Peintre, Richard Dhoedt a fait partie de l’atelier qui a construit, de 1985 à 1988 la Tour aux figures. Trente ans plus tard, il est cette fois chargé des travaux de restauration lancés par le Département.
La Tour aux figures est la tentative d’un autre monde
Trente ans après avoir été érigée, la Tour aux figures va être restaurée sur l’Île Saint-Germain à Issy-les-Moulineaux. Enfin ?
RD Oui car nous avons réalisé l’épiderme extérieur de la tour et depuis près de vingt ans, il était question de cette rénovation. Le problème de cette tour est qu’elle n’a jamais été lavée. Elle était en plus entourée au tout début d’une usine de traitement des déchets, la ville s’est construite autour d’elle et sa surface très granuleuse est un véritable nid à lichens et à organismes végétaux et animaux.
En quoi vont consister ces travaux de rénovation ?
RD Les travaux de restauration vont déjà reprendre tous les défauts de cet épiderme extérieur. Nous allons tout d’abord procéder à un ponçage des parties endommagées et ensuite recréer l’aspect initial avec un mastic époxy voire un tissu de verre si la surface est très endommagée. À la fin, nous passerons sur l’ensemble un produit translucide. En revanche, à l’intérieur, il y a très peu à faire car l’endroit a été peu soumis aux intempéries.
Quelle est la difficulté de ces travaux de peinture, à quoi faut-il faire attention quand on travaille sur une œuvre d’art comme celle-ci ?
RD L’idée est de ne rien enlever, de ne faire que repeindre. Nous allons commencer par deux couches de peinture blanche avant de nous atteler aux formes rouges, bleues et ainsi de suite… Le « truc » est de bien suivre le tracé tout en donnant l’impression d’être assez enlevé, de ne pas être trop appliqué. Il faut que l’on ait l’impression que cela a été fait à la main. On va essayer de revenir à l’état initial.
La Tour aux figures est l’œuvre la plus imposante de Dubuffet. Comment avez-vous réalisé techniquement, il y a trente ans, une tour de près de vingt-quatre mètres de hauteur ?
RD La maquette initiale de Dubuffet, réalisée en 1967 en polystyrène, mesurait un mètre de haut. Nous n’avons pas travaillé avec cet original mais nous avons fait un moule que nous avons agrandi en suivant le procédé que Dubuffet a toujours utilisé, à savoir le pantographe en volume. Le premier agrandissement était à 4,8 pour obtenir donc une nouvelle maquette de 4m80 de hauteur que nous avons de nouveau agrandie. Nous avons travaillé dans un hangar pour constituer le moule final de vingt-quatre mètres de long et douze de large.
Un chantier hors normes, donc…
RD Deux ateliers ont été nécessaires : un premier pour l’agrandissement du polystyrène et un second de quarante mètres de long pour les travaux en résine, de peinture et d’armature secondaire. En comptant le toit, nous avons peint quatre-vingt dix panneaux en résine epoxy et en tissu de verre d’en moyenne six mètres de largeur par deux mètres quarante de hauteur car cette dimension correspondait à la taille d’un chargement routier. Dans le moule, nous avons mis l’armature métallique secondaire fixée sur la coque en résine. L’ossature primaire, elle, a été réalisée en béton. Il aura fallu un an pour monter tout l’extérieur et ce travail a mobilisé une quinzaine de personnes.
La tour telle que nous la voyons aujourd’hui est donc bien fidèle au projet de Dubuffet ?
RD C’est tout l’intérêt du pantographe : l’aiguille palpe les volumes avec un système de résistance qui taille tous les deux centimètres pour la plus grande trame de l’agrandissement. Et en ce qui concerne les peintures, les traits que nous voyons sont les mêmes que ceux que Dubuffet avait dessinés.
Comment l’aviez-vous rencontré ?
RD Je me voyais en train de faire de la peinture et puis voilà, ça a dégénéré (rires). C’était l’époque formidable où l’on trouvait du travail tout de suite. Je sortais de l’école et revenais de l’armée quand on m’a proposé de travailler avec Dubuffet et j’ai accepté. Je le connaissais mais j’ai été très long à rentrer complètement dans son œuvre. On peut trouver ça naïf, décoratif alors que ce n’est pas du tout ça : c’est le génie, tout simplement…
Au final, votre collaboration a été plutôt productive…
RD Nous avons fait quarante sculptures ensemble. J’ai fait partie de son atelier de 1968 à 1977 avant de créer mon propre atelier de décors. Il m’a recontacté ensuite pour d’autres sculptures et nous n’avons plus arrêté de travailler ensemble. À la mort de Dubuffet, la Fondation a été créée avec comme objectif de réaliser les agrandissements des maquettes qu’il avait prévus. Je les ai pratiquement tous fait même s’il en reste d’autres aujourd’hui, certes moins « impactants » que la Tour aux figures…
La Tour aux figures se voit de loin mais se visite également. Est-elle un monument ou une œuvre d’art ?
RD Dubuffet disait que cette tour est une peinture qui se développe dans l’espace, surtout à l’intérieur. On ne peut y vivre, ce n’est pas du tout utilitaire. Si l’on se promène dans la Closerie Falbala, une autre de ses œuvres, on perd toute notion de la vie extérieure. Il n’y a plus de nature, plus rien. Uniquement la sculpture et ses tracés. C’est le cas ici aussi : quand on se trouve à l’intérieur, à chaque étage de ce « Gastrovolve », on n’a plus d’impression de gravité. Dubuffet disait également que le monde dans lequel on vivait il y a cinquante ans n’était pas forcément le bon. Ses œuvres étaient donc des tentatives de bâtir un autre monde.
Près de trente-cinq ans après sa mort, quelle trace Dubuffet a-t-il laissé dans le monde de l’art ?
Dubuffet plaisait, je crois, plus aux Américains qu’aux Français. La filiation se trouve, pour moi, chez des artistes comme Jean-Michel Basquiat ou Cy Twombly, des intellectuels qui puisent leur inspiration du travail de Dubuffet, dans l’art de rue, le graffiti et l’art brut.
Propos recueillis par Mélanie Le Beller