Salles inclusives, permanences du futur, mobiliers innovants… Axée sur les espaces en dehors des classes, la deuxième édition du projet participatif Réinvente ton collège a débouché sur des aménagements et des mobiliers générateurs de nouveaux usages.
Par Pauline Vinatier
Dans un recoin à l’écart de l’agitation, un nouveau meuble a pris sa place, invitant les collégiens à une pause. Eux qui appelaient de leurs vœux un « espace de détente » ont été comblés par leurs camarades de 3e Segpa, section réservée au sein du collège Marguerite-Duras de Colombes aux élèves en grande difficulté scolaire. En juin dernier, la classe inaugurait ce canapé « fait maison » aux couleurs savamment étudiées, qu’aucune marque d’ameublement suédois ne saurait égaler. « Les élèves pourront venir s’y reposer », espère Nadia. « On a fait ça pour les autres car c’est notre dernière année ici », précise Adam. Leur cours de « découverte professionnelle », en vue de l’entrée en CAP ou bac pro, a pris un tour nouveau grâce à ce projet, puisque non contents d’avoir réalisé ce meuble à partir de pièces fournies par l’atelier départemental, ils en ont assuré l’entière conception : « Ce sont des élèves qui se sous-estiment et à qui ce projet d’une grande richesse a permis de reprendre confiance en leurs capacités. Avec ce canapé, ils vont laisser une empreinte durable », se réjouit Houcine Bennaka, leur enseignant.

Le cheminement vers la création de ce canapé n’a rien eu d’un long fleuve tranquille. Et pour cause : avec « Réinvente ton collège », la communauté éducative est invitée à repenser ses espaces en partant des usages existants ou souhaités, en vertu d’un principe de « design usager » impliquant de « prendre le temps ». « Lors de l’aménagement d’un collège, on a tendance à aller d’un point A à un point B selon un référentiel. L’avantage de cette “maîtrise d’usage” est de penser l’espace en fonction et avec les usagers. Les pistes qui en résultent peuvent faire évoluer les pratiques du quotidien, voire le référentiel lui-même ! », explique Pierre Roustit, coordinateur du projet au Département. Après une première édition 2021-2022 sur une thématique libre, celle-ci était circonscrite aux halls, permanences, couloirs et autres espaces en dehors des salles de classes – des lieux rarement pensés pour le travail et la détente, quand ils ne sont pas figés dans des usages d’un autre temps. Accompagnée par le réseau Canopé et la Délégation académique au numérique éducatif (Dane), deux instances de l’Éducation nationale, la démarche a été rythmée en 2023-2024 par une série d’ateliers (réflexion, identification, modélisation…), jusqu’à la remise d’un cahier des charges par les six établissements engagés : Marguerite-Duras à Colombes, Émile-Zola à Suresnes, Voltaire à Asnières, Louis-Blériot à Levallois-Perret, Jean-Mermoz à Bois-Colombes et Jean-Perrin à Nanterre.

RECOMPOSER L’ESPACE
La première « équipe projet » de Colombes avait imaginé des mobiliers à même de « réchauffer » le climat scolaire, aujourd’hui matérialisés ou en voie de l’être. Jugé « austère et peu accueillant », le hall a été traité à coup d’assises colorées et de tables hautes, tandis qu’un espace y est dédié à l’accueil des parents. La permanence, avec ses sages alignements de tables, sera dotée d’espaces de travail de groupe, de bulles individuelles et d’outils numériques… Là-dessus, la Segpa s’est greffée l’année suivante, à la demande de sa responsable et des enseignants. « Qu’une Segpa “habitat” soit écartée de la transformation des espaces, c’était dommage, d’autant que nous pouvions nous appuyer sur l’atelier départemental pour la fabrication, juge Pierre Roustit. Cela a été l’occasion d’embarquer ces élèves dans une démarche complète de conception. » Aux manettes d’un atelier hebdomadaire avec la classe, Suzanne Tahte-Aslahé, de l’association Fusion Jeunesse, a usé d’une méthode éprouvée en matière de persévérance scolaire, la « pédagogie expérientielle » : « Il s’agit de leur faire découvrir un concept, une activité, un morceau de théorie à travers une expérimentation, explique la designeuse de formation. Ainsi, ils sont tout de suite lancés dans l’action. »
LES ÉLÈVES SONT INVITÉS À REPENSER CES ESPACES EN VERTU D’UN PRINCIPE DE « DESIGN USAGER »
(COCON)STRUCTION
Rien n’est prédéfini dans une telle démarche, ce qui en a déstabilisé plus d’un : « Il y a eu quelques résistances, confie Suzanne. On m’a dit : “Autant acheter quelque chose de tout fait”, ou, “On va faire un canapé, voilà l’idée, à quoi bon continuer ?” » Le projet a heureusement démarré sous les meilleurs auspices, après le sondage établi en cours de français et de technologie diffusé sur Pronote, auquel la moitié du collège a répondu, passé ensuite en revue avec Suzanne. « Je leur ai distribué de petites cartes avec les propositions des élèves, qu’ils ont triées sur un axe j’aime/je n’aime pas. » Cette confrontation a aussi permis une « meilleure compréhension du cadre ». « Il y a eu des idées fantaisistes, comme un distributeur de nourriture ou un trampoline, ainsi que des choses plus censées mais trop complexes à réaliser. » Après avoir isolé des mobiliers, des couleurs et des ambiances inspirantes sur une planche de collages, le moodboard, les élèves ont été invités à « traduire » l’un de ces objets en maquette, apprivoisant par ce biais la découpe, le collage et l’assemblage. Ce préalable a en outre permis d’« éviter tout blocage » par la suite, lorsqu’ils ont eu pour consigne la réalisation de maquettes à partir de leurs propres idées. L’emplacement étant trop exigu pour accueillir, outre un canapé, une table et des chaises, la classe s’est accordée sur un meuble doté d’un corps principal et de modules « sur patins » permettant de recomposer l’espace à volonté. « La forme n’est pas révolutionnaire, estime Suzanne, mais ce qui importe c’est qu’ils aient travaillé ensemble plutôt que ce soit un mobilier qui arrive du jour au lendemain dans leur espace. »

Au collège Émile-Zola de Suresnes, « Réinvente ton collège » a accéléré et dynamisé un projet de « salle d’inclusion », le Cocon, envisagé de longue date. « Le constat avait été fait que les élèves accompagnés par nos quatre AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap, Ndlr), notamment ceux atteints de troubles du spectre autistique, avaient du mal à trouver un endroit pour se mettre au calme entre les cours », explique la principale Anna Vikelas. La direction, la conseillère principale d’éducation, des professeurs et des élèves, membres du conseil de vie scolaire, ont bénéficié d’ateliers avec la Délégation académique au numérique éducatif autour de la transformation de cette salle et pour réfléchir à des améliorations fonctionnelles dans ce bâtiment complexe des années 30. « Ils nous ont apportés une méthodologie pour balayer tous les aspects, bâtimentaires et numériques, et nous ont incités à élargir la réflexion pour que le projet convienne à tous. Ce sont eux qui nous ont fait cheminer du diagnostic jusqu’à la décision finale. » En fin de compte, la réorganisation du pôle vie scolaire/permanence soulevait trop de problèmes techniques, mais d’autres pistes ont pu être identifiées et concrétisées : une salle pour le travail en autonomie équipée d’un ordinateur, la Fabrique, a ainsi ouvert ses portes, tandis qu’une nouvelle entrée côté terrain de basket sera bientôt aménagée pour désengorger le hall ou « gymhall », utilisé aussi pour les cours de sport. Quant au Cocon, après une phase expérimentale avec du mobilier provisoire, il ne désemplit pas.

Avec sa moquette aux allures de pelouse, sa lumière tamisée et son « arbre bibliothèque », cet espace transporte loin du collège. Des jeux, casques antibruit et balles antistress sont à disposition, ainsi qu’un bureau dépliable pour étudier ou effectuer des évaluations au calme. « Nous n’aurions jamais imaginé aller aussi loin dans la réalisation, cet accompagnement nous a permis d’aboutir à une salle unique ! », se réjouit la principale. D’une capacité de cinq places, ce nid douillet est ouvert à tous les élèves, même si les jeunes « à besoins spécifiques » y sont prioritaires. Léo, en 6e, ne manquerait pour rien au monde les permanences du midi. « Alors qu’il ne se mêle pas trop aux autres, il s’est fait un ami au Cocon qu’il retrouve à l’extérieur », constate son accompagnatrice, Ouassila Bsikri, première à militer pour un tel espace. D’autres viennent y travailler sur le temps scolaire, se détendre ou même faire la sieste comme Souleimane. « Quand on voit qu’il est à bout, qu’il risque d’exploser, on le laisse venir, en accord avec le professeur et la principale », précise son AESH, Chantal Archieri. Quant à Maélann, il a l’habitude de se rendre au Cocon sur sa dernière heure du lundi, histoire d’alléger un marathon scolaire de 7 heures d’affilée. « Ça détend, ça aère notre tête, et surtout ça fait du bien », explique l’élève de 5e, calé dans un pouf sous une couverture lestée – de nature à créer une sensation enveloppante -, pendant que son copain Evan bouquine à ses côtés. « C’est un lieu intéressant pour la sociabilisation des élèves que l’on suit, mais aussi parce que cela permet aux autres élèves de davantage les côtoyer », résume Chantal. Dans un établissement qui inaugure en cette rentrée son « dispositif d’autorégulation », pour l’accueil des jeunes souffrant de troubles neurodéveloppementaux, cette salle sera certainement un plus. « L’espace en lui-même est une coquille vide sans ceux qui l’habitent, estime Pierre Roustit. Lorsqu’on constate que se développent non seulement les usages prévus mais aussi de nouveaux usages, cela signifie que l’on a visé juste. »
