À Meudon, le domaine du Potager du Dauphin offre un écrin à des artisans d’art triés sur le volet, qui pérennisent un savoir-faire original et authentique.
Il faut gravir les deux étages d’une maison de maître restée dans son jus, avec son grand escalier et ses parquets, pour atteindre le nid d’aigle de Christelle Le Bloas. Elle est l’une premières arrivées en ces lieux. Rapidement, l’artisan vitrailliste raconte son saisissement, adolescente, devant les « majestueux » vitraux d’une église. Mais sans pour autant parler de vocation : « Après le bac, j’ai été vers les arts appliqués. Mais j’ai quitté un cursus, puis un autre, dès que l’avenir me paraissait trop réglé, je faisais un pas de côté ! » Jalouse de son indépendance, aux travaux de restauration « très codifiés », elle privilégie les « créations pures » comme ce grand panneau aux motifs floraux, qui réclamera d’assembler cent quarante pièces, peintes à la grisaille et aux émaux, passées au four puis serties de plomb. Elle s’est, par-dessus le marché, découvert une passion pour la laque. « Là on peut dire que c’est une révélation. La laque réunit plus de dix métiers en un : dessinateur, doreur, graveur, vernisseur… la liberté est totale. » C’est l’art de faire briller mais aussi, par des couches et des ponçages successifs, « de jouer sur les nuances de couleurs et la profondeur du décor ». Paysages, portraits, affiches et même le cheval de bois de son enfance, sont incrustés de métal, de papier, voire de matériaux précieux. L’artisan d’art restaure aussi des meubles anciens de famille. Entrant à flot dans son atelier, la lumière fait vibrer toutes ces surfaces, lumière qui comble, confie-t-elle, sa propre « quête de transparence » et relie ces deux univers.
Avec elle, ils sont quatorze, sélectionnés sur la qualité et la rareté de leur savoir-faire, à bénéficier de ce cadre d’exception et des loyers accessibles pratiqués par la ville. L’hôtel d’activités artisanales, créé en 2008 avec le concours du Département, participe à la sauvegarde d’un site historique, ainsi nommé en référence au Grand Dauphin, fils de Louis XIV, jadis installé au château de Meudon. Il s’inscrit dans un ensemble entouré d’un parc, comprenant aussi une batterie d’espaces culturels municipaux et une chapelle. Parmi les activités hébergées, la joaillerie, la tapisserie, l’héliogravure – l’un des seuls ateliers de France – ou encore, clin d’œil à l’histoire des lieux longtemps occupés par un centre d’études russes, l’iconographie byzantine. Au rez-de-chaussée, des salons de réception permettent de participer aux actions des manifestations nationales comme les Journées européennes des Métiers d’art, au printemps. Comme plus de quatre-vingts professionnels du territoire, cinq de ces locataires, labellisés « Artisans du tourisme », jouent aussi les ambassadeurs en organisant visites et ateliers.
Mode amovible
Chez Anahide Saint André, le thème du repli inspire la collection 2021-2022, dont les patrons s’étalent sur la table. « Je compte aussi jouer sur l’ouverture, qui est l’ampleur du repli, il faut une lueur d’espoir, sourit Virgine Radice, qui se cache derrière cette marque féminine haut de gamme. Parions qu’en 2022, il y aura beaucoup de mariages ! » Après une solide carrière dans l’audit de grandes maisons de luxe, cette Meudonnaise a succombé à la « vocation textile » qui couvait en elle. D’abord installée à domicile, elle rejoint deux ans plus tard le Potager du Dauphin, où sont conçues et pour certaines fabriquées ses collections et pièces sur mesure. « C’est plus pratique pour recevoir les fournisseurs et c’est un écrin dont les clients sont friands. » De son passé avec les chiffres, elle a gardé une minutie présente dans ses créations inspirées par le Japon et sa « culture de l’attention ». Sobres et sans compromis sur la qualité des matières, de la découpe et des finitions, ses créations se piquent d’une simplicité complexe. Virginie Radice joue sur la modularité – une robe de soie dans laquelle vient se loger un bustier – et même la réversibilité et peut passer des heures à rendre invisibles coutures et étiquettes. À rebours de la fastfashion, sa garde-robe idéale traverse les saisons sans jamais lasser. « L’une de mes satisfactions, ce sont les clientes qui reviennent me voir avec leur manteau préféré pour remplacer la doublure. » À l’honneur sur les mariages, appréciées des femmes d’affaires, ses créations passent aussi à la ville, comme ce sweat à capuche doublé de soie à porter avec une jupe ou un jean, détournement jubilatoire et longuement prémédité.
Retour de l’élégance
Quand l’une habille les corps, au bout du couloir, l’autre s’en prend à votre tête. « Parfois un petit détail suffit à changer les choses, assure Béatrice de Beauvoir en examinant un bibi rose avant d’opter pour quelques plumes. Il ne faut pas qu’une déco cache de belles courbes. À trop charger, le risque est d’avoir une grosse choucroute ! » Dans son atelier, les saisons changent avec les chapeaux. L’hiver, les feutres moulés sur des formes en bois et les casquettes savent si besoin remplacer le parapluie. Les fantaisistes petits bibis et capelines aux larges bords colorées, en paille de sisal, enrubannées de fibres de buntal ou de banane sont, eux, de sortie aux beaux jours et invités à la noce. Ici et là se glissent quelques bêtes à concours, comme ce moitié haut-de-forme, moitié melon. Dans ce décor charmant la fondatrice des Chapeaux de Béa invite ses clientes à « laisser leurs soucis dehors » et répond à leurs envies les plus accessoires. Pendant le confinement, elle a aussi lancé une boutique en ligne pour séduire les jeunes. Car, croyez-la, le couvre-chef n’a rien de désuet : « De nos jours, personne n’a le temps de s’apprêter, moi y compris, mais on peut faire de ses sorties un moment différent. Je suis pour le retour de l’élégance ! » Mais y-a-t-il des têtes à chapeaux ? « C’est comme pour un vêtement. Il faut tenir compte de la forme visage et de la personnalité, répond-elle. Et le chapeau attire le regard, il faut donc l’assumer. » De l’élégance et du toupet, donc.
Belles mécaniques
Intemporel, Thierry Saada l’est lui aussi mais dans son antre le temps s’arrête et reprend plusieurs fois par jour. Une loupe au creux de l’œil, l’horloger inspecte un chronographe à compteurs multiples, capot béant : « C’est compliqué. Avec ces fonctions en plus, il y a le double de pièces ! » À son poignet, une Tudor qui ne le quitte pas : « De nos jours les montres sont le seul bijou des hommes. » Thierry Saada débute sa carrière comme commercial avant de se lancer dans l’achat-revente et la réparation de montres et de stylos. « Je suis sensible aux vieux objets, en particulier aux montres, à cause de leur côté mécanique de précision dans un tout petit espace », explique ce bricoleur de motos. Depuis treize ans, dont trois au Potager, son activité fait la joie des collectionneurs et possesseurs d’objets anciens. En prenant soin de cette montre à coque « de 1780 » qui sonne les heures comme une horloge, il a aussi le sentiment d’œuvrer pour le patrimoine. Et même si l’autodidacte en lui doute encore, le passionné reprend toujours le dessus. « Je suis une pipelette », s’excuse l’horloger, qui n’a pas vu les minutes passer. La générosité dès qu’il s’agit de parler de leur art, c’est ce qui réunit les membres de cette grande famille d’artisans.
Pauline Vinatier
www.artisansdartmeudon.fr