Claude Bourguignon, agronome et conférencier. Photo : © DR
Nichée au cœur du parc départemental des Chanteraines, classé EVE (Espace végétal écologique), la Ferme pédagogique accueille Claude et Lydia Bourguignon, célèbres ingénieurs agronomes, pour un projet de transformation du site en permaculture.
Vous animez un cycle de formation en permaculture pour l’équipe de la Ferme pédagogique des Chanteraines. Qu’est-ce que la permaculture peut apporter à un site déjà labellisé EVE par Ecocert ?
Claude Bourguignon : La permaculture est une approche holistique. Tout est relié, plantes, arbres, animaux : c’est important de connaître ces liaisons pour éviter de commettre certaines erreurs. C’est cette approche globale, qu’on appelait auparavant équilibre agro-sylvo-pastoral, avec le champ, la forêt et la prairie interconnectés. Par exemple, si nous avons une haie, comme ici, elle va remplir un grand nombre de rôles : protection contre le vent, aliment et apport de minéraux pour le bétail, d’ombre l’été, de pollen pour les insectes mellifères, d’abris pour les oiseaux qui vont manger les ravageurs des cultures, protection des sols lors des grosses pluies, support pédagogique pour le public… Une haie n’est pas un simple alignement de végétaux, c’est un écosystème complexe qui remplit des rôles très importants pour la biodiversité, pour la ferme et la santé des animaux. Saviez-vous qu’une vache ne doit pas brouter que de l’herbe, mais aussi manger le feuillage pour avoir suffisamment de calcium ? Une vache dans un enclos qui dispose d’une haie aura un squelette de bien meilleure qualité…
L’objectif de cet accompagnement qui se déploie jusqu’en mars 2022 est de transformer la ferme en site permacole. En quoi consiste ce projet ?
C. B. : Avec l’équipe de la ferme (soigneurs, jardiniers, animateurs…), nous allons repenser le design de la ferme. Par exemple : envisager un poulailler mobile afin que le potager, profite directement du fumier des poules – un excellent engrais -, et voir si, accolé à la serre, le poulailler pourrait aussi lui fournir naturellement de la chaleur l’hiver. Le but de la permaculture est de dépenser le moins d’énergie possible, et bien que tout se fasse à la main, créer une économie de gestes et de temps.
Nous allons également nous pencher sur les outils pour privilégier les instruments les plus économiques et les plus ergonomiques. On peut également optimiser la récupération de l’eau du toit pour servir à l’arrosage des plates-bandes ou au remplissage des bassins de la basse-cour, penser à un chauffe-eau solaire. L’eau est un élément central : pour abreuver, donner de la fraîcheur, accueillir une faune utile. L’objectif est que les différents éléments s’enclenchent ensemble pour que tout devienne aisé et forme un écosystème résilient.
Ce meilleur emploi de l’énergie a des applications très concrètes, notamment au potager : en bio, on joue sur l’association des plantes pour qu’elles « s’entraident » ; et en permaculture ?
C. B. : En permaculture, on regroupe les plantes selon leurs besoins nutritifs : cela évite d’avoir à étaler le compost sur toute la surface du potager, c’est un gain d’énergie pour le jardinier et tout bénéfice pour les plantes : celles qui sont exigeantes comme les courgettes ou les salades qui montent tout de suite en fleurs si la terre n’est pas assez enrichie, alors que les légumineuses comme les haricots vont souffrir si on leur met de l’engrais et vont faire du feuillage au lieu de produire des gousses.
Le travail à la main permet de maintenir une terre fertile. Pour éviter la fatigue, nous privilégions les semis très serrés, avec des rangs tous les 4 cm, pour ne pas avoir de désherbage et produire ainsi quatre fois plus de plantes sur la même surface. On sème pour cela côte à côte des plantes qui ont des cycles de vie différents : radis (18 jours), salades (50-60 jours), carottes (120 jours), choux (150 jours). Le radis récolté, la salade peut grossir, et laisse ensuite la place aux carottes, puis les carottes aux choux.
L’animal est indispensable à la bonne santé de ce système : les poules grattent et mangent les parasites, les ruminants donnent un fumier riche en azote (nitrates) indispensable aux plantes, le cheval fournit sa force de traction sans tasser les sols. Et son crottin permet de faire les couches chaudes pour cultiver en plein hiver.
Propos recueillis par Laurence De Schuytter