Le Département a choisi l’architecte provençal pour l’aménagement du musée du Grand Siècle qui accueillera, à l’horizon 2026, la collection Rosenberg.
Rencontrer une célébrité est un lancer de dés : entre l’admiration pour l’œuvre et la crainte d’être déçu, on ne sait jamais quel tirage va sortir. Avec Rudy Ricciotti – « architecte provençal » ainsi qu’il s’amuse parfois à signer des courriers agacés -, une fois passée l’épreuve de la provocation flamboyante derrière laquelle il dissimule sa sensibilité, on ne peut être que « déçu en bien » comme on dit dans la francophonie romande. L’intensité du personnage est à la hauteur de ses projets, sans cette distance qu’il reproche à l’architecture minimaliste et conceptuelle d’influence anglo-saxonne : « Elle dédouane de toute responsabilité. Je ne suis pas un Anglo-Saxon, je suis un Latin culpabilisé, au sens existentiel ».
Être méditerranéen
Né il y a 70 ans dans la banlieue d’Alger où travaillait son père maçon, descendant d’immigrés italiens – « et 1/8e gitan ! » -, Rudy Ricciotti a grandi à Port-Saint-Louis-du-Rhône, dans la Camargue pauvre. Élève mauvais en tout, il raconte son « big bang » : « En classe de 5e, un vieux monsieur, communiste, me donnait des cours de math dans son HLM. Un jour, il me dit : “Rudy, tu sais ce que c’est, la géométrie ? C’est l’art de raisonner juste sur des figures fausses”. Dès ce jour-là, je me suis dit que ce que je voyais n’était pas la vérité. Cela m’a donné l’anxiété nécessaire pour affronter mon futur d’adulte. »
L’agence Ricciotti est à Bandol, lui vit à Cassis – deux terroirs viticoles qui lui vont bien, comme lui va bien la perspective du Cap Canaille depuis son jardin quelques mètres au-dessus de la Méditerranée. « Cette mer de fou entourée de cinglés » imprègne beaucoup de ses projets. Palmes et moucharabiehs, y aurait-il une patte Ricciotti ? « Je n’en ai absolument pas conscience, ce n’est pas du tout l’esprit de mon travail, chaque projet est différent. Mais je suis ému qu’on me le dise. Y aurait-il quelque chose de moi-même que je ne connaîtrais pas ? Je crois que le point commun serait une certaine forme de féminité, introduire de la féerie et de la poésie, mais sans le manifester. »
Architecte est un métier où vous n’avez pas besoin de faire de psychanalyse. Vous savez qui vous êtes, ce que vous valez, il ne faut pas tricher. Le réel ne pardonne rien.
Architecture populaire
Questionné à propos du nombre de musées réalisés dans sa carrière – le MuCEM à Marseille, le musée Jean-Cocteau à Menton, le département des Arts de l’Islam au Musée du Louvre pour ne citer que les plus célèbres -, Rudy Ricciotti répond que c’est un hasard : « Je me méfie terriblement des musées qui ne partagent pas avec le peuple des émotions collectives. Le projet du musée du Grand Siècle n’a pas pour objet d’épater la galerie. Je suis un architecte réactionnaire, au sens le plus réactif à la modernité : je prends mes responsabilités et je veux que ce musée soit un musée populaire. Ne serait-ce que par fidélité au rêve de M. Devedjian ». Les bâtiments de l’ancienne caserne Sully ont ainsi constitué un défi et une certaine séduction : « Il fallait déjà avoir de l’empathie pour le site, cette caserne de cavalerie, au bord d’un rond-point, qui porte le nom de Charles X ! Le côté “Quasimodo” du site et des bâtiments m’a beaucoup intrigué. J’avais dans l’idée que Quasimodo rappelle qu’il a un sourire et une tendresse. Quand je fais le MuCEM à Marseille, j’essaie de dire que Marseille a aussi une tendresse. Le MuCEM a touché le cœur des visiteurs, la Manufacture de la mode Chanel a touché le cœur des employés et des artisans. J’ai la chance de savoir toucher le cœur des publics. »
Cohésion sociale
Au musée du Grand Siècle, le pavillon du Belvédère incarnera la féerie, tout en manifestant l’engagement de Rudy Ricciotti envers le béton, matériau d’exception dont il souligne l’empreinte écologique favorable : « C’est un matériau de proximité, non spéculatif, on le produit sur place. On n’a pas besoin de piller les ressources de l’autre côté des mers, hors de vue. Il y a dans la treille en béton tressé du pavillon du Belvédère une idée du floral, à mi-chemin entre Guimard et Viollet-le-Duc. Et pourtant chaque brin de béton pèse plus d’une tonne. » Sur les questions de structure, Rudy travaille avec son fils Romain, diplômé de l’École des Ponts-et-Chaussées, une star de l’ingénierie et aussi avec son autre fils Enzo, architecte confronté au réalisme combattant de ce métier. C’est une histoire de famille, grand-père inclus. « Je suis un architecte manipulateur : je manipule l’énergie et le savoir-faire des autres, c’est mon métier et, à 70 ans, je sais très bien le faire. Le béton, en plus, est tributaire d’une main-d’œuvre nombreuse. J’essaie de faire en sorte que nos projets génèrent des emplois en France. C’est devenu une obsession : défendre une mémoire du travail territorialisée, c’est une manière de défendre la cohésion sociale. »
Didier Lamare
museedugrandsiecle.hauts-de-seine.fr