Le plasticien japonais Kohei Nawa est le créateur de la statue Éther [Égalité] qui se dresse depuis le mois de juin à la pointe aval de La Seine Musicale.
Lauréats du concours départemental, la plateforme d’art digital Danae.io et le plasticien Kohei Nawa ont imaginé un phare pour le vaisseau amiral de la Vallée de la Culture. Une sculpture monumentale et symbolique de 25 mètres de haut qui fait écho à la Statue de la Liberté d’Auguste Bartholdi au pied du pont de Grenelle – réplique réduite de celle de New York – et s’accorde aux facettes chatoyantes de l’auditorium conçu par l’architecte Shigeru Ban.
Designer de son art
Né à Osaka en 1975, Kohei Nawa appartient à ce courant d’artistes designers de leur art qui utilisent les procédés et techniques disponibles, de la modélisation 3D à la fabrication industrielle. La série Éther, une forme qu’il développe depuis plusieurs années, associe le thème de l’égalité avec celui de la gravité. « À notre époque, l’égalité ne doit pas être comprise uniquement comme une réponse aux disparités sociales. Ce travail explore le principe d’égalité dans son sens le plus universel et abstrait. Éther [égalité] est créé en combinant des gouttes d’eau en cascade inversée. Par conséquent, sa forme représente l’état d’équilibre des forces gravitationnelles qui déterminent l’aspect de la goutte. À travers la forme de la sculpture, immobile dans le flux de la Seine, on ressent l’harmonie du monde. Je crois que c’est cette sensation qui peut conduire à l’égalité universelle. » Rajoutant aussitôt qu’il ne faut pas s’arrêter à cette première symbolique : « Il me semble que nous ne pouvons pas résoudre fondamentalement les problèmes de l’humanité sans considérer l’harmonie de la Terre dans toute son étendue, en incluant les animaux, les plantes, les choses inanimées. Notre monde, depuis l’avènement de l’ère moderne, a toujours été confronté au thème de l’égalité, mais dans l’ère à venir, il sera nécessaire d’en élargir le champ de compréhension. »
Vie, science et technologie
Dans son atelier de Kyoto, Kohei Nawa travaille, entre autres formes, les cellules et leur multiplication, à la manière d’un étrange taxidermiste 2.0, sur des séries où des sphères transparentes viennent proliférer à la surface des êtres et des choses. Quand on lui demande quelles sont les origines de son univers artistique, les limites se brouillent entre l’art et la science. « L’un des points de départ de ma pratique créative est mon goût depuis l’enfance pour l’astronomie. Cet intérêt pour la relation entre les myriades d’étoiles, la Terre et les systèmes vivants m’a amené à faire des recherches sur les mécanismes physiques de l’univers. Ces principes scientifiques constituent les thèmes de mon inspiration d’aujourd’hui. Tout au long de l’histoire, les êtres humains ont imaginé et poursuivi des mondes au-delà de leurs cinq sens, du microscopique au cosmique. Une telle curiosité devrait être l’impulsion fondamentale qui relie à la fois la science et l’art. » Une relation qu’il explore à travers les échanges entre les principes du vivant et ceux des systèmes d’information. « Nous pourrions assimiler la vie à un ordinateur qui se programme de manière autonome. Si le mode de traitement de l’information donne sa forme au monde, alors ma préoccupation première est de considérer la vie, la science et la technologie comme un même phénomène, et mon travail est d’explorer les manières dont les trois peuvent interagir. »
Éther [Égalité] est créée en combinant des gouttes d’eau en cascade inversée
Puissance d’évocation
Masquées parfois par un discours à la limite de l’abstraction, les œuvres de Kohei Nawa prennent leur force dans la confrontation directe avec les sens du spectateur. Dans Vessel, sa première collaboration avec le chorégraphe Damien Jalet, il était question de corps anonymes aux visages invisibles, une matière tout à la fois solide et liquide, organique, dérangeante. À la création de Planet [wanderer], leur troisième collaboration, il s’agissait de corps englués dans « la terre centrale des roseaux » – soit notre monde –, une matière noire et pailletée, animée de muscles reptiles et d’énergies premières qu’on ne voit jamais comme cela sur un plateau de danse. Devant La Seine Musicale, l’installation d’Éther [Égalité] entre ainsi en résonance avec l’esprit du lieu. « Ma collaboration avec Damien Jalet m’a ouvert une nouvelle perspective sur la nature complexe de la performance scénique. La sculpture, la musique, le mouvement ou la lumière peuvent constituer chacun une expérience propre ; la richesse de leur entrelacement est spécifique à la scène. »
Qu’il s’agisse de l’égalité universelle devant la force de gravité, de la référence à l’eau dans le cycle de la vie ou de l’extension du domaine du vivant, le souci écologique se retrouve partout dans les images créées par Kohei Nawa. « Ce n’est pas un message explicite que nous souhaitons transmettre, nous souhaitons plutôt faire ressentir le sentiment de crise que nous avons en nous. »
Didier Lamare