l’Arc de Triomphe et donnait une perspective au quartier d’affaires. En quoi est-il inspiré du classicisme à la française ?
MD Dan Kiley fait partie d’un groupe de paysagistes américains qui ont su revisiter ces jardins classiques avec une grande modernité. Ils se sont concentrés sur la rigueur des compositions et la beauté des proportions et des tracés. Il reste beaucoup de tout ceci à La Défense : les arbres, les murs… Il s’agit en fait du troisième jardin de l’axe classique majeur imaginé par Le Nôtre : cette partie de La Défense fait sept cents mètres, soit la même longueur que les jardins des Tuileries et des Champs-Élysées. Mais il est probablement le moins connu des trois.
Quels sont donc les défis à relever pour repenser ce parvis sans trahir sa vision ?
MD Le lieu a déjà quarante ans d’existence, il est donc important de s’inscrire dans cette histoire. On va revisiter le jardin classique de manière moderne et jouer avec cet héritage esthétique. Aux États-Unis, il y a entre la puissance de la géométrie et la matière très vivante une assez belle complémentarité que l’on ne retrouve pas à La Défense. Environ 80 % de la surface de ce jardin est minérale. Cette proportion n’a plus de sens aujourd’hui et nous allons donc l’inverser. Bien qu’elle s’inscrive rigoureusement dans le cadre existant, cette évolution changera grandement la perception du lieu.
Parlons justement de ce projet de parc : quelles sont les grandes orientations que vous souhaitez lui donner ?
MD Il s’agit d’un site entièrement sur dalle, avec une forte dénivellation. On y trouve des ouvrages anciens assez complexes et énormément de structures de soutènement où s’imbriquent des murs, des rampes ou des escaliers. Comprendre la nature de ces ouvrages et des sols permet d’analyser les capacités de chargement et de voir où l’on pourra mettre de la terre. Le moment est idéal pour requalifier ces espaces publics : en quarante ans, La Défense a atteint une masse critique de densité et devient un centre d’affaires européen très puissant. Il s’agit donc de lui donner le caractère de jardin qu’il n’a jamais tout à fait eu. La partie de l’esplanade la plus proche de l’Arche va rester minérale car les usages événementiels y sont importants. En revanche, l’autre partie va devenir un parc qui répond aux besoins de la population et au développement des communes alentour. Les arbres de La Défense sont encore en très bon état et nous sommes convaincus qu’il faut les garder. Un socle végétal nouveau va unifier l’ensemble. Il aura deux visages : l’un assez formel, d’une rigueur classique, qui suit le tracé, et un autre avec des parties plus naturalistes et contemporaines. La diversité écologique ne sera pas gratuite puisqu’il y aura des plantes structurantes et une végétation plus fidèle à ce qui existe en Île-de-France comme des couverts arbustifs cohérents d’un point de vue botanique. Ce sera comme un mille-feuilles avec des salles et des ambiances multiples qui réorganiseront tous les usages. La perception de l’ensemble variera selon les situations : vu d’en haut, l’étendue de l’axe de Le Nôtre s’imposera. Vu d’en bas, le regard découvrira des gradins successifs. La troisième perception importante correspond aux vues transversales. Ce jardin ne doit pas être une barrière mais lier les deux parties bordant l’axe.
Ce jardin ne doit pas être une barrière mais lier les deux parties bordant l’axe.
L’établissement public Paris La Défense a lancé des dispositifs expérimentaux et obtenu des retours d’expérience auprès des habitants et salariés. Est-ce important pour un projet d’aménagement ?
MD Sur ce site, on hérite d’une constitution forte avec des usages et des arbres déjà en place, donc il ne manque plus grand-chose si ce n’est les strates basses, la couche la plus simple. On souhaite tous arriver à un résultat à court terme avec un jardin très vite abouti. L’écologue qui travaille dans ce groupement a évalué ce qui pousse ou non car les conditions sont assez diverses en termes d’exposition au vent et à la lumière et de nature de sol. Ce diagnostic écologique est assez unique du fait du processus expérimental lancé à Paris La Défense : beaucoup de choses ont déjà été testées, ce qui permet de voir ce qui marche ou pas et comment les gens le ressentent. Comprendre ce ressenti, les usages existants et les besoins exprimés par les différentes populations va être une manière d’imaginer la future programmation du lieu.
Vous avez travaillé sur un projet de « forêt urbaine » à Paris. Ce modèle peut-il être généralisé dans des endroits comme Paris La Défense ?
MD Mon idée a beaucoup évolué sur ce sujet. La forêt et la continuité écologique ne passent pas seulement par des arbres mais aussi par une multitude de strates végétales. À La Défense, les arbres existent, donc il serait aberrant de les remplacer aujourd’hui. De nouvelles strates basses seront introduites sur ce socle complexe, pour constituer un sol riche, et de petits arbres viendront amplifier la présence des arbres existants. La forêt n’est pas loin !
Vous avez vécu et enseigné aux États-Unis, qui ont une culture de « système de parcs » différente de la nôtre. Comment ce modèle américain peut-il répondre aux enjeux urbains contemporains en Europe ?
MD Historiquement, nous avons aussi à l’ouest de Paris cette continuité paysagère, une succession de structures boisées avec le bois de Boulogne puis le parc de Saint-Cloud et Versailles. Nous ne sommes pas aujourd’hui dans la même situation que les États-Unis, puisqu’il s’agit non pas de construire de nouvelles villes comme au XIXe siècle pendant l’ère industrielle mais plutôt de recomposer ce qui existe. J’ai beaucoup observé le système de parcs américains et on peut faire la même chose à rebours ici, alors même que la ville est déjà constituée. À l’échelle du Grand Paris, nous avons identifié des centaines d’hectares à requalifier. Ils peuvent s’inscrire soit dans la géographie naturelle comme sur les bords de Seine ou soit dans de grandes infrastructures, par exemple le long des grandes voies rapides.
Les projets de paysagisme s’inscrivent dans des temps généralement longs. Un paradoxe à une époque où les effets de l’aménagement doivent se voir rapidement ?
MD C’est un sujet éternel ! Une grande partie de notre métier consiste effectivement à jouer avec le temps. Mais là où les bâtiments des architectes peuvent parfois se dégrader, nous, nous avons la chance d’accompagner un être vivant. Aujourd’hui, nous concevons nos projets comme une succession d’étapes où le résultat doit être intéressant à tout moment. Cela suppose effectivement que nos missions soient longues et j’ai d’ailleurs des projets sur lesquels je travaille depuis trente ans ! Mais on revient dessus, on revisite, on améliore, on recompose et parfois, les proportions s’inversent, les pleins deviennent des vides et vice-versa. Nos jardins peuvent se concevoir comme des successions de jardins. Je trouve cela très joyeux car si les proportions sont inaliénables, la matière et les usages peuvent ainsi évoluer. Agir par couches successives au fil du temps est pertinent : ce qu’on dessine devient beaucoup plus juste.
Paris La Défense mis en parc
Le projet lancé par l’établissement public Paris La Défense auquel participe Michel Desvigne consiste à transformer l’esplanade en un vaste parc urbain de sept hectares, sur six cents mètres de long et vingt-et-un de dénivelé entre les bassins Agam et Takis. Au terme des études effectuées cette année, l’équipe pluridisciplinaire composée d’ingénieurs, d’architectes, de paysagistes, d’écologues et d’urbanistes va établir les futurs grands principes d’aménagement, en vue d’un démarrage des travaux dès la fin de cette année.