Le Département s’est doté d’un collège en bois démontable et réutilisable au gré de ses projets sur le territoire. Première destination : Bagneux, où quatre cents élèves s’installent fin avril en attendant la reconstruction de leur établissement.
Par Pauline Vinatier
Avenue de Stalingrad à Bagneux, des semi-remorques font étape nuit et jour, chargés de colis couverts d’un pare-pluie sombre. Un à un, ces modules pesant jusqu’à huit tonnes sont enlevés dans les airs par une grue mobile et empilés sur trois niveaux suivant une notice invisible et à une cadence croissante. « Le premier jour, nous avons posé un seul module, actuellement nous en sommes à huit par jour et nous sommes capables de monter un niveau complet en une semaine, raconte Gabrielle Vernay, cheffe de projet chez Bouygues Bâtiment Île-de-France. C’est un chantier court et intense, moins bruyant que d’ordinaire puisque les modules ont été fabriqués au préalable en usine. Il y a eu un peu moins de dix mois de travaux à partir de la pose des fondations en juillet. » La reconstruction du collège Joliot-Curie, à quatre cents mètres de là, est en effet suspendue à la livraison de ce remplaçant d’exception dont la genèse, associant le Département et des industriels, mérite d’être retracée.
Cela commence avec la mue de la Pierre Plate, où s’élèvent logements et équipements neufs, desservi depuis peu par le métro, qui justifie la reconstruction du collège historique. « Nos chantiers peuvent répondre à un besoin démographique, comme pour les nouveaux collèges de Gennevilliers et d’Asnières. Mais la plupart de nos opérations consistent à agrandir et à moderniser les établissements pour accompagner les transformations urbaines ou à les repositionner au plus près des bassins de vie et des transports », explique Pol Creignou, directeur général adjoint du Pôle Éducation, Maintenance et Construction. Dans le cas de Joliot-Curie, « très bien placé », le Département a opté pour une reconstruction sur site et celle-ci déclenche l’exode temporaire des élèves. Un tel jeu de chaises musicales a déjà eu lieu et sera amené à se répéter sur le territoire.
ÉTABLISSEMENT MOBILE
Revenons-en au collège provisoire. Le Département n’en n’est pas à son coup d’essai, mais cet équipement n’est en rien comparable aux préfabriqués classiques. « Les collégiens allaient passer plus de deux ans entre ces murs, autant qu’ils bénéficient des meilleures conditions. Comme monter en gamme allait coûter deux fois plus cher, il fallait réutiliser le collège au moins deux fois ! » L’idée avait fait son chemin à l’occasion de la restauration du collège Anne-Frank, après que les modules provisoires de chantier ont été cédés à la ville d’Antony pour ses propres réalisations : pourquoi ne pas acquérir un établissement entier démontable et remontable, aux dernières normes environnementales, qui voyagerait au gré des besoins ? « Dans le domaine de la construction, ce projet est une transposition concrète des enjeux climatiques dont on parle partout et depuis longtemps. » Le marché global de performance, d’un montant de 15 M€ pour la conception, la réalisation, l’exploitation, la maintenance et le démontage d’un équipement aux tels contours a mis au défi les services de R&D des candidats, libres de leur mode constructif. La 3D (des modules prêts à l’emploi) finalement retenue « nécessitera un plus gros volume de stockage mais facilitera le démontage et le remontage » : il n’y aura là qu’une centaine de pièces (157 en tout) contre des milliers pour un équivalent en 2D, soit l’écart qui sépare un lego d’un meuble en kit ! Bouygues Bâtiment Île-de-France, à la tête du groupement lauréat, et son partenaire TH, avaient développé cette solution pour les bâtiments scolaires désormais soumis à la règlementation environnementale (RE 2020). Adaptée pour ce projet, elle trouve à Bagneux sa première application concrète : « Le collège atteint les exigences de la RE 2020 à son seuil dépassé de 2031 (celle-ci présente des paliers évolutifs en 2025, 2028 et 2031, Ndlr), explique le groupe de construction. Dans sept ans, ce produit répondra toujours aux attentes. » Les modules qui affichent 7 mètres de profondeur et 3,4 de hauteur, deux dimensions fixes sur trois, sont réalisés en bois massif, du lamellé-croisé issu de forêts gérées durablement. À raison de 130 kg/m2, le niveau de biosourcé de ce projet labellisé E+C- (énergie 3, carbone 1), atteint des records.
Au bâtiment d’enseignement s’ajoutent un restaurant de cent places et des sanitaires, en modulaire métallique compte tenu des contraintes d’exploitation en milieu humide, trois pôles disposés de façon à épouser la parcelle en triangle. « Lors d’un prochain cycle de vie, ils pourront s’insérer sur un autre site dans une autre configuration, indique Gabrielle Vernay. L’agencement des modules est flexible également. On peut par exemple envisager d’étaler le bâtiment sur un seul étage ou de disposer les classes autrement. »


TRAME CONSTRUCTIVE
Seules les circulations, jetées comme des ponts entre les modules, et le hall d’entrée, vaste espace traversant en « poteaux poutres », ne pouvaient être « mis en boîte ». Le reste du bâtiment a été composé à partir d’une trame imposée sans que la fonctionnalité ou la qualité esthétique en soient amoindries. « Nous sommes habitués aux contraintes, explique Cyrille Bourgoin, associé chez Atelier B2A et architecte du projet. Cela m’évoque les utopies architecturales des années 70 comme Archigram quand on imaginait des bâtiments construits par des robots ou qui s’agrandissent au fur et à mesure avec des boîtes ! » La standardisation cède le pas, par endroits, aux besoins légitimes d’un établissement scolaire : ici la loge d’accueil dispose d’un châssis de fenêtre sur mesure afin de s’ouvrir généreusement sur le hall, là une dizaine de cloisons intermédiaires ont été posées pour former de « petits bureaux », et en façade les modules disparaissent entièrement sous un bardage. « L’alternance de bois et de métal blanc crée un rythme aléatoire qui dissimule l’aspect modulaire, poursuit l’architecte. Il fallait une façade institutionnelle qui participe de l’image attractive du quartier. »
il n’y a là qu’une centaine de pièces contre des milliers pour un équivalent en 2d, soit l’écart qui sépare un lego d’un meuble en kit !
Avec quatre cent élèves et dix-huit salles, celles de technologie, de sciences, de musique et d’arts plastiques comprises, la capacité est la même et le confort n’a rien à envier au collège d’origine. « L’idée était aussi de montrer que modulaire ne veut pas dire de basse qualité et que provisoire ne signifie pas de faible facture », insiste Cyrille Bourgoin. Dans les classes formées de trois modules, les raccords sont presque invisibles et les cloisons de bois et les poutres au plafond créent une ambiance chaleureuse. « Trois pans de mur sont en bois, seul le quatrième est blanc pour orienter la classe en direction du tableau. » Bien exposées, ces pièces, ainsi que le pignon sud, siège du centre de documentation et d’information, sont équipées de brise-soleil orientables pour les jours de forte chaleur. Le restaurant donne sur la cour en cœur d’îlot, dotée d’un préau ombragé, d’un jardin pédagogique, d’un plateau sportif et de gradins disposés en amphithéâtre. Dans ces espaces extérieurs, en béton drainant pour une infiltration à la parcelle, les arbres existants ont été préservés mais seules des plantations basses ont été ajoutées afin d’éviter tout arrachage à la remise du terrain à la ville.

REMONTABLE À 86 %
On le voit : la réflexion a été poussée bien au-delà des modules de classe, unité de base de ce jeu de construction grandeur nature. Les caissettes de végétalisation amovibles en toiture ou les tronçons de réseaux en kit venant se fixer sous les planchers sont d’autres trouvailles. « Les gaines de ventilation sont placées dans des racks préfabriqués, raccordés tous les six mètres et faciles à démonter », explique Gabrielle Vernay. Il n’est pas jusqu’aux éléments techniques qui ne soient réutilisables (centrales de traitement de l’air, ascenseurs, panneaux photovoltaïques…) et le collège n’est pas raccordé au chauffage urbain mais dispose d’une installation indépendante, démontable et renouvelable (pompes à chaleur). En définitive, le « taux de remontabilité global » atteint 86 % avec un résidu de jonctions et d’habillages de cloisons qui pourront être recyclées.


Ultime étape avant la livraison, les vacances de Pâques seront mises à profit pour transférer une grande partie du mobilier des classes et du réfectoire ainsi qu’un tiers des équipements de cuisine vers le collège provisoire. Sa première vie commencera ensuite pour deux ans et demi en attendant la fin du chantier voisin : ce printemps verra les travaux préparatoires à la démolition du collège historique, à l’été, suivie de sa reconstruction en vue d’une ouverture à la rentrée 2027. Entre temps, le processus ayant vu s’élever en un mois et demi un bâtiment de deux étages aura été rembobiné. Grâce à la grue mobile, le collège provisoire s’évanouira du paysage comme il est apparu, non sans avoir suscité des appropriations pédagogiques, espèrent ses concepteurs. Que se trame-t-il pour la suite ? « L’option actuellement privilégiée », révèle Pol Creignou, est une installation à Fontenay-aux-Roses afin d’accueillir les élèves du collège des Ormeaux réhabilité sur site. « S’il y a une période de battement, nous stockerons les modules, sinon ils seront remontés dans la foulée. » D’un cycle de vie à l’autre, tout, dans cette démonstration, s’emboîterait alors parfaitement.