Onze agrandissements du pionnier de la photographie, Eugène Atget, sont exposés en plein air dans le parc départemental de Sceaux, dans le cadre du centenaire de son entrée dans le domaine public.
Si l’expression « piéton de Paris » n’avait été, en 1939, réservée à son usage par le poète Léon-Paul Fargue, elle eût probablement trouvé son bonheur un peu plus tôt dans la personnalité insaisissable d’Eugène Atget (1857-1927). On dit qu’il avait écumé les mers sur les paquebots transatlantiques avant de se vouloir comédien, puis de se désirer peintre, enfin de se découvrir, par des voies détournées, photographe. Un piéton de Paris au pas forcément lourd, qui trimbalait sa chambre à soufflet – il faut essayer aujourd’hui d’imaginer le poids de ces engins dans leurs coffres en bois ! – de quartier en quartier, rue en rue, devanture en devanture, jusqu’à l’obsession. Commencée vers 1890 comme celle d’un faiseur d’images de référence à destination des peintres, sa carrière de documentaliste de la ville s’est prolongée un peu après la fin de la Première Guerre mondiale.
Les travaux de restauration n’avaient pas encore porté leurs fruits dans cette nature proliférante.
On parle de 8 000 clichés sur plaques de verre, tirages sur papier albuminé, épreuves aux tons mordorés constituées en séries – Paris pittoresque, La Topographie du Vieux Paris… – réunies en albums méticuleux décrivant une ville sur le point de s’effacer. Il les vendra comme il pourra, sans beaucoup de réussite : le succès est un mauvais camarade qui attendra la mort miséreuse du pionnier pour en faire un maître. Contrairement aux premiers de ses pairs, Atget ne maquille pas les photos en peintures : par le cadrage, les lumières, le soin du détail, il invente un art photographique autonome dont l’aspect documentaire revendiqué n’interdit pas la poésie. Vers 1920, épuisé et inquiet de l’avenir de sa collection, il s’arrête de courir les rues. Enfin presque. Puisque les dernières séries d’un Atget « marchant vers l’âge, c’est-à-dire vers 70 ans » sont consacrées aux parcs et jardins. Dont Sceaux, sujet de l’exposition en plein air Sur les pas d’Atget, constituée d’agrandissements disposés aujourd’hui au plus proche de l’emplacement de leur prise de vue en 1925. Les travaux de restauration conduits par Léon Azéma, architecte de la ville de Paris, n’avaient pas encore porté leurs fruits dans cette nature proliférante, hirsute, presque sauvage, qui ronge les marches, les margelles et les statues.
Nous sommes en mars à la sortie de l’hiver, nous avançons dans les herbes folles jusqu’à l’été. Le vide, essentiel à la poésie visuelle d’Atget, a dans ces œuvres de l’âge quelque chose de vaguement inquiétant. On imagine déambuler dans le parc en friche sa silhouette vampirique, telle que saisie par la jeune photographe américaine Berenice Abbott. Par les teintes sépia, on pense immédiatement au cinéma de Murnau ; par les sujets de pierre fissurée, à l’œuvre d’Edgar Alan Poe. Et, par la confrontation entre la réalité du domaine au XXIe siècle et son souvenir d’il y a cent ans, aux émotions la mémoire bercée entre le temps perdu et le temps retrouvé.
Didier Lamare
Sur les pas d’Atget, en plein air à partir du 9 mars et jusqu’en décembre.
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