Avec le projet départemental Réinvente ton collège, six établissements des Hauts-de-Seine ont entrepris de transformer un ou plusieurs lieux de leur choix après une large concertation. Retour sur cette démarche au collège Victor-Hugo d’Issy-les-Moulineaux.
La salle dispense un calme olympien qui tranche avec l’animation de la cour voisine, sauf bien entendu à l’heure de l’atelier batterie. Le mobilier uniforme et les coloris sages du Centre de documentation et d’information (CDI) ne sont, en revanche, plus qu’un lointain souvenir. « Ce CDI était plein de potentiel avec de beaux volumes et une belle lumière mais un peu sous-exploité, raconte Mouloud Gherbi, principal du collège. Il fallait le faire évoluer sans brusquer les choses. » Réinvente ton collège, projet initié par le Département, a permis d’associer toutes les parties prenantes au réaménagement de cet équipement fréquenté par six cents collégiens. « Ce projet m’a permis de faire un pas de côté sur ma pratique. Même s’il y a eu des débats, il me semble que nous avons pu faire émerger des attentes communes », apprécie, avec le recul, Ludovic Hary, professeur documentaliste. Second espace sur lequel le collège a choisi de travailler dans le cadre de Réinvente ton collège, la classe Ulis (Unité localisée d’inclusion scolaire), qui accueille sous la houlette d’un enseignant spécialisé une douzaine de jeunes en situation de handicap cognitif. « Elle était surchargée et n’était pas équipée pour ces élèves qui ont des besoins spécifiques », poursuit le principal. La réflexion menée sur l’année 2021-2022 a associé dans les deux cas la communauté éducative dans son ensemble.
Les usagers doivent trop souvent s’adapter aux bâtiments et, dans le pire des cas, les subir. Avec Réinvente ton collège, cinq établissements volontaires ont tenté de partir de leurs besoins et de les traduire dans l’organisation de l’espace, en termes de pédagogie et de cadre de vie, inversant ainsi le cours des choses. Six, à vrai dire, puisque le collège Maison-Blanche de Clamart, après avoir répondu à l’appel à projet « Formes scolaires » de l’Éducation nationale, s’est greffé à cette liste qui comprend donc un CDI et une salle Ulis mais aussi un hall (Bartholdi, à Boulogne), des salles d’étude (Gay-Lussac à Colombes), une cour et des toilettes (Romain-Rolland) et diverses salles destinées à devenir autant d’espaces de pédagogie innovante (Yves-du-Manoir à Vaucresson, Maison-Blanche à Clamart).
Croisement des regards
Réinvente ton collège s’inscrit dans la continuité du projet Imagine ton collège qui invitait les élèves à modéliser le collège du XXIe siècle. « Cette fois nous allons un cran plus loin puisque cela débouche sur des aménagements », expose Chloé Davy, qui suit la démarche au sein de la direction de projets « Innovation pour l’éducation et les solidarités » du Département. « Il faut que le collège soit un lieu où les élèves aient envie de se rendre et d’apprendre, mais ils n’ont pas été les seuls consultés. La dimension collective et le croisement des regards sont ici particulièrement intéressants. » Cette concertation s’est voulue généreuse mais progressive, rythmée par différentes phases : définition des besoins avec les différentes catégories d’usagers et séance avec les élèves, approfondissement en groupe élargi, expérimentation si besoin, le tout animé par l’agence C-Coherent, spécialiste de la « maîtrise d’usage ». Céline Tixier, sa fondatrice, s’inspire des principes du design d’objets : « Avant de créer un objet, un designer va essayer de comprendre à quel usage il va servir, explique-t-elle. Le design d’usage procède de la même façon pour les espaces car les usagers ont des manières d’utiliser un lieu et des attentes qu’un expert ne peut pas deviner. »
Photolangage
Avril 2022. Le principal et le gestionnaire, Ludovic Hary et une enseignante de français se trouvent réunis au CDI, où Céline Tixier a dressé son paperboard. Siméon, en 4e, membre du conseil de vie collégienne, a aussi été convié. Des entretiens en aparté ont déjà permis aux différentes catégories d’usagers « de s’exprimer sans retenue ». Cet atelier « doit permettre d’aller plus loin, notamment vis-à-vis des craintes et des réticences, et d’aboutir à des points de consensus. » Parce que les contours du CDI, ni salle de permanence, ni médiathèque, ni même foyer des élèves, ont besoin d’être précisés, ces participants sont d’abord invités à lister sur des post-it des verbes leur évoquant ce lieu. Qu’est-ce qu’un CDI au juste : un endroit pour « travailler », mais comment ? Seul ou en groupe ? Avec quels outils ? Les « geeks » qui en appellent à du « matériel nomade » ne sont pas forcément suivis. Selon Ludovic Hary, le CDI est aussi un lieu où l’on pourrait « réfléchir » et « échanger » davantage : en effet, s’il y anime des ateliers, rares sont les autres enseignants à y intervenir. Puis des images circulent, aidant à mieux se projeter dans le futur CDI : élèves penchés sur leurs tablettes, groupes de travail concentrés, bibliothèque bien garnie… Siméon a retenu pour sa part une pièce d’allure cocooning, avec canapés et lumières tamisées. « Cette ambiance me plaît. On pourrait baisser la luminosité au CDI en fin de journée pour les élèves qui souhaitent se reposer ? » « Mais serait-on encore dans un lieu de travail ? », reprend-il. Le groupe s’accorde en tout cas sur la nécessité d’espaces différenciés. Il n’y a alors plus qu’à improviser un plan avec les souhaits : étagères sinueuses, tables bench allongées, espace de détente… « Discutez entre vous et n’ayez pas peur de faire des “ patates”, ce n’est pas contractuel », blague Céline Tixer.
De la chaise au pouf
La variété des sièges dans le nouveau CDI montre que ces suggestions ont été retenues : chaises hautes, banquette basse isolée par des cloisons, poufs moelleux… Quant aux bureaux et chaises classiques, ils demeurent positionnés au centre de l’espace. « On a gardé la colonne vertébrale du CDI en tant que lieu de travail, symboliquement c’était important, estime Ludovic Hary qui dit hériter d’un CDI « plus accueillant » et en même temps « plus exigeant » où « la différenciation des espaces va demander de responsabiliser davantage les élèves. » Il se réjouit aussi des étagères équipées de roulettes, bien pratiques « pour élargir l’espace lors de l’atelier philo ou du club lecture », sans risquer la tendinite. « Le CDI a vraiment été rajeuni, les meubles ont changé, on se sent comme chez nous. En plus, il y a plein de nouveaux livres », commente Miguel, en 5e. Les collections ont en effet été renouvelées, faisant davantage de place aux séries romanesques et aux mangas tandis que le nouveau coin BD, garni de moquette et de poufs, attire un petit « club de lecteurs ». « Le midi, je viens surtout pour lire », explique justement Alizée, plongée dans la lecture d’un volume de La Guerre des Clans. L’élève de 4e a aussi pris l’habitude de venir sur les temps de permanence pour faire ses devoirs. « Au CDI, quand on ne comprend pas une question, on peut demander de l’aide, c’est l’avantage. » Enfin, les deux salles de groupe ont été fusionnées en une salle plus vaste, en attente de son écran de projection mobile. À cette pensée, Ludovic Hary se prend à rêver d’un ciné-club…
Classe modulable
À l’image du CDI, la classe Ulis comprend désormais plusieurs espaces en un. Les lourdes tables ont ainsi cédé la place à du matériel à roulettes, déplacé en fonction des besoins, et une table rabattable accueille les activités d’arts plastiques. Les élèves peuvent lire ou se reposer dans un espace délimité par un meuble bibliothèque où se logent parfaitement les nombreux livres et jeux adaptés. Des casiers nominatifs participent également au désencombrement de l’espace et offrent des repères rassurants à chacun. « On est passé d’un lieu qui n’était pas du tout adapté à un espace modulable, comme cela peut être le cas dans une classe maternelle, qui prend en compte leur temps de concentration plus court, explique l’enseignant spécialisé Nicolas Durand. L’espace est plus lisible et je trouve qu’ils prennent davantage d’initiatives. Par exemple ils vont d’eux-mêmes aller prendre un jeu dans la bibliothèque. » Après des entretiens avec les élèves, leur professeur et l’AESH (accompagnante des élèves en situation de handicap), les grandes lignes du réaménagement se sont dessinées sans heurts. Dans la foulée, les collégiens ont pu expérimenter les tabourets culbuto, qui, en autorisant de légères oscillations, les aident à conserver leur calme. Enfin, un espace a été ménagé au pied du bureau du professeur pour accueillir Samba, le chien d’assistance, exceptionnel « support pédagogique » présent dans cette classe. Les élèves, en charge de son carnet de santé, prennent soin de lui comme il prend soin d’eux. Un moyen tout aussi efficace, à en voir les sourires et démonstrations d’amitié, de contribuer à l’épanouissement général. Mais ceci est une autre histoire…
Pauline Vinatier