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LE VOYAGE, AU COIN DE LA RUE

À partir d’une sélection de leurs photos, ils ont rédigé des textes dont une partie est exposée au musée départemental Albert-Kahn. CD92/Olivier Ravoire

Le musée départemental Albert-Kahn et la Maison de Chateaubriand s’associent pour une résidence artistique. Environ deux cents jeunes ont travaillé sur la thématique du voyage en mêlant texte et image.

Le musée départemental Albert-Kahn et la Maison de Chateaubriand ont proposé une résidence artistique commune.© CD92/Olivier Ravoire

Un reflet dans une flaque, un numéro de salle de classe en gros plan, une perspective de casiers… Les 5e de Léonard-de-Vinci étalent sur la table les impressions de leurs photos prises lors d’une première session à travers leur quartier de la Butte-Rouge. C’est désormais l’heure des retrouvailles entre eux, Marc Wiltz, écrivain, et Andréa Eichenberger, photographe. Ces deux intervenants ont procédé à une première sélection de clichés. « Levez-vous pour les regarder et identifiez celles que vous avez faites », leur enjoint Andréa. « Celle-là, c’est la mienne, elle est super-belle ! », s’enflamme un des élèves. Pour l’heure, la beauté passera au second plan car le moment est venu de raconter une histoire à partir de ces instantanés du quotidien. « Des photos, ils en prennent tous les jours avec leurs téléphones mais sans sensibilité artistique, explique Marc Wiltz, fondateur d’une maison d’édition spécialisée dans le récit de voyage. On leur demande d’aller plus loin que la simple description des images. » Grace et Anne-Joëlle ont vu certaines de leurs photos retenues dans ce corpus. « On a essayé de prendre des détails que l’on ne voit plus forcément dans la cour ou les classes. Ça nous a fait prendre conscience de ces petites choses. » Hamza, lui, avoue prendre régulièrement des photos « à la va-vite » avec son téléphone. « Là, on fait plus attention à la vie autour de nous », poursuit Wassim.

Prendre des photos de son collège pour faire regarder autrement le quotidien.

Docteur en anthropologie, Andréa Eichenberger base son travail sur la rencontre et les liens entre photographie et sciences sociales. Cette artiste franco-brésilienne encourage les collégiens à aller chercher les petits détails dans les paysages urbains qui vont nourrir l’imagination pour l’écriture des textes. En deux séances, elle est déjà ravie du travail opéré par les élèves. « Il y a des choses très intéressantes, des images certes descriptives mais d’autres très poétiques avec une atmosphère qui leur donne un aspect très particulier. » À elle maintenant de donner à ces jeunes le recul nécessaire pour provoquer l’émerveillement et leur faire regarder autrement le quotidien, « comme si la vie de tous les jours était un voyage ». Pour Marc Wiltz, l’objectif est aussi de « donner une sensibilité artistique à des jeunes qui n’ont pas un accès spontané à la culture. Si on peut éveiller leur curiosité, c’est gagné ! » L’exercice leur permet enfin de s’exprimer, d’écrire et de faire travailler leur créativité. « C’est l’ouverture au monde pour eux ! Le voyage, c’est le décentrage et c’est une notion toujours très importante d’un point de vue éducatif. Ils prennent conscience de leur environnement et qu’ils peuvent voyager autour de leur collège », explique Shirel Bensimhon, leur professeur de français.

ADN des deux musées

« Voyages (extra)ordinaires » est un partenariat inédit entre deux musées départementaux. D’un côté, l’image avec Albert-Kahn et ses autochromes prises par les opérateurs des Archives de la Planète aux quatre coins du monde. De l’autre, le texte avec la Maison de Chateaubriand, écrivain dont la vie a elle aussi été jalonnée par la découverte d’autres contrées. Ne restait plus qu’à créer le dialogue entre les deux. « Le thème du voyage était une évidence tant il relève de l’ADN de chaque musée », résume Anne Dubois, chargée de médiation et d’action culturelle au musée départemental Albert-Kahn. Ce projet touche deux cents jeunes de Châtenay-Malabry et Boulogne. « Nous voulions croiser les publics. Chaque musée menait des actions fortes à l’échelle locale, ce projet agit comme une caisse de résonance, poursuit Anne Dubois. Nous voulions également nourrir l’action culturelle en milieu scolaire sans oublier les jeunes adultes entre 15 et 25 ans. » Pendant plusieurs mois, chacun de leur côté mais toujours encadrés par les deux intervenants, les jeunes ont créé leur propre carnet de voyage. « L’idée était d’inviter les jeunes à réfléchir sur leur rapport à leur environnement et à l’image à travers différentes formes », explique Blandine Leclerc, chargée des actions éducatives et de promotion à la Maison de Chateaubriand.

Deux cents jeunes ont travaillé sur un récit de voyage avec texte et photos, accompagnés par une photographe et un écrivain.© CD92/Olivier Ravoire

Confiance en soi

Ce travail de création inclut également les élèves de l’internat du collège Jacqueline-Auriol de Boulogne, en remobilisation scolaire. C’est à leur tour de recevoir la visite des deux intervenants. Appareil en main, les voilà partis dans les couloirs pour prendre des clichés qui vont réenchanter le quotidien. Dans la cuisine, Erwan a les idées qui fusent. « Je vais mettre de l’eau dans la main et essayer de prendre le reflet en photo. » Sur l’écran, des images audacieuses défilent. « Je fais de la photo pour le plaisir, comme un passe-temps, raconte le collégien. Je vais dans la rue et je photographie des insectes en gros plan par exemple. Là, j’ai vu par la fenêtre une statue que je n’avais jamais vue avant, donc je l’ai photagraphiée. » Anaïs et Inaya ont choisi de faire équipe et de symboliser leur amitié en photo. « On pensait que se servir d’un appareil allait être dur mais finalement non, et c’est génial. » Après la prise de vue, le duo va devoir rédiger un texte sur leurs clichés. « On aime moins écrire mais si on trouve l’imagination, ça va aller. » Dans un coin de la salle, Joséphine El Khazen, leur professeur de français, ne peut que constater l’implication de ses élèves. « Ils sont vraiment très reconnaissants et sensibles au fait que des adultes prennent le temps de s’intéresser à eux. Ici, on travaille sur deux axes : l’accompagnement et des projets de ce type qui les raccrochent au monde scolaire », souligne-t-elle. Cette rencontre est également suivie par la médiatrice éducative de l’établissement. « Notre objectif est de travailler sur la persévérance scolaire et la confiance en soi. Cet atelier développe leurs compétences scolaires et extrascolaires », ajoute Karima Mountasir. Dernier public concerné, une quinzaine de jeunes de l’unité de médecine pour adolescents de l’hôpital de jour Ambroise-Paré de Boulogne présentant des troubles de l’humeur et de la socialisation. Pour eux, ce projet est un premier pas sur le chemin de la réinsertion…

Ces partenariats entre musées départementaux sont appelés à se développer puisque l’an prochain, Albert-Kahn et le Domaine de Sceaux réitèreront l’expérience. Avec un thème déjà tout trouvé : le végétal. 

Mélanie Le Beller

 

Un travail valorisé

Une fois les textes finalisés, les deux intervenants ont procédé à une sélection de textes et d’images réunis sous une forme éditoriale. Ce projet fait également l’objet d’une exposition dans la salle des Plaques du nouveau musée départemental Albert-Kahn à l’occasion de la Nuit des Musées, le 14 mai prochain. Pendant cet événement, les deux intervenants présenteront le travail mené avec l’ensemble des jeunes. L’exposition sera visible jusqu’au 26 juin.

albert-kahn.hauts-de-seine.fr, vallee-aux-loups.hauts-de-seine.fr

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