Le rameur de Boulogne 92 aime à repousser ses limites. À cinquante ans, sept ans seulement après ses débuts sur l’eau, il dispute ses premiers Jeux Paralympiques.
Sa sellette, aux couleurs de l’équipe de France, ne coulisse pas comme sur les autres bateaux. Il se propulse à la seule force de ses bras et, dans l’effort même qui lui arrache des grimaces, il semble puiser sa motivation. « En temps normal, la propulsion se fait à 70 % avec les jambes. C’est dur physiquement mais il y a le plaisir de déplacer le bateau ! » À la base nautique départementale, à Sèvres, Christophe Lavigne répond présent par tous les temps. Malgré les remous suscités par les péniches, au voisinage des canards et des bateaux de loisirs, le rameur perfectionne son geste sans relâche et développe sa puissance. Jeune dans la discipline mais plus si jeune pour un athlète de haut niveau, il vient de fêter ses cinquante ans : « Je suis entre deux courbes : celle de l’apprentissage sportif et celle de l’âge. Aujourd’hui je suis dans une phase ascendante, je continue à progresser tout en sachant que l’âge me rattrape ».
Naturel joueur
L’exercice physique ? « Pendant longtemps, je n’en ai pas ressenti le besoin. Même si vivre avec des prothèses, c’est déjà du sport ! », ironise-t-il. Un jour en descendant du train, retenu par son sac il est resté coincé sur les rails. De cet accident survenu à vingt-trois ans, il sort amputé, à gauche au fémur et à droite au tibia. À force de volonté et avec un appareillage, il a repris son autonomie : « Au départ je tenais à peine debout mais le cerveau s’habitue vite. Ma priorité a été de me reconstruire avec ma future femme et de retrouver un équilibre professionnel ». Il réintègre son emploi dans un cabinet d’expert comptable puis entre au Crédit agricole, où il travaille encore actuellement, devient père de deux garçons. Si bien qu’à ses débuts de rameur, en 2014, il a quarante ans passés. « C’est l’âge qui m’a motivé, avoue-t-il. Je voulais m’entretenir physiquement. J’ai vu qu’on pouvait pratiquer l’aviron sur un siège fixe et en cherchant un club adapté, je suis tombé sur Boulogne 92 qui était précurseur. » Dans la toute jeune section handisport encadrée par Alexandre Bridel, où il débarque alors, se détache la figure de Stéphane Tardieu, déjà médaillé paralympique. Avec ce groupe « qui vit bien », il dispute dès l’année suivante les championnats de France, prend goût aux compétitions et monte plus souvent qu’à son tour sur la seconde marche du podium – juste derrière Stéphane. Le constat s’impose : « J’étais venu pour le loisir mais le club était moteur et moi d’un naturel joueur ! ».
On ne pourra rien visiter à Tokyo, alors si on ne revient pas avec une médaille je ne sais pas pourquoi on y va !
Trois pour un bateau
En 2018, il est appelé en équipe de France. Dans sa catégorie, les compétitions majeures se disputent en double mixte, une femme, un homme. Ils sont trois pour deux places : d’un côté Perle Bouge, rameuse de Bayonne « sans rivale au niveau national », de l’autre les deux licenciés de Boulogne 92. « Une fenêtre s’était entrouverte. J’étais déterminé à chercher la limite, à grappiller des minutes puis des secondes sur Stéphane. Il a toujours été ma référence ». Lorsque le rameur d’élite, un an plus tard, quitte le haut niveau, Christophe monte dans le bateau. En août aux championnats du monde, Perle et son nouvel équipier, médaillés de bronze, qualifient leur embarcation pour Tokyo. Sans attendre, il va voir son employeur : « Je voulais aller jusqu’au bout de ce projet mais sans partir tête baissée, en mesurant les conséquences sur mon équilibre familial et professionnel ». En contrepartie d’un mi-temps et du maintien de sa rémunération, l’entreprise communiquera sur son aventure.
Gagner des watts
Lui profite de son exposition médiatique pour parler du handicap dans les écoles : « Quand on y est sensibilisé, on le comprend mieux, pour les autres et pour soi ». Pour le reste, son quotidien offre peu de répit. À Sèvres, il alterne séances sur l’eau, musculation « pour gagner des watts », ergomètre « pour le foncier ». « Perle a déjà un très bon niveau, individuellement c’est moi qui ai la marge la plus grande, dit-il avec humilité. L’objectif est de progresser pour être au service du bateau. » En retardant les Jeux, la crise sanitaire a opportunément allongé cette préparation. Lors des stages fédéraux, il retrouve son équipière pour travailler leur coordination. Lors des ultimes tours de chauffe du printemps, le binôme a pu jauger la concurrence, Anglais et Hollandais apparaissant comme des « challengers intouchables ». Mi-août, Perle et Christophe retrouveront tout ce monde à Tokyo où le protocole sanitaire s’annonce draconien. Il s’en amuse : « On ne pourra rien visiter, alors si on ne revient pas avec une médaille je ne sais pas pourquoi on y va ! ».
Pauline Vinatier