La médaille d’or paralympique du licencié d’Antony Athlétisme 92 à Tokyo est une performance historique pour le sport adapté français. Et le fruit d’une patiente préparation avec Vincent Clarico, son entraîneur.
Il tire son trophée de son sac, l’extrait avec précaution de son étui, le passe autour de son cou et se met à sourire. « Pour moi, c’était un rêve d’aller chercher la médaille, j’ai été chercher la médaille », répète Charles-Antoine Kouakou avec fierté. Séance après séance, ce sont là les mots exacts employés par Vincent Clarico, son entraîneur : « Il fallait donner du sens à tous ses efforts, explique l’ancien spécialiste du 110 mètres haies, lui-même demi-finaliste aux JO d’Atlanta, en 1996. Alors à chaque fois, je lui demandais : “Pourquoi on fait ça ? ” et il me répondait : “Pour aller chercher la médaille ! ”» Désormais bien réelle, cette médaille d’or est une performance historique pour le sport adapté français qui s’adresse aux personnes en situation de handicap mental ou psychique. « J’ai fait aussi bien que Mbappé », s’enthousiasme le jeune homme de vingt-trois ans, fan du PSG.
Coureur né
Nombreux sont ceux passés en Institut médico-éducatif puis en établissement d’aide par le travail – Charles-Antoine est jardinier à l’Esat des Muguets, à Drancy – qui peuvent s’identifier à lui et s’autoriser dans son sillage à rêver. Plus jeune, Charles-Antoine a taquiné le ballon rond et s’est essayé au judo et au karaté, avant de prendre sa première licence d’athlétisme auprès d’Abdo 93, à Bobigny. Ses qualités naturelles – grand, longiligne et rapide – et son plaisir à courir ont fait le reste. « Pour lui courir est un jeu, il ne ressent pas la pression, c’est un avantage certain en compétition », observe Vincent Clarico. Repéré à dix-huit ans, il est intégré au Pôle France et collectionne depuis titres et records, sur 100 et 200 mètres principalement. En vue des Jeux, il fallait cependant « transformer le sprinter pur en coureur de 400 mètres » seule distance en T20, sa catégorie. Un défi, car « si n’importe quel sprinter peut courir un 300, toute la difficulté est dans la dernière ligne droite ». Sollicité par la fédération, l’ancien athlète a hésité. « J’avais déjà accompagné un sportif déficient intellectuel pour Rio et ne souhaitais pas réitérer, confie-t-il. Mais en tant qu’entraîneur, j’ai aussi une âme d’éducateur… »
Mon rêve était d’aller chercher la médaille. Je suis connu dans le monde entier. J’ai fait aussi bien que Mbappé !
Tenir la distance
D’abord améliorer la motricité et la vitesse sur 100, 200, 300 mètres « une épreuve qui n’existe pas », ensuite seulement travailler la dernière ligne droite : c’est la stratégie de Vincent Clarico pour apprivoiser la distance. Le reste tient en un mot : s’adapter. Avec Charles-Antoine, une bonne démonstration, gestes à l’appui, vaut mieux que de longues explications, tandis que pour pallier les difficultés de communication de l’athlète, le technicien s’est mis à l’écoute de sa « réponse physiologique ». « Charles-Antoine m’a conduit à singulariser davantage mon approche, à pousser ma réflexion plus loin, estime-t-il. En ce sens il m’a fait progresser en tant qu’entraîneur. Si j’avais à accompagner un autre coureur de 400, je crois que c’est de lui que je tirerais mon inspiration ! » Avec l’annonce du report des Jeux, allongeant d’un an la préparation, il s’autorise à envisager davantage qu’une place en finale, d’autant qu’à l’approche de l’événement, à l’entraînement les signaux sont bons : « Il a pris conscience qu’il était très fort sur les 300 premiers mètres et qu’il pourrait gérer la dernière ligne droite. C’est une des raisons pour lesquelles pendant la compétition, on l’a vu se faire dépasser sans aucune panique. »
Comme un empereur
À Tokyo, devançant l’ensemble de ses concurrents sur la fin, son poulain a passé la ligne « comme un empereur » en 47 secondes et 63 centièmes. « Je ne m’attendais pas à une médaille d’or, poursuit Vincent Clarico. J’ai beaucoup travaillé pour ça, mais en me focalisant sur la personne plutôt que sur la médaille. Je voulais qu’il se sente bien, épanoui. Et c’est comme ça qu’il a brillé. » Au fil de cette aventure paralympique, le jeune homme a évolué sur bien d’autres aspects. « D’après son Esat, il a changé. Avec l’athlétisme il est surstimulé. Il travaille sur la mémorisation, la lecture, le calcul…» Sans compter le « phénomène d’inclusion », Charles-Antoine étant devenu la mascotte de son groupe à Antony. Après les célébrations du retour, les entraînements ont repris au stade Georges-Suant. À Paris en 2024, le rêve serait de réaliser le doublé. Mais Vincent Clarico a aussi un autre souhait. Pendant l’entretien Charles-Antoine s’est peu exprimé : « J’aimerais qu’il soit en capacité un jour de relater son propre ressenti, souffle-t-il. Pour moi, ce ne serait plus une médaille d’or mais une médaille de platine ! »
Pauline Vinatier