La ferme pédagogique du parc départemental des Chanteraines, à Villeneuve-la-Garenne, offre à plus de 100 000 visiteurs par an une découverte de la ruralité. Un petit coin de campagne à la ville qui mobilise du matin au soir une équipe de six personnes.
Les grognements et des cris de convoitise se font entendre à son approche. Les bras chargés de seaux, Flavie Le Pelletier suscite même quelques bousculades au sein des enclos. « Salut mes chouchous, salut mes patates », s’exclame-t-elle, tandis que becs et truffes frémissent d’impatience. De la salade iceberg, vedette des supermarchés, complétée par des épinards du potager et du grain « pour les fibres », se déverse dans des mangeoires et sur le pré. « C’est un don de la banque alimentaire de Gennevilliers », explique la responsable des soins animaliers tout en dépiautant les sachets dans la réserve avant d’entamer son circuit matinal. D’abord les poules et la troupe des canards et des oies, dominées au bord de leur mare par la grande Toulouse, puis la porcherie et les deux frères nains Tom et Jerry et enfin la « nurserie » caprine afin d’améliorer l’ordinaire des mères allaitantes. À l’infirmerie, une poule attend d’être délivrée d’un œuf coincé pour réintégrer le poulailler. « Il y a de l’agressivité envers les plus faibles, il vaut donc mieux qu’elle reste à l’écart », explique la soigneuse, férue de ces féroces gallinacés : « Les poules me font rire. Quand on pense qu’il y a quelques millions d’années, c’était des T.Rex. L’évolution a été un peu vache avec elles ! ». Ses démonstrations envers ses protégés sont, elles aussi, un peu « vaches » et toujours bien informées : « Les poules ont une trentaine de cris et reconnaissent votre voix. Elles peuvent apprendre des tours comme des chiens ! » Une intelligence qui n’est rien encore comparée à celle des cochons, « capables de se reconnaître dans un miroir ».
Poitevines gourmandes
Ces animaux, habituellement élevés pour leur chair ou leur lait, ont évidemment vocation à finir leurs jours à la ferme. « Il hors de question d’abattre un animal pour en faire une caissette ! Ils sont là pour être connus du public », explique le directeur de la structure, Charles Couka. Les œufs constituent donc la seule production animale. L’effectif de cent vingt-neuf têtes est globalement en baisse depuis deux ans pour le bien-être des animaux. Les « recrutements » se font désormais sur la base du « potentiel de démonstration » et en vue de la conservation des races. Suze, la vache pie noire bretonne, Isidore, l’âne de Provence ou Fisso, le cheval de trait auvergnat sont les dignes représentants de races françaises à petits effectifs. Tout comme les moutons solognots ou les chèvres poitevines, la tête brune marquée de blanc et la lippe gourmande, dont ne subsistent que 5 000 individus en France. Restent les abandons auxquels la ferme, « qui n’est pas un refuge », ne peut toujours faire face : la moitié des poules, des lapins, un faisan, un bouc et jusqu’à la mascotte des lieux, le chat Oscar ont ainsi été « déposés » par une main anonyme… « Ces animaux peuvent introduire des maladies et ne s’adaptent pas forcément par la suite. » Les soins matinaux terminés, tous les jours sans exception à 13 heures, le grand portail tourne sur ses gonds – une amplitude exceptionnelle qui permet à près de 150 000 visiteurs annuels – familles, scolaires et centres de loisirs – de « flirter avec la ruralité », comme s’ils y étaient ou presque : Autant avec les animaux nous ne sommes pas dans une logique de production, autant sur le plan végétal nous fonctionnons désormais comme une micro-ferme », souligne Charles Couka. À quelques pylônes près, tout respire la campagne au sein de cette enclave de trois hectares dont deux de prés et un potager de 500m2 entourant des bâtiments blancs. L’accès se fait par l’entrée des Hautes-Bornes. Après l’ouverture il y a tout juste quarante ans, deux phases de reconstruction et d’agrandissement successives en 1991 et 2002 ont abouti à l’ensemble actuel, reconstitution d’un hameau du Vexin normand – une partie des charpentes et des pierres proviennent d’ailleurs d’une authentique exploitation, mais dans le Cher. Parmi les six fermiers – soigneuses, maraicher, ouvriers agricoles – certains vivent sur place, se levant au chant du coq ou au milieu de la nuit pour les vêlages.
Compagnie bovine
Dans leur pré, Janouchka et Suze ruminent, complices. Depuis bientôt un an la génisse tient compagnie à la solide jersiaise, les vaches étant des animaux grégaires. « Suze est arrivée un samedi à sept heures du matin, se souvient Flavie. Dès qu’elle l’a vue, Janouchka a couru et, pendant une heure, elle l’a fixée. » Vite adoptée par son aînée, la génisse « a encore du mal à accepter qu’on la touche et doit s’habituer au licol. C’est une ado. Quand c’est non, c’est non ! » Suze a aussi appris, petit à petit, à s’accoutumer au public. Dès l’arrivée des premiers visiteurs, « à l’heure de la sieste », les soigneurs veillent. Nul ne doit être touché contre son gré ou nourri à travers les clôtures – car même bien intentionnés ces gestes peuvent s’avérer désastreux voire mortels : « Une simple carotte peut tuer un lapin, s’il est diabétique, explique Flavie Le Pelletier. D’autres arrachent des plantes mais tout ce qui est vert n’est pas bon … ». L’année dernière, les dégâts au sein du cheptel ont été tels que la structure a dû fermer à deux reprises pour prodiguer des soins. « Il y a beaucoup de méconnaissance des animaux et du vivant en général. C’est sans doute parce que certains enfants vivent dans un univers aseptisé et ne savent rien du dehors. » La croyance selon laquelle le poulet se présenterait directement en barquette aurait ainsi toujours cours. Les propos des adultes font aussi sursauter. Florilège : les lapins seraient carnivores, la vache ferait du lait sur commande, les chèvres seraient des « cerfs » ou se nourriraient de fromage… Le soigneuse passe donc du temps à « rappeler les bases » tout en incitant au respect des animaux et attend beaucoup du futur parcours pédagogique, ludique et informatif qui, d’ici à 2023, permettra de découvrir la ferme en toute autonomie, du cheptel au potager-verger.
Agora potagère
Semer, cultiver, récolter tout à la fois… : jusqu’en octobre, Pascal Moutymbo n’aura que peu de répit. Sans compter les ventes de paniers en circuit court que les riverains s’arrachent chaque mercredi. Le maraîcher a appris à canaliser l’énergie de la nature et à économiser la sienne, s’inspirant des principes de la permaculture. Cette méthode qui « associe les savoir-faire traditionnels, avec les recherches les plus récentes en microbiologie des sols » l’a conduit à revoir le « design » des lieux : les planches sont désormais regroupées selon les besoins en engrais ; les semis très serrés ne laissent aucune place aux invités surprises et autres indésirables ; le paillage entretient un sol vivant « travaillé par les plantes et les vers de terre qui s’enrichit de lui-même et demande moins de compost ». Il applique à la lettre les conseils des spécialistes des sols Claude et Lydia Bourguignon qui viennent de former toute l’équipe à cette « agriculture éco-intensive ». Résultat : le nombre de paniers hebdomadaires a doublé cette année. De toute forme et couleur, cultivés sans produits de synthèse, les légumes et fruits, parfois des variétés anciennes, s’affranchissent des normes et intriguent à tous les coups. « Une tomate n’est pas forcément rouge et ronde, ni une carotte orange, ici les gens peuvent voir et goûter cette diversité ! Très vite, ils se mettent à discuter cuisine. » Saviez-vous par exemple qu’on pouvait « récupérer les feuilles de courges et les manger comme des épinards » ? Ou faire gélifier du lait avec des « inflorescences d’artichaut » ? Avec les paniers de légumes circulent donc des astuces et des savoirs ancestraux. Toujours selon l’approche permaculturelle, potager et parc participent d’un seul et même écosystème. En venant paître dans le potager déserté en hiver ou dans le parc dont ils enrichissent les sols, les herbivores jouent déjà les traits d’union entre ces composantes. Un éco-pâturage qui devrait prendre une toute autre ampleur avec l’arrivée d’un berger dans le parc : « Demain, davantage d’animaux pourront profiter des herbages, se réjouit Charles Couka. Le berger pourra aussi parler de son métier, expliquer comment il choisit les herbes les plus riches, comment il travaille avec son chien… » La superficie pâturée passera d’une poignée d’hectares à plusieurs dizaines tandis que moutons et chèvres, vaches, équidés « entreront en action » sous les yeux du public, une petite révolution.
Pauline Vinatier