De la hauteur de la table au choix du clavier et des logiciels, pas un poste de travail n’est identique à l’autre pour mieux s’adapter aux besoins des élèves. Photo : CD92/Julia Brechler
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TOULOUSE-LAUTREC UN MODÈLE D'ÉCOLE INCLUSIVE

Au lycée Toulouse-Lautrec de Vaucresson, qui a accueilli le passage de la flamme paralympique le 27 août, deux tiers des élèves sont en situation de handicap moteur. Ils suivent, du CP au BTS, un cursus adapté qui participe à leur autonomie. 

Par Pauline Vinatier

Acte trois, scène quatre du Cid, une pièce où l’amour est en lutte avec l’honneur, le « Va, je ne te hais point » de Chimène à Rodrigue mérite qu’on s’y arrête. « Elle en dit moins pour suggérer plus. Autrement dit, elle lui dit qu’elle l’aime. Cette litote est l’une des plus célèbres de la littérature », explique Linda Mameli à ses élèves. Son cours sur le conflit de valeur, suivant le programme de 4e, a été élaboré sur Word à partir de manuels, les « non-scripteurs » étant majoritaires dans les rangs. « Les élèves sont fatigables et je suis obligée de m’en tenir à la “substantifique moelle”. Mais les réponses ne sont jamais servies sur un plateau et il y a beaucoup d’interactions à l’oral. » Au fond de la classe, Eliott, T-shirt et baggy, se concerte avec Charlie pour répondre sur le « pad » collaboratif de la classe. Sous des dehors décontractés, il se bat depuis l’enfance contre son amyotrophie spinale, décrite posément : « C’est une maladie neurodégénérative qui affecte les muscles. J’ai de la chance dans mon malheur car je n’ai pas la forme la plus sévère et il y a peu de choses que je ne puisse pas faire. » Toute la journée, lui et ses camarades naviguent entre leur salle, les espaces communs et le Sessad (service d’éducation et de soins spécialisés à domicile), situé au centre du complexe, qui comprend aussi deux internats et une école primaire. Les fauteuils ont toute latitude de circuler dans les larges couloirs et dix-neuf ascenseurs desservent la bâtisse, dont les assistances vocales soliloquent en boucle dans le hall. 

 

Au Sessad, quatre salles de kinésithérapie accueillent les élèves avant ou après les cours et sur les temps de permanence.© CD92/Julia Brechler

Ce nom de Toulouse-Lautrec rend hommage au peintre atteint d’une maladie osseuse. Le projet a été initié dans les années 1980 par des parents et des médecins d’enfants accueillis à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, confrontés aux conséquences des troubles locomoteurs graves sur le cursus scolaire. « Ils se sont mobilisés pour leur permettre de bénéficier d’une scolarité complète comme les autres », rappelle le proviseur Jean-François Gesbert. À partir d’un certain degré de handicap, un tel modèle s’avère, en tous les cas, gagnant. « En milieu ordinaire, les parents font les taxis. Ils récupèrent leurs enfants pour les conduire chez le kiné, l’orthophoniste, l’ergothérapeute, le psychomotricien, sans compter les appareillages, qui prennent au moins une demi-journée. Le système mis en place à Toulouse-Lautrec soulage tout le monde », souligne la médecin-chef du Sessad, Françoise Sarrazin. En pratique, matin et soir et sur les heures de permanence, des temps sont ménagés pour la rééducation. Quant aux soins, ils peuvent être prodigués à tout moment, ce qui donne lieu à des scènes inédites. Où imaginer, en plein cours, des élèves improvisant un saut à l’infirmerie ou immobilisés dans une « coque de verticalisation » ? Dans quel self verrait-on des distributions de médicaments ainsi que des aides soignantes, des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) et des auxiliaires de vie scolaire (AVS) attablés avec les jeunes ? « C’est du cas par cas. Certains ont besoin d’aliments broyés ou enrichis, d’autres sont nourris par sonde mais déjeunent avec leurs copains pour le plaisir », explique le proviseur, dévoilant un tiroir rempli de couverts biscornus, « bidouillés » par des profs de techno et des ergothérapeutes. 

 

À Toulouse-Lautrec, où l’on pratique l’inclusion inversée, ce sont les valides qui « s’adaptent aux adaptations. »© CD92/Julia Brechler

Sous le statut d’établissement régional d’enseignement adapté (EREA), Toulouse-Lautrec, dont l’offre court du CP jusqu’au BTS, est donc bien plus qu’un « lycée ». Orientés par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), les élèves, venus de toute l’Île-de-France voire d’autres régions, présentent des handicaps de naissance ou acquis (paralysies cérébrales, malformations, maladies neuromusculaires, osseuses, atteintes de la moelle, dyspraxies lourdes) et côtoient des « valides » scolarisés sur place. « Ceux-ci peuvent avoir une sœur ou un frère dans l’établissement. Parfois c’est un choix de proximité combiné à un choix philosophique, précise le proviseur. Certains ne relèvent pas du médico-social mais peuvent présenter des problèmes auditifs, des dyslexies ou dyspraxies, des phobies scolaires… Grâce aux effectifs d’une douzaine d’élèves par classe, ils seront plus à l’aise. » 

 

Eliott, scolarisé en 4e, puise dans sa passion du tennis de table la motivation nécessaire à ses trois séances hebdomadaires de kinésithérapie.© CD92/Julia Brechler

CLASSE AUTONOME

Dans les salles de classe, les postes de travail et logiciels sont modulables à souhait grâce à la proximité des ergothérapeutes et des orthophonistes… Les AESH et les AVS, eux, n’accompagnent pas le cours, cantonnés aux temps libres. « Le numérique aide beaucoup en classe. En plus de cela, les valides aident les handis et les handis s’aident entre eux. Leur fragilité fait qu’ils sont plus attentifs les uns aux autres. » Prenons Charlie, scolarisée sur place depuis la 6e par des parents soucieux de « [l’]ouvrir sur le monde du handicap », qui aide Ismaël à installer et à ranger son petit clavier adapté et accompagne Alexandre à l’infirmerie pendant le cours. Ces 4e ne délaissent leur salle dédiée que pour les TD, la musique ou le sport, au gymnase. « En EPS adapté, les objectifs restent le développement des capacités motrices et du goût artistique, le vivre-ensemble et le respect des règles, mais il faut toujours se questionner pour rendre accessibles les activités, voire en créer de nouvelles. C’est très stimulant », confie l’enseignante Lisa Brouard qui déroule à l’appui de son propos le programme de 4e : en baseball les règles ont été adaptées, en escalade les uns varappent et les autres font du gymkhana à l’horizontale ; la boccia (inspirée de la pétanque, Ndlr) et le volley-ball se pratiquent assis… Reste la danse, ce jour-là, qui laisse cette image marquante : les valides, debout, intègrent leurs « phrases » chorégraphiques dans le mouvement coordonné des fauteuils, renvoyant à l’harmonieuse coexistence à l’œuvre dans cet établissement. Toulouse-Lautrec a aussi sa section « sport adapté » et ses associations « handisport » ou « sport partagé » et participe à l’occasion aux trophées sportifs organisés par le Département pour les collégiens dans leur format « adapté ». « L’inclusion doit s’appliquer à toutes les matières, y compris au sport, comme nous le faisons en rendant accessibles nos différents dispositifs départementaux, explique Nathalie Léandri, vice-présidente aux affaires scolaires et au numérique éducatif. Et quand, en plus, vous arrivez comme ici à faire faire du basket fauteuil, du volley assis, ou de la boccia à des enfants valides, vous leur faites prendre conscience du handicap tout en gommant les différences. C’est un établissement précurseur et inspirant ; qu’il ait accueilli le relais de la flamme paralympique est une belle reconnaissance ». 

 

Avec ou sans fauteuil, tous les élèves participent au cours d’EPS. Les disciplines sont adaptées de manière à permettre la mixité.© CD92/Julia Brechler

TRAVAUX D’HERCULE

L’adolescence a ici ses prolongements médicaux. « Pendant la croissance, le développement des os est plus rapide que celui des muscles. Notre but devient alors de prévenir les rétractations musculaires et les déformations qui en résultent », expose Solène Le Dret, kiné d’Eliott depuis le CM2. Si ce dernier évoque sa « flemme » face à ces travaux d’Hercule hebdomadaires (étirements, renforcement musculaire, balnéothérapie, entretien respiratoire), celle-ci est contrebalancée par sa passion du tennis de table. « Ils ont des séances dès leur plus jeune âge et peuvent avoir un coup de mou arrivés à l’adolescence. Avec un objectif sportif, ils en comprennent mieux l’intérêt », détaille Solène, venue l’encourager aux championnats de France où il a décroché le bronze ! Quel que soit le profil de l’enfant, le médecin référent programme de la kinésithérapie. « Sans cela, beaucoup souffriraient de déformations, auraient des insuffisances respiratoires et un pronostic vital diminué », précise Françoise Sarrazin. En ce qui concerne Eliott, son état s’est aussi stabilisé grâce à une thérapie génique dont il parle avec espoir. « La recherche avance et les bébés qui suivent ce traitement n’ont pas de symptômes ! » 

Accompagnés de leurs enseignants et éducateurs spécialisés, les 4e, Eliott en tête, sont revenus enthousiastes de leur sortie à la base de loisirs de Cergy-Pontoise, où les fauteuils étaient sanglés sur les bateaux. « La réussite de cet établissement, c’est aussi de leur permettre de vivre des expériences impossibles ailleurs ou qui coûteraient extrêmement cher », juge la médecin-chef. Ce modèle, dit « d’inclusion inversée », pensé pour le handicap, a valu au lycée de servir de cadre à la série Lycée Toulouse-Lautrec sur TF1, réalisée par une ancienne élève. En quelque quarante ans, l’établissement a eu le temps d’accompagner des générations d’enfants et de mieux les armer pour l’après. « Un jeune qui sort de chez nous sera capable de prendre des notes à la fac, de fournir ses propres textes et maîtrisera les nouvelles technologies. Assisté en milieu ordinaire, il n’aurait pas développé la même autonomie. » Sur le plan purement scolaire, le taux deréussite au bac est de 100 %. Chaque année, l’équipe se réjouit de voir des anciens intégrer Science Po, médecine, une école d’art, ou simplement la fac ou un BTS. Pour sa part, Eliott s’imagine bien travailler dans la cybersécurité et rêve de disputer, raquette en main, les  Jeux de Los Angeles. 

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