Lancé il y a cinq ans, ce programme départemental de verdissement et de réaménagement des cours de collèges vient de faire l’objet d’une évaluation. Le bien-être est-il comme prévu au rendez-vous ? Enquête au collège Georges-Pompidou de Courbevoie, dans les pas de trois expertes.
Entre midi et deux, la fenêtre de tir est propice à l’observation de la sociabilité juvénile et à la localisation des « espaces VIP » ou délaissés de la cour. Au milieu des grappes d’adolescents, trois inconnues circulent de long en large, se figent devant un banc ou une table en prenant des notes et, quand leur collecte d’information le réclame, entament la conversation… Géographe du genre, designeuse sociale et spécialiste des rapports entre sport et genre, ces trois « drôles de dames » se complètent aussi par l’âge. « On ne dit pas la même chose à quelqu’un qui pourrait être votre mère et à quelqu’un qui pourrait être votre sœur. C’est une stratégie de recueil de parole ! », sourit Édith Maruéjouls, doyenne et fondatrice de l’agence Arobe (atelier, recherche, observatoire, égalité), missionnée par le Département pour ausculter la cour et les espaces attenants, comme le potager ou la cantine.
Cette cour inaugurée en avril 2023, tout îlot vert qu’elle soit, a été surnommé la « cour rose ». D’inspiration japonisante, elle décline cette couleur du pastel au fuchsia, marquée d’ondes et de vagues évocatrices tant des tableaux d’Hokusai que des anime contemporains de Miyazaki. À travers ce revêtement aussi esthétique que poreux, les pluies retournent au sol après avoir transité par un bassin, sans plus encombrer le réseau d’assainissement départemental. Cette couleur se marie au vert des plantes grimpantes et des jeunes arbres, venus renforcer le couvert végétal préexistant des coursives. Les quelque sept cents élèves disposent de trois cents assises sous forme de bancs ordinaires, de gros « galets », de pergolas, d’une classe en plein air, sans compter les tables détournées en sièges, qui sont autant d’endroits pour discuter, lire, s’isoler, s’installer pour dessiner… Les tables de ping-pong et le panier de basket ont, eux, été placés en périphérie. « Dans la cour d’origine, il y avait deux terrains de sport utilisés par une vingtaine d’élèves tout au plus, qui prenaient un bon tiers de l’espace », rappelle Denis Anger, responsable des îlots verts à la direction des bâtiments. À l’image de bien des extérieurs de collège traditionnels, elle était avant tout « un endroit où vont les élèves quand ils ne sont pas en cours ».

APPROBATION DE L’ESPACE
Le périmètre de l’évaluation englobait aussi les collèges Moulin-Joly à Colombes et Georges-Pompidou à Villeneuve-la-Garenne. « Nous avons choisi des contextes locaux variés et des collèges complémentaires en termes de besoins et de projets, explique Chloé Davy, à la direction de l’éducation et des projets innovants, chargée de ce volet. À Villeneuve, ceux qui ont connu l’ancienne cour peuvent faire un avant/après, et à Colombes les usages sont bien installés depuis 2022. Quant à Courbevoie, son aménagement paysager en faisait un projet à part. » À l’image des concertations avant chaque nouveau projet, il s’agit de s’adresser à ceux qui connaissent le mieux la cour : ses usagers. « L’objectif est de nous assurer que les aménagements correspondent aux besoins et de mesurer leurs effets en termes de répartition des espaces et de climat scolaire, de manière à identifier d’éventuelles améliorations. »
Bien entendu, les « enquêtrices » de l’Arobe ne se contentent pas de faire les cent pas seules dans la cour. La parole des élèves est recueillie lors de balades, une par niveau de classe, et les entretiens s’enchaînent avec les autres usagers. « Ces avis sont précieux, souligne Édith Maruéjouls. Un principal a forcément un regard sur la discipline et l’organisation, les surveillants règlent les conflits, les gestionnaires constatent s’il y a des dégâts… » À Courbevoie, les classes participantes à la balade ont bénéficié en préambule d’un « face à face pédagogique » sur les questions d’appropriation égalitaire de l’espace. En classe, les élèves sont invités à dessiner leur cour, puis à se localiser avec leurs amis, filles ou garçons, dans leurs zones de prédilection, en indiquant leurs toponymies personnelles. À partir de là, un débat s’engage sur la liberté d’occuper cet espace, souvent perçu comme sans contraintes, et d’y circuler à son aise. « Au-delà de cette première impression, on découvre parfois du sexisme sous-jacent. En les verbalisant, ils prennent conscience des conséquences de leurs prises de position, explique Édith. C’est important car ce sont eux qui construisent la société de demain ! »
DANS LA COUR D’ORIGINE, IL Y AVAIT DEUX TERRAINS DE SPORT UTILISÉS PAR UNE VINGTAINE D’ÉLÈVES QUI PRENAIENT UN BON TIERS DE L’ESPACE
Deux jours après ce débat, le moment est venu pour la 4e B de « descendre sur cour » par petits groupes, sous un feu roulant de questions. « On est vraiment très bien dans cette cour, il y a beaucoup de verdure, affirment Zacharie et Samy, habitués du « milieu », un espace proche des toilettes des garçons. Dans notre cour d’élémentaire, c’était du béton. » Arrivé en cours d’année, Emmanuel évoque « les pétards et les bagarres » et le manque « d’endroits pour s’asseoir » de son ancien collège. « S’il n’y avait qu’un seul grand terrain, est-ce que tout le monde se mélangerait autant ? », leur demande Édith. « Il y aurait moins d’activités différentes », reconnaît Samy, pourtant ouvertement nostalgique du foot dans la cour. Le ballon, « ça fait des histoires », rebondit Emmanuel. Lors des semaines les plus chaudes, « sous les arbres on se sent mieux qu’au centre de la cour », confie de son côté Sarah, séduite par les bancs intimistes sous les pergolas qu’elle appelle « les arbres ». Quant au potager foisonnant, investi en cette matinée par la médiatrice et des élèves de Segpa, il ne recueille pas tous les suffrages : « En général, les introvertis, c’est leur petit kiff, un peu comme le CDI », assène Maya.

APAISEMENT
Experte ès cours de récréation, Édith Maruéjouls parle en tous les cas d’une « sensation d’apaisement » : « On le constate physiquement et cela nous a été dit. » Les « petits » de 6e, par exemple, « n’ont plus peur d’être au milieu des autres » : « Il y a moins de postes d’observation, du fait de l’aménagement de l’espace central et du verdissement, et les assises sont plus nombreuses. Quand vous n’avez qu’un banc, c’est le banc des 3e ! » La disparition du terrain de sport central « contraint des pratiques comme le foot, mais en permet beaucoup d’autres ». À défaut de partager leurs activités, les différents publics se côtoient davantage. « Même quand les filles restent entre elles, elles disent s’y sentir bien, y compris celles qui vivent dans des quartiers où elles ne sont pas très à l’aise dans l’espace public ; cela n’a pas de prix ! » Les enseignements de cette évaluation, rassemblés dans le rapport de l’Arobe, devraient permettre de réajuster le cahier des charges du programme, voire de faire évoluer le référentiel des collèges. Dans les collèges « nouvelle génération », les classes en plein air inspirées des îlots verts sont déjà la norme.
Pauline Vinatier