Le Jardin des Métiers d’Art et du Design, créé par le Département, accueille depuis l’été ses premiers résidents dans un lieu pensé pour l’innovation et la préservation des savoir-faire.
Suspendus à un portant de métal noir, rappelant le fer forgé des verrières irradiant le showroom, un fin bridon de cuir et une selle d’équitation sont au centre de l’attention. Ces pièces d’exception, disposées dans la grande galerie du Jardin des Métiers d’Art et du Design pour son exposition inaugurale, captent tous les regards des officiels réunis, le 10 septembre dernier, pour l’inauguration de ce nouvel équipement culturel du Département. « Approchez, Sophia, approchez ! ». Impressionnée par la foule, l’artisan se fraye timidement un chemin à travers l’aréopage de curieux admirant ses deux créations. « Sophia est une excellente représentante de cette joyeuse communauté qui nous a rejoint », s’enthousiasme Grégoire Talon, le directeur du JAD, avant de laisser la jeune femme présenter son travail. Sophia Zakabloukowa, sellière garnisseuse-harnacheuse de formation, fait partie des onze premiers artisans et designers sélectionnés pour faire vivre ce lieu inédit, situé à proximité de la Cité de la Céramique de Sèvres. Designer coloriste, héliograveuse, ébéniste, tisserande, sculpteur sur bois… Tous ont été séduits par le projet novateur du JAD, conciliant esprit d’innovation, émulation créative et démarche de transmission.
Co-création et émulation
« Auparavant, je travaillais dans un atelier-boutique à Saint-Cloud, confie Sophia Zakabloukowa, déjà détentrice du label départemental Artisan du tourisme. Après un processus de sélection exigeant, j’ai été choisie pour rejoindre ce magnifique endroit. J’en ai pleuré de joie, parce que ces deux dernières années ont été assez compliquées pour moi, avec la crise sanitaire. Je m’étais perdue, je ne créais pratiquement plus… Plus qu’une reconnaissance, mon entrée au JAD va me permettre de reprendre les projets que j’avais abandonnés ». Petite fille de cosaque et de costumière, Sophia Z a, selon son propre aveu, l’équitation et le travail du cuir « dans le sang ». Toutefois les cavaliers ne représentent pas la totalité de sa clientèle, puisqu’elle confectionne aussi bien des selles de moto et des pièces d’ameublement. Autant d’applications de son savoir-faire amenées à se diversifier, grâce au dialogue avec les autres résidents évoluant, une fois passé le seuil de leur atelier privatif, dans un lieu imaginé pour encourager le partage et l’émulation. « Le JAD est un lieu unique, qui permet de créer des synergies entre artisans d’art et designers, souligne Albane Salmon, ébéniste. Il pourrait me permettre de m’initier à d’autres matériaux, comme la céramique ou le textile. Et puis, il incite à la co-création entre résidents et offre la possibilité de multiplier nos opportunités commerciales, en profitant du réseau des uns et des autres. »
Travail de bois locaux, récupération des chutes… Les résidents s’inscrivent dans une démarche durable.
Un atout, dont a déjà profité Carole Calvez, designeuse olfactive spécialisée dans la conception d’expositions augmentées. « Marie Levoyet, l’héliograveuse qui occupe l’atelier jouxtant le mien, m’a recommandé une artiste photographe qui veut travailler sur les odeurs, explique la créatrice de parfum. Avant d’entrer au JAD, je travaillais seule mais j’ai eu envie d’une autre expérience. Je souhaite maintenant œuvrer en collaboration avec d’autres professionnels, notamment autour de la relation texture-odeurs et la manière dont ces deux éléments peuvent coïncider. »
Pour un artisanat plus durable
Au-delà du compagnonnage intellectuel, Carole Calvez, installée dans un des espaces donnant sur le Domaine national de Saint-Cloud, cherchait un moyen de poursuivre son travail de transmission auprès du grand public. « Le volet éducatif du JAD est crucial à mes yeux. Il permet de mettre en lumière mon métier, qui nécessite une véritable initiation. J’y participe déjà grâce à une association, qui travaille sur l’éveil olfactif dès la crèche. Les ateliers que j’anime ont toujours du succès et créent du lien entre leurs participants. Les odeurs sont propices au partage de souvenirs, les gens entrent rapidement dans l’intime. »
« Le JAD témoigne de la volonté de notre Département de soutenir l’ancrage et le développement de ces métiers, qui demandent des savoir-faire pointus et des compétences parfois devenues rares, explique le président du Département, Georges Siffredi. Avec cette réhabilitation, à laquelle nous avons consacré un investissement de 13 millions d’euros, le Département s’inscrit dans une logique de continuité et de transmission ». Au croisement de la tradition et de l’innovation, le JAD porte également une réflexion autour des matériaux et des procédés de fabrication plus respectueux de l’environnement. Cuir tanné végétalement, travail de bois locaux, récupération des chutes… Certains résidents s’inscrivent déjà dans une démarche durable. « J’ai imaginé il y a quelques temps, en collaboration avec un laboratoire de Mulhouse, le Gélotextile, raconte Rose Ekwé, designeuse éveillée aux problématiques modernes du prêt-à-porter. Il s’agit d’un tissu à base de lin, de chanvre et d’un fil innovant, ayant des propriétés hydratantes, hypoallergéniques et même cicatrisantes. »
Matière bio-sourcée, le Géotextile est intégralement compostable et laisse imaginer divers débouchés industriels. « J’espère pourvoir ouvrir ma pratique à d’autres usages, grâce au parc de machines du Makerlab. On peut en effet tisser toutes sortes de choses : du bois, du métal et même de la pierre ! »
Nicolas Gomont
le-jad.fr