Le designer assure la direction du nouveau projet départemental du Jardin des métiers d’Art et du Design à Sèvres.
Passionné de savoir-faire, passé par les Arts déco de Strasbourg avant d’être diplômé de l’École nationale supérieure de création industrielle, Grégoire Talon, 45 ans, exerce depuis plus de quinze ans dans le domaine de l’artisanat d’art et du design. « Jeune, j’ai beaucoup travaillé en atelier et j’ai remarqué deux choses : d’abord que j’étais assez mauvais, ensuite que ces savoir-faire étaient fascinants… »
Interprète et créateur
Qu’est-ce donc qu’être un bon artisan ? Un parallèle s’établit aussitôt avec les musiciens, interprètes et créateurs, qui parlent de leurs métiers avec exactement les mêmes mots : « Le travail d’artisan est par définition un travail créatif, il requiert des allers-retours entre penser et faire, une coordination entre la vivacité d’esprit nécessaire à des problématiques souvent très complexes et la capacité de la traduire en dextérité gestuelle. » Si l’on ne peut qu’admirer la vivacité d’esprit de l’interlocuteur, il faut le croire sur parole pour le reste : « Je me suis écrasé les doigts plusieurs fois, je me suis brûlé, j’ai fait tout ce qu’il fallait pour me convaincre que je n’étais pas fait pour être un artisan, mais ça ne m’a pas dégoûté de l’artisanat, bien au contraire, ça a amplifié l’admiration que j’avais pour les artisans d’art. Comme designer, je ne fabrique pas les objets que je dessine, j’ai besoin de la virtuosité et de la créativité de l’artisan pour m’accompagner, en bureau d’études ou en atelier de production. »
Le Jardin des métiers d’Art et du Design va permettre de faire comprendre tout l’intérêt que ces métiers peuvent générer. Et pourquoi pas éveiller des vocations.
Au service de tous les publics
Dispositif culturel, économique et social, le Jardin des métiers d’Art et du Design (JAD) relève naturellement de la mission de service public du Département. « Nous sommes inscrits dans le territoire des Hauts-de-Seine et notre volonté est de faire découvrir ces métiers qui sont souvent méconnus du grand public, ou qui sont connus à travers un prisme parfois un petit peu désuet pour les métiers d’art et caricatural pour le design. Le JAD s’adresse ainsi à des professionnels et des experts pour l’aspect recherche et dialogue interdisciplinaire, et à un public de néophytes et de curieux, dont certains sont éloignés des problématiques artistiques et culturelles, grâce aux expositions et leur principe d’atelier de découverte. » Une dimension internationale, par l’intermédiaire de résidences étrangères, complète le projet : « L’artisanat est depuis des siècles une pratique d’échanges. Si l’on prend l’exemple des Compagnons du devoir, c’est grâce au fameux tour de France, qui est aujourd’hui un tour du Monde, que leur savoir-faire s’enrichit, se frotte à de nouvelles cultures et peut grandir au quotidien. Dans l’évolution des espèces, c’est la mixité des origines qui renforce le patrimoine génétique. La mixité culturelle permet de renforcer le patrimoine créatif des projets. »
Tradition, innovation, transition
Au sein de sa mission, Grégoire Talon fait partie de ces professionnels qui ont une vision : « Nous vivons dans une société qui a perdu le lien entre l’esprit et la matière. Cette rupture avec le réel provoque une perte de repères générale et je pense qu’il y a la possibilité de ramener aujourd’hui, dans notre environnement, de l’émotion… Les objets sont des vecteurs de connexion au monde. » Une vision qui traverse le champ économique : « Il existe aujourd’hui une décorrélation entre la valeur de fabrication et d’usage et la valeur d’achat d’un objet qui biaise complètement notre perception. L’artisanat d’art produit des objets patrimoniaux, il faut envisager leur coût sur toute la durée de vie de l’objet, recyclage compris. Et cela pose la question de la mode, de “l’obsolescence esthétique” dans une époque où l’obsolescence technologique nous effraie. À ce titre, le designer a un rôle à jouer en partenariat avec l’artisan d’art ». Une vision qui scrute avec passion l’innovation et la transition numérique de métiers qu’on imaginait figés dans le marbre du temps. « Gutenberg avait une formation d’orfèvre, Vaucanson, l’inventeur français des automates et des métiers à tisser mécaniques, était horloger, Thimonnier, celui de la machine à coudre, était tailleur… Ce n’est pas un hasard. » Et de rappeler que la plus traditionnelle des marqueteries bénéficie de la découpe au laser pour atteindre une précision et des perspectives exceptionnelles : « L’outil numérique est particulièrement intéressant, mais c’est d’abord un outil, le meilleur compagnon de l’artisan qui travaille avec ses mains. La transition numérique va au-delà. Comment intégrer des technologies obsolescentes à des objets patrimoniaux ? Comment inventer une manière dématérialisée de transmettre à distance l’émotion d’un objet d’art ? Ce sont de grands sujets à traiter. » On le disait : une vision !
Didier Lamare
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