Devenu le club d’aviron des Hauts-de-Seine, l’ex-ACBB fédère un large public autour de ses valeurs : goût de l’effort et esprit d’équipe.
Sèvres, leur port d’attache s’éloigne. Les quatre embarcations effilées ont pris le large. Sur l’eau calme et étincelante flotte comme un air de vacances mais nos jeunes rameurs ne font pas une promenade de santé. « Les gars, vous trouvez ça normal d’arriver à respirer la bouche fermée ? Accélérez, poussez sur les jambes ! », les tance leur entraîneur. À ces mots, dans un même geste, huit pelles fendent l’eau. Puis dans un mouvement inverse et toujours comme un seul homme, les rameurs, coulissant sur leur siège, reviennent à leur point de départ. L’enchaînement se répète inlassablement entre le pont de Sèvres et la tour TF1. Le terrain de jeu du club.
« Avec les autres, on s’entend bien, on est partis plusieurs fois en stage ensemble, raconte Maxence, en tête de son bateau pour donner le rythme aux autres. Ce que j’aime dans l’aviron, c’est qu’à condition de beaucoup s’entraîner, on peut vraiment améliorer sa technique ». Avec l’ancien champion du monde, ce débutant est à bonne école : « Je les incite à soigner leurs appuis pour les faire gagner en vitesse, explique Vincent Faucheux. Mais le plus difficile pour eux, c’est d’apprendre à se coordonner et à gérer leur effort. Ils ont tendance à partir bille en tête et à s’épuiser rapidement ». Au rythme d’une course par mois jusqu’aux championnats de France, le calendrier des plus jeunes rameurs du club (11-14 ans) est chargé : « La compétition leur apprend à se dépasser. Entre ces exigences et la transmission de la passion, il faut trouver l’équilibre pour leur donner envie de continuer ».
Des adhérents, le club en compte plus de huit cents, un record en France. Plus de la moitié pratiquent l’aviron en loisir, réunis autour d’une vie de club : randonnées, compétitions amateurs, repas, soirées… « On a beau être une grosse structure, il y a un bon état d’esprit, un sentiment d’appartenance à une famille », assure François Banton, depuis vingt ans à la tête du club. Une famille dont la résidence principale se trouve rive gauche, à Sèvres, depuis 2007, au parc nautique départemental de l’Île de Monsieur. Avec son club house moderne, où se côtoient clubs d’aviron, de canoë-kayak et de voile, et ses vastes hangars à bateaux, la base nautique a été aménagée par le Département – aujourd’hui son propriétaire et gestionnaire – avec les communes avoisinantes. « Ça change de la péniche, sous l’A 13 côté Boulogne, où nous avions notre siège ! L’impact de ces installations a été énorme : nous avons pu entreposer davantage de bateaux et accueillir nos adhérents dans de meilleures conditions ». Dans les résultats sportifs, il y aussi un avant et un après : « Au milieu des années 90, nous étions au fond du gouffre. Le premier objectif a été de retrouver un bon encadrement et de relancer un groupe de compétition ; ces nouvelles installations ont certainement contribué à nos résultats ». L’ACBB-Aviron est remontée des profondeurs du classement pour entrer en 2013 dans le top 5 national. En seconde position ces deux précédentes saisons, le club vise cette fois la consécration. Pour cela, il peut s’appuyer sur la régularité de ses équipes seniors et sur des athlètes phares, comme Aurélie Morizot, Léo Grandsire ou encore Stéphane Tardieu, en handi-aviron, dix fois titré champion de France.
Dernier tournant, le club, devenu fin 2018, Boulogne 92, porte désormais les couleurs des Hauts-de-Seine. Il bénéficie à ce titre d’un soutien accru du Département qui lui permettra, dans les années à venir, de continuer son développement à tous les niveaux. À l’horizon 2020 et 2024 se profilent les Jeux olympiques – et paralympiques – et il faut préparer l’avenir. Aussi, dès cette saison, un élan a été redonné à la formation : achat de bateaux pour la compétition, d’ergomètres (machines à ramer) pour le programme d’initiation « Rame en 5e » au collège, recrutement d’un nouvel entraîneur, lancement, en septembre, d’une section à horaires aménagés au nouveau lycée de Boulogne pour faciliter le quotidien des jeunes athlètes…
À la conquête du grand public
Boulogne 92 reçoit aussi le soutien du Département dans sa démarche d’ouverture à de nouveaux publics. « Pour beaucoup de gens, l’aviron, ça reste Oxford et Cambridge, les joutes sur la Tamise. On souffre d’une image aristocratique », regrette François Banton qui a, forcément, les yeux de l’amour pour ce qu’il considère comme le « seul sport complet avec la natation », porteur de valeurs fortes : « effort, cohésion, esprit d’équipe ». Autant de vertus qu’il tente de partager avec le plus grand nombre, si bien que le club fait figure de référence en matière de démocratisation de sa discipline. Première créée en Île-de-France en 2006, la section handi-aviron compte une dizaine d’adhérents, « essentiellement des personnes en fauteuil qui sont de grands compétiteurs ! » Le club s’est par ailleurs ouvert à un public d’étudiants et, le midi, de salariés venus prendre un bol d’air frais. Autre innovation : « l’aviron-santé, encadré par des « coaches santé ». « L’aviron peut avoir un intérêt médical car on travaille dans l’axe et on est porté, ce qui évite les traumatismes. Le geste de l’aviron est bénéfique pour accompagner la rééducation après un cancer du sein par exemple. Bien encadré, il peut aussi aider des personnes souffrant de problèmes cardiaques ». Pour l’heure, seuls les Alto-Séquanais peuvent entrer dans ce dispositif mis en place avec la CPAM 92.
Aviron adapté
Destinée aux jeunes souffrant de handicap cognitif, la section « aviron adapté » a, elle, été créée il y a trois ans sur l’impulsion de Constantza Sedaros, éducatrice sportive au club et maman d’un jeune autiste : « Je voulais qu’ils puissent pratiquer l’aviron, comme je l’avais fait pour mon fils. Mais ils ont des particularités qui rendent difficile leur intégration en loisir. Pour les autistes, une hypersensibilité tactile, une difficulté à aller vers les autres, des problèmes de verbalisation… ». Pour chaque jeune le double d’encadrants est prévu afin de sécuriser la sortie et de rassurer les familles. Marie s’est portée bénévole : « Quitte à aider, j’avais plus envie de transmettre ma passion que de réparer des bateaux. Je suis kiné et j’ai l’habitude des enfants mais pas de ce public. Au fil du temps, j’ai tissé une relation de confiance avec eux, qui m’apporte beaucoup ». Comment, en effet, ne pas être touchée quand une maman vous raconte que son fils, d’ordinaire muet, s’est mis à chanter sur l’eau ? Frédéric vient exprès des Yvelines pour ces séances, avec son fils Gabriel, autiste. « Depuis qu’il fait de l’aviron, je le sens très impliqué. Il essaie d’aider le groupe, par exemple pour porter et ranger les bateaux. Même s’il ne parle pas, il s’ouvre aux autres et gagne en autonomie ». Aujourd’hui, seul le nombre de bénévoles limite le développement de l’aviron adapté. De manière générale, reconnaît le président, sans ses bénévoles, Boulogne 92 « ramerait » un peu. Aux côtés des entraîneurs professionnels du club, ils encadrent et sécurisent les séances sur l’eau. Ils réparent les bateaux. Ils prêtent main forte lors des grandes manifestations. À l’occasion de Nautique Hauts-de-Seine, en juillet, on les verra animer des initiations pour donner envie aux néophytes de rejoindre, à leur tour, la grande famille de l’aviron.
Pauline Vinatier