Au cœur du Domaine départemental de la Vallée-aux-Loups, ce site extraordinaire en toute saison, avec ses arbres remarquables et ses collections uniques au monde, ouvre le visiteur à la connaissance du vivant.
Ce domaine d’exception a connu mille et une vies. Apprécié des Gallo-Romains, réserve de chasse du roi, propriété de Colbert puis villégiature d’aristocrates, il fut encore le siège des « pépinières Croux », naguère les plus importantes de France ! Cette histoire unique est intimement liée à sa topographie, en contrebas du plateau de Villacoublay, et à la profusion de sources cristallines. Un paradis aux yeux du paysagiste Édouard André, qui y verra au XIXe siècle la « terre promise de l’horticulture parisienne. » « À la fois près de Paris et abrité par le vallon, ce terrain était riche d’un sol fertile et sablonneux, où s’écoulait en creux le ru d’Aulnay, explique Mirja Mechiche, chargée de valorisation du patrimoine paysager et horticole au Département. Une fois asséchée la partie la plus marécageuse, il avait tout pour plaire. » En près d’un siècle, des générations d’horticulteurs ont cédé à ses charmes et modelé durablement la beauté de son paysage. À en croire la réclame des Croux, on cultivait dans cet Eden « tout ce qu’il est possible de désirer ».
UN HÉRITAGE PRÉSERVÉ
Au petit soin avec sa clientèle, Gustave, le grand-père, transforma le jardin anglais en vitrine de démonstration, aussitôt planté d’une large gamme de végétaux d’ornement : hêtres, azalées, pivoines, rhododendrons… « On y retrouvait globalement toutes les variétés en vogue au XIXe siècle, explique la guide. Principalement américaines ou asiatiques, ces espèces étaient importées sous forme de graines, de boutures ou de petits arbres », que le pépiniériste avait le don d’acclimater sur place. La majeure partie des sujets remarquables, aujourd’hui centenaires, provient d’ailleurs de cet héritage. Acquéreur du domaine en 1986, le Département a œuvré à la préservation, à la transmission et à l’enrichissement de ce patrimoine aujourd’hui fort de plus de cinq cents variétés. « C’est surtout autour de la pièce d’eau que se trouvent les “stars” du parc, prévient Mirja Mechiche. À elles seules, elles concentrent ce que les Croux cultivaient de meilleur ». Toujours debout de nos jours, le séquoia géant en dresse un bel exemple : on raconte même que le patriarche en était si fier, qu’il posa devant lui en chapeau haute forme pour illustrer son catalogue. Plus loin sur le sentier, en fait la digue du lac probablement creusé par le marquis de Châteaugiron pour ses balades en barque, le visiteur tombe nez à nez avec une curiosité végétale. Bien qu’assimilée au cyprès chauve de Louisiane, évoquant une mangrove avec son tapis de pneumatophores, sa parenté exacte est encore un sujet de querelle entre professionnels…
CÈDRE MUTANT
À son voisinage, la certitude est en revanche de mise concernant le charme fastigié et son compagnon le tulipier, miraculé de la tempête de 1999, dont l’efflorescence verdâtre teintée d’orange préfigure sa belle teinte automnale. « Qu’ils soient pleureurs, fastigiés ou pourpres, tous sont issus de mutations spontanées, ensuite multipliées par boutures successives, précise Mirja Mechiche. Une méthode, qui permit aux Croux de proposer une grande variété de plantes de qualité ! » Ce panorama onirique serait incomplet sans la visite de l’emblème de l’Arboretum : le cèdre bleu pleureur, 150 ans au compteur. Fruit d’une anomalie génétique, il est le pied-mère de nombreuses boutures, qui imitent la croissance horizontale de sa ramure de 168 mètres d’envergure. Pour les sept jardiniers, affectés à l’entretien en régie du jardin anglais, hors de question d’y toucher. Même avec leur sécateur désinfecté comme pour les rosiers et les fruitiers. « L’élagage est délicat et consiste à réaliser des percées d’éclaircie, permettant à la lumière de pénétrer la frondaison et de réduire le poids de la neige en hiver, explique Morgane Hazard, responsable des jardiniers de l’Arboretum. Cela réclame un travail pareil à de la coiffure, confié à un spécialiste. Il lui faut deux à trois mois pour achever l’ouvrage ! » À l’instar de la médecine des hommes, celle des arbres, a également fait du chemin en vingt ans. « Prenons la tête du sequoia frappée par la foudre puis resoudée en 2001, ou cette blessure du cèdre cicatrisée au goudron… Nous laissons la nature se réparer d’elle-même de nos jours », confie Oumar Diarra, responsable adjoint des jardiniers.
LABELLISÉ ECOCERT
Longtemps florissant, l’art horticole dans ce Val-d’Aulnay aura fini par décliner. L’expansion du XXe siècle acculera même les Croux à l’exil. « La construction des lotissements secoua leur marché : les grands domaines avec fruitiers et potager se raréfièrent, la demande de haie et de gazon grimpa en flèche, les jardineries firent leur apparition en banlieue… », explique Mirja Mechiche. Alors, en lieu et place de la roselière, de l’école d’horticulture et des champs désœuvrés, le Département fit le choix d’aménager des jardins à thèmes, hommage rendu à l’histoire et à la vocation originelle des lieux : jardins des fruits, des châtaigniers, des aulnes, de l’automne flamboyant… Ce dernier, quand s’installe la saison idoine, s’enflamme d’un florilège de couleurs rougeâtres. Aucun lien avec le réchauffement climatique qui, pourtant, œuvre à bas bruit : « D’année en année, on constate ici le déclinement des érables du Japon, une espèce qui raffole de l’humidité », regrette Oumar Diarra, qui réfléchit à des remplaçants. Desservi par l’entrée principale, dans le prolongement de la Maison de Chateaubriand, le verger n’est pas non plus épargné. « Sa composition devait se rapprocher autant que possible des fruitiers originels, explique Morgane Hazard. Sauf que des variétés ont disparu, d’autres ne s’avèrent plus adaptées au climat ou aux maladies comme le chancre… » Labellisé EcoCert, l’Arboretum prohibe tout pesticide. Il s’agit donc de trouver des alternatives. « Autrefois traité à la bouillie bordelaise, nous les dopons au purin aujourd’hui ». La recette parfaite pour des cageots de pommes « zéro phyto », sitôt cueillis, sitôt distribués au public.
BONSAÏ !
Aux quelques fabriques aménagées – glacière, grotte, gloriette et pavillon mauresque – s’ajoutent deux serres qui ponctuent les allées. L’une d’elles, dans le verger, abrite la plus grande collection de pieds vivants de convolvulacées (360 espèces). Un don, pour la plupart, du botaniste Patrick Blanc en 1997. « Certains experts viennent de loin pour étudier leurs multiples propriétés, explique Nelly Bouilhac, la maîtresse du lieu, qui termine tout juste une visite guidée. Le public est aussi en demande de connaissance, et gravite souvent autour de la serre, un lieu qui fascine ! » C’est sans compter sur l’acquisition, en 2013, de 66 bonsaïs du spécialiste français Remy Samson : hêtre, peuplier, pin blanc, épicéa… D’origine tropicale ou tempérée, ces arbres nanifiés s’exposent dans des compositions plus vraies que nature, au sud du jardin des hortensias. « Beaucoup ignorent que les bonsaïs sont à l’origine des arbres de taille normale, explique Sébastien Chemin, le responsable de la collection, formé huit années durant auprès d’un maître japonais. Multipliant les techniques d’incision, de pincement et de ligature, on parvient à les compacter et à les sculpter selon des styles normés : Neagari, Sokan, Sekijoju… » Un travail de paysagiste confinant à l’œuvre artistique, à l’image de l’ensemble du parc, parmi les plus visités des sites départementaux.