Le Grand Canal, l’Octogone et les cascades du parc départemental de Sceaux ont fait l’objet d’une ambitieuse campagne de restauration. Une remise à flot au sens propre qui s’accompagne d’une passerelle et d’un embarcadère sur les grandes pièces d’eau.
Neuf fois de suite, autant qu’il y a de bassins dans ces cascades, l’eau dégringole la pente jusqu’à l’Octogone, vingt mètres plus bas. Un jeu de perspective que rien n’annonçait depuis l’allée de Diane, ménagé par l’habile Le Nôtre. « C’est spectaculaire, juge Jean-Michel, un riverain d’Antony, habitué du parc, à pied et à vélo. L’eau qui coule entre en harmonie avec l’activité que l’on fait. » De son côté, Patricia découvre les lieux : « Je suis arrivée hier soir chez mon fils à Bourg-La-Reine et dès ce matin nous sommes venus à Sceaux. C’est vraiment très beau. Si je reviens avec un livre, je reste tout l’après-midi. » Après une longue attente, cette remise à flot est un petit événement. « Pendant le chantier, les usagers avaient tendance à contourner le secteur mais ils sont très vite revenus ! », constate Jérôme Houvet, responsable technique du Domaine. À ces eaux vives répondent celles, miroitantes, du Grand Canal dans lesquelles se reflètent les alignements de peupliers, ou encore les eaux étales de l’Octogone, à peine troublées par un jet central de vingt-cinq mètres, le plus haut du parc.
Génie de Le Nôtre
Ce circuit des Grandes Eaux doit autant aux accidents du terrain situé dans un fond de vallon qu’au talent de Le Nôtre qui sut les exploiter. Dans cette pente le jardinier de Colbert, acquéreur du domaine en 1670, puis de son fils le marquis de Seignelay, installa la Grande Cascade et dans la cuvette marécageuse en contrebas, l’Octogone. En 1677, Louis XIV en personne vint les inaugurer. Le Nôtre fit creuser ensuite le Grand Canal, sur un kilomètre de long, bientôt relié à l’Octogone par le canal de Seignelay.Parmi les ornements de ce grand domaine à la française, contemporain de Versailles ou de Saint-Cloud, figurent aussi dès cette époque de nombreuses statues allégoriques ou encore, au pied du château, les parterres de broderies géométriques, réintroduits en 2013, qui témoignent d’une volonté de maîtrise de la nature. Après cette époque fondatrice, le parc a connu des périodes de moindre entretien, d’abandon voire de saccage pendant la Révolution. Les Trévise, qui héritèrent d’une enceinte dévastée puis le Département de la Seine, qui restaura le domaine dans les années 1930 pour l’ouvrir au public, ont pris soin du bâti comme des jardins si bien qu’il demeure aujourd’hui intact dans ses grandes perspectives.
Rénovation d’ensemble
La dernière intervention d’envergure sur les perrés qui enserrent les pièces d’eau remontait aux années 1970, peu après que le Département a pris les rênes du Domaine. Ces derniers temps les cascades donnaient, elles aussi, des signes de faiblesse. Une restauration globale a donc été retenue. Les études préalables ont été confiées à l’architecte en chef des Monuments historiques Jacques Moulin, spécialiste du siècle de Louis XIV, Colbert et Le Nôtre, déjà intervenu à Versailles ou encore à Vaux-le-Vicomte. « Depuis le début du XXe siècle, le Département de la Seine et son successeur le Département des Hauts-de-Seine n’ont cessé d’embellir et de faire évoluer ce parc, souligne Georges Siffredi, président du Département. C’est dans cet esprit de conservation, de valorisation et de transmission que nous avons engagé cet ambitieux chantier de restauration. » Neuf millions et demi d’euros ont été investis dans cette opération, « une somme importante mais toute relative par rapport aux 3,5 millions de visiteurs qui fréquentent ce parc chaque année ». Lancés en septembre 2019, les travaux se sont terminés au printemps dernier, en dépit d’une courte interruption due au premier confinement. Les installations ont été inaugurées lors les Journées européennes du patrimoine.
Le circuit des Grandes Eaux doit autant aux accidents du terrain qu’au talent de Le Nôtre.
Cascades « Art déco »
Pendant près de cinq ans les cascades, si plébiscitées du public, seront restées à l’arrêt. « Des fissures étaient apparues dans les maçonneries car le sol argileux a tendance à s’affaisser et à s’effondrer par endroits. Ces infiltrations d’eau, à leur tour, avaient tendance à accentuer les mouvements de terrain, rappelle Jean Schnebelen, chef de projet de cette restauration. La toute première opération pour les sauvegarder a été de stabiliser le sol avec des injections de résine expansive. Nous avons pu ensuite reprendre les maçonneries ». Cet ensemble dans le style « Art déco » ne doit plus grand-chose à Le Nôtre mais est l’œuvre de Léon Azéma, architecte du Département de la Seine. La Révolution avait en effet détruit ces premières cascades.Les sept mascarons cracheurs d’eau positionnés en haut de l’ouvrage, œuvre d’Auguste Rodin, classés aux Monuments historiques, ont été mis à l’abri dès le début du chantier. Ils ornaient jadis les fontaines du Trocadéro. Des mains expertes leur ont restitué leur couleur gris foncé, du plus bel effet sur les pierres blondes des maçonneries. Les travaux ont aussi permis de refaire l’étanchéité des bassins de la Duchesse et du perron ainsi que celle des neuf vasques des cascades mais aussi l’hydraulique et les chambres souterraines, réceptacles des eaux de surface. Des matériaux performants ont pour cela été utilisés – canalisations en polyéthylène haute densité et en acier inox…Grâce à cette modernisation, les cascades fonctionnent désormais tous les jours. Dans leur prolongement, l’écrin végétal qui « s’était progressivement éloigné de ce que Léon Azéma avait imaginé » a lui aussi été restauré. Les jardiniers ont procédé par petites touches : les abords des cascades ont ainsi été ré-engazonnés, des fusains nains soulignent à nouveau les bordures des bassins et sur les terrasses des topiaires de lauriers ont été réinstallés. Enfin des haies d’ifs ont pris la place des buis et des tilleuls celle des marronniers des allées, qui dépérissaient.
Sur les perrés de l’Octogone, du canal de Seignelay et du Grand Canal, le linéaire est de près de trois kilomètres et les travaux effectués, invisibles depuis la remise en eau, n’en sont pas moins considérables. Une vidange totale « qui aurait pu affecter la stabilité des berges, et faire dépérir les arbres d’alignement ainsi que les poissons » a pu être évitée grâce à un ingénieux système de digues mobiles. Des précautions ont été prises aussi pour éviter les rejets de laitance de ciment, préjudiciables à cette faune aquatique. D’une grande technicité, ces opérations ont imposé par endroit la mise en place d’îlots flottants et ont été plus ou moins lourdes. Sur trois cents mètres, la partie nord-est qui menaçait de s’effondrer a dû ainsi être entièrement reconstruite. Huit cents autres mètres ont été consolidés par l’adjonction d’un mur en L à l’arrière du mur existant. Les perrés restants ont été renforcés et remaillés. Les murs ainsi restaurés abritent dix « batracoducs » pour les grenouilles et crapauds du site. « Les parois verticales des perrés constituaient un obstacle, explique Jérôme Houvet. Ces tunnels leur permettront de circuler entre le milieu aquatique et la terre ferme. Ils passent sous l’allée pour déboucher dans la végétation, ainsi il n’y a aucun risque d’écrasement. » « Le sujet est très sérieux, souligne Georges Siffredi. Le Domaine est depuis dix ans labellisé Espace vert écologique et cette certification témoigne de l’importance que nous accordons aux enjeux environnementaux. » Enfin les bords de l’Octogone ont troqué leur simple maçonnerie de moellons contre une margelle en calcaire dur, plus fidèle à l’allure qui était la leur au XVIIe siècle. Déjà, les pêcheurs utilisent cet espace comme ponton.
Passerelle
Dans le même esprit, deux nouveaux aménagements renouent avec le jardin historique. Une passerelle jetée sur le canal de Seignelay, tout d’abord, qui ouvre de nouvelles possibilités de promenade : « On a retrouvé la trace sur des gravures du XVIIIe siècle d’un “pont neuf” sur le canal de Seignelay. Cette passerelle, suggestion de notre architecte, permet d’adapter la restauration d’ouvrages historiques aux usages contemporains ». Ce discret ouvrage de vingt-deux mètres de long, sans rembardes, constitué de deux piles, d’une structure métallique et d’un plancher de bois, se fond dans la perspective allant de l’Octogone au pavillon de Hanovre. Selon Jérôme Houvet, le public s’en est immédiatement emparé : « Il y a un engouement, on a l’impression que les gens attendaient cela depuis longtemps ». Des gravures et des photographies attestent par ailleurs d’une pratique de la navigation sur les pièces d’eau, qui a conduit à créer, seconde nouveauté, un embarcadère sur le Grand Canal. Celui-ci a été implanté au sud du parc dans le secteur de la Grenouillère, déjà équipé d’un manège, d’un théâtre de guignol et d’un kiosque alimentaire. Début 2022 on pourra y louer des barques. Longtemps endormis, les sept hectares de plan d’eau redeviendront dès lors un lieu de promenade à part entière.
Pauline Vinatier