Au centre de la nouvelle façade translucide, un énorme œilleton évoque le nez des dirigeables dont le bout pointait jadis de ce côté nord du bâtiment. « Lorsque La France a décollé en 1884, ce côté n’était pas encore fermé par de la brique. Notre propos était de restituer cette transparence d’origine tout en protégeant l’intérieur du hangar, explique Didier Gouband, l’un des artisans de cette renaissance.Cette façade est l’œuvre contemporaine sur le bâtiment. » Le hangar, dont les volumes ont été pensés à la gloire de la Révolution industrielle, en impose d’emblée au nouveau venu. À l’intérieur, une baudruche métallique, œuvre de l’artiste coréenne Lee Bul, plane de tout son long au plafond, monumentale mise en abyme et rappel d’une aventure méconnue. Depuis quarante ans, naufragée dans la forêt, la bâtisse, que les cinéphiles avaient peut-être identifiée dans un film de Jean-Pierre Jeunet, ne laissait entrevoir que son toit et entretenait son mystère.
Conquête du ciel
À l’origine simple tronçon de la Grande Galerie des Machines lors de l’Exposition universelle de 1878, le hangar aura eu, si l’on peut dire, un fabuleux destin. Son histoire décolle avec celle de l’aéronautique naissante et de Meudon, où s’implante en 1877 le Centre national d’aérostation militaire. En 1879 il est prélevé et remonté – sur la parcelle Y des plans – afin d’abriter les travaux de Charles Renard et de son adjoint Arthur Krebs. Aux commandes du dirigeable La France, ceux-ci réalisent le premier vol à circuit fermé de l’histoire, revenant à Meudon après une boucle de 7,6 km jusqu’à Villacoublay. Nous sommes en 1884 et la légende du hangar est déjà écrite même si des ballons captifs, les ballons Caquot, y sont produits en nombre pendant la Grande Guerre. Affecté au musée de l’Air et de l’Espace entre 1921 et 1977, il entre ensuite en sommeil et subit les outrages du temps, contenus par des travaux de sauvegarde de l’État. « Il s’agit du dernier hangar à dirigeables de cette taille encore debout. Ce lieu nous reconnecte à notre histoire scientifique et industrielle, explique le maire et vice-président du Département en charge de l’attractivité du territoire, Denis Larghero. Sa réouverture est aussi un signal en direction de l’observatoire astronomique de Meudon et de la grande soufflerie de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales. » Cette autre belle endormie incarne un second rêve d’envol, l’aviation, sur ce plateau décidément tourné vers le ciel. « La réouverture du hangar est aussi un détonateur pour enclencher la restitution de la grande perspective de Le Nôtre », poursuit l’édile. L’axe classique qui se déroule depuis la terrasse de l’Orangerie jusqu’à Meudon-la-Forêt à hauteur du Tapis vert, englobe dans son mouvement l’Observatoire de Meudon, la grande soufflerie et l’étang de Chalais. Un ensemble palimpseste classé depuis 2022 « Domaine national » par le ministère de la Culture.
Battements d’ailes
Il y a dix ans, Didier Gouband, sauveteur de friches d’exception avec sa société Culture et Patrimoine, notamment à destination du tourisme d’affaires, comprend le premier le potentiel de ces dix hectares. « C’était une friche intégrale, végétale et structurelle, se souvient-il. Le hangar n’avait plus de véritable usage depuis le début du XXe siècle ; avec le parc on pouvait en faire une destination passionnante ! » Est également prévue une mise en valeur de l’héritage aéronautique. En 2018 un bail emphytéotique administratif de valorisation de 35 ans, le premier du genre, est passé entre sa société Hangar Y Immobilier et l’État. Mais avec la crise sanitaire l’événementiel a du plomb dans l’aile. Heureusement pour le projet, Frédéric Jousset, patrondu fonds culturel Art Nova, est conquis dès sa première visite du hangar : « On entendait presque les coupes de champagne de l’Exposition universelle et les cris et les hourras face au ballon qui s’élève dans l’air, superposés au bruit des ailes de pigeon quand j’ai poussé la porte », s’enthousiasme-t-il. Il devient investisseur majoritaire. L’ambition est dès lors de créer un lieu hybride, à la double programmation, événementielle et culturelle, la première venant équilibrer la seconde, moins rentable. Bien qu’indépendant de la fondation Art Explora, présidée et fondée par Frédéric Jousset, le projet meudonnais se trouve imprégné par la vision du mécène : « renouveler le rapport de l’art et du public » en combinant ancien et moderne, exigence et art pour tous, intérieur et plein air, sans négliger les nouveaux médias. Il aimerait avoir « le même impact que le Centre Pompidou » en son temps.
« Salle polyvalente »
En l’espace d’un an et demi, le Hangar Y, classé en 2000, a retrouvé sa superbe grâce aux soins de dizaines de compagnons sous la houlette de Vinci Immobilier et des Monuments historiques. Les vitrages, les boiseries et la charpente métallique dessinée par Henri de Dion, professeur d’Eiffel, ont été restaurés. Le pignon sud, percé d’une porte en chêne, a été démonté et remonté brique par brique et les deux mezzanines, dont l’une s’était écroulée, ont été rétablies, offrant 800 m2 de parcours d’exposition. Électricité, fibre, blocs techniques, ascenseur et dalle chauffante en béton brut accordée à l’identité industrielle permettront l’exploitation. « Un principe de réversibilité s’applique pour l’ensemble des éléments neufs, y compris le pignon nord, seulement agrafé au mur. Dans 35 ans, on pourrait tout à fait l’enlever », souligne Didier Gouband. La façade en verre de Data Architectes parachève cette « salle polyvalente » de première classe, équipée d’un café et d’une boutique, vouée aussi bien au spectacle vivant qu’aux assemblées générales. À l’extérieur il a fallu, à nouveau, composer avec l’Histoire. Des percées visuelles ont ainsi été recréées sur la grande perspective et une infime partie des 1 000 arbres abattue. « Pour un enlevé, deux ont été replantés, des essences locales. » La forêt alentour est devenue un bois ouvert à la promenade, doté d’une aire de jeux. Le bassin de trois hectares, entièrement maçonné dans sa version Le Nôtre, abrite une roselière, concession à la nature et à biodiversité tandis que deux pavillons à la toiture en origami, signés Urban Act, se sont posés au ras de l’eau : le premier accueille le restaurant Le Perchoir, dont la terrasse s’avance sur l’étang, le second un espace dédié aux séminaires d’entreprise et aux ateliers pour les familles en fin de semaine : « Éveil à l’astronomie, ateliers Beaux-Arts, yoga et observation de la nature » égrène Didier Gouband. Ces travaux auront coûté 30 millions d’euros.
Exploration artistique
La programmation du hangar « à l’intersection de la science, de la nature et de la culture », se veut inspirée par le territoire. La première exposition temporaire, présentée jusqu’en septembre, a été confiée à Art Explora. Elle montre comment l’épopée des constructeurs du ciel a nourri en retour l’imaginaire et le rêve d’envol des artistes, parfois eux-mêmes concepteurs de folles machines. Le thème était « incontournable, peu traité dans les musées classiques et assez grand public en même temps ». Il saura « intéresser les familles », espère Frédéric Jousset. Le répertoire potentiel pour la suite s’annonce inépuisable : écologie, écosystèmes marins, rêve du voyage, conquête spatiale, nouvelles technologies, grandes découvertes… Sous l’immense nef orpheline de ses ballons, les visiteurs pourront revivre toute l’année l’aventure de La France, coiffés d’un casque de réalité virtuelle. Dans la continuité du hangar, le parc n’est pas « un énième jardin » mais participe de cette exploration. Vingt et une œuvres sont disséminées en sous-bois, signées par des artistes de renom aux prises avec le monde contemporain : Animitas, champ de clochettes qui vibre au gré du vent de Christian Boltanski, Little Mamoth, arbre pétrifié d’Ugo Rondinone, Le Voleur de Stéphane Rinck, créature fantasmagorique couverte de feuilles. Une promenade sonore, conçue par l’Ircam, s’anime sur votre passage. Cette galerie en plein air, qui évoluera au fil du temps, met l’accent sur la vie végétale et animale. « Quand on montre un arbre abîmé ou un animal en cage, cela déclenche des conversations », explique Frédéric Jousset convaincu « qu’une œuvre d’art peut susciter davantage de prises de conscience qu’un rapport du Giec sur le climat ». L’installation de ces sculptures a mis la dernière touche à trois ans de préparatifs et la destination est maintenant prête à embarquer ses visiteurs. « Ce n’est pas un pur lieu artistique, insiste le cofondateur. C’est un lieu de vie, de création puisqu’il y a aura des résidences, de partage et d’inspiration. En Île-de-France, je ne vois rien de directement comparable. » Avec un ticket à dix euros, l’objectif est d’attirer 200 000 personnes par an. Le festival associatif STAR’s UP en septembre ainsi que le week-end de préouverture organisé avec Art Explora en octobre à l’occasion de la foire Paris + Art Basel qui a attiré 10 000 visiteurs, ont montré l’intérêt du public. Après ces ballons d’essai, le 22 mars, l’ancien site militaire, replié sur lui-même, se mue en outil d’exploration du monde, ouvert sur la ville et en perpétuelle réinvention. La fin d’un trop long hiver.
Pauline Vinatier