« Nous sommes le quatrième pays le plus attaqué au monde »

CD92/Julia Brechler

Michel Van Den Berghe, directeur du Campus cyber de La Défense, revient sur les enjeux de sécurité soulevés par notre dépendance croissante au numérique mais aussi sur les opportunités suscitées par l’essor de la cybersécurité.

À mesure que les usages numériques ouvrent de nouvelles opportunités, ils génèrent de nouvelles menaces. Sommes-nous suffisamment protégés ?

MVDB Le grand phénomène aujourd’hui, c’est l’explosion de la donnée : on a généré en 2021 davantage de données que pendant toute l’histoire humaine. Ces données ont une valeur importante et sont convoitées par les cybercriminels qui rançonnent les individus et les entreprises, soit en capturant leurs données et en les chiffrant, soit en extrayant des informations sensibles et en menaçant de les divulguer.  Toutes les cibles ne sont pas à égalité face à cette cyberdélinquance extrêmement organisée. Autant les grandes entreprises ont les moyens de recruter des experts, autant les petites entreprises ou les commerçants et même les petites collectivités, n’ont pas toujours les moyens ni la formation adéquate. On sait aujourd’hui que la moitié des toutes petites entreprises qui ne payent pas de rançon déposent le bilan.

La cyberguerre n’est-elle pas devenue une composante à part entière de la guerre de terrain, comme le montre l’actualité ?

MVDB Le monde numérique n’est que le reflet du monde réel. Mais jusqu’à présent on était un peu dans une guerre froide, chacun protégeant son environnement et son espace numérique, contre les pratiques d’espionnage, par exemple. En phase de conflit, le numérique peut être utilisé pour saboter les systèmes d’information afin de mieux attaquer ensuite. On l’a vu entre la Russie et l’Ukraine quand les réseaux satellitaires ont été ciblés. Ce sont précisément ces réseaux qui prennent le relais quand les communications terrestres ont été détruites : avec leur destruction, c’est l’action des associations humanitaires qui utilisent ces infrastructures qui est alors entravée, ainsi que l’accès à l’information. Cela ajoute à l’angoisse et à la peur.

Dans ce contexte, en quoi la souveraineté numérique est-elle un enjeu majeur ?

MVDB Nous avons construit notre système de défense sur un monde numérique en paix. Mais en cas de conflit, nous serions très vulnérables. Quatre-vingt dix pour cent de nos mondes numériques sont construits sur des technologies américaines ou chinoises. La souveraineté numérique, c’est d’abord faire en sorte d’être maîtres de notre destin pour nos architectures les plus sensibles. Il y a des secteurs essentiels à protéger : l’électricité, les télécoms, l’eau, la santé… Les attaques sur les hôpitaux, comme la France en a connu ces dernières années, ne sont pas qu’une affaire de gestion. Quand on ne sait plus soigner les gens, ils peuvent en mourir… Il faut réagir. Un parallèle peut être fait avec la « vraie vie » : pendant la crise sanitaire, après nous être rendus compte que nous ne fabriquions plus nos masques nous-mêmes, nous nous sommes remis au travail. 

Vous présentez le Campus cyber de La Défense comme un « centre d’entraînement de l’équipe de France cyber »… Que signifie cette expression ?

MVDB La France est le quatrième pays le plus attaqué au monde mais elle est dans le top 5 des pays pour son expertise en termes de cybersécurité. Il faut que l’on soit fiers de cela. Ce campus nous permet de montrer nos muscles, d’affirmer qu’on peut être français et leader en termes de cybersécurité. L’objectif est de rassembler en un lieu unique l’ensemble de l’écosystème pour pouvoir avancer ensemble : des entreprises privées, les grandes comme les toutes petites, les services de l’État, la recherche, des organismes de formation mais aussi les clients finaux qui peuvent influer sur les solutions développées. Plus de quarante entreprises sont présentes au campus dont un bon nombre du CAC 40, dans le secteur des transports, de la banque, de l’énergie mais aussi du luxe. C’est ce qui fait notre spécificité par rapport aux campus de Skolkovo en Russie ou de Beer Sheva en Israël dont nous nous sommes en partie inspirés.

La souveraineté numérique, c’est faire en sorte d’être maîtres de notre destin.

Face à des menaces en constante évolution, vous défendez l’idée d'une riposte collective ?

MVDB L’objectif n’est pas de faire un projet immobilier même si les lieux sont accueillants ni un think tank, mais un projet qui serve à la communauté. Je souhaite que ce campus soit toujours en idéation, en bouillonnement. Au troisième étage, un plateau projet de 2 200 m2 est d’ailleurs dédié aux « communs de la cyber ». Des groupes de travail se sont déjà formés. Une quinzaine d’entreprises ont ainsi constitué une base commune de détection de la menace tandis que vient de sortir un rapport d’anticipation dédié à l’évolution du monde numérique à l’horizon 2030 qui profite à l’ensemble de l’écosystème. Le campus hébergera aussi la première plateforme d’intelligence artificielle dédiée à la cybersécurité, qui doit nous permettre de travailler sur la détection de la menace par le comportement.

La cybersécurité est-elle aussi une opportunité économique pour les entreprises qui sauront innover ?

MVDB Sur vingt-six licornes françaises (start-ups valorisée à plus d’un milliard de dollars, Ndlr), il n’en existe aucune dans le domaine de la cybersécurité, alors que le marché est en forte croissance, de l’ordre de 20 à 25 % par an !  On est un pays d’ingénieurs. Avec ce campus, on veut faire en sorte que toutes les bonnes idées puissent aller jusqu’au stade de la start-up et, pourquoi pas, de l’internationalisation. Des réponses restent à inventer dans des domaines aussi variés que l’informatique quantique, la e-santé, les crypto-monnaies, l’intelligence artificielle, les objets connectés qui, il faut le rappeler, concernent aussi bien ce que vous allez brancher sur votre PC que le TGV ! La security by design, c’est-à-dire le fait d’inclure la sécurité dans les applications mêmes, est un autre domaine prometteur. Demain, la cybersécurité doit devenir un critère de choix pour le consommateur de la même manière que, quand il choisit une voiture, il prend en compte cette dimension de la sécurité.

Malgré toutes ces perspectives, le secteur souffre d’un déficit d’attractivité. Pourquoi ne fait-il pas rêver les jeunes ?

MVDB Quand on parle de cybersécurité, cela évoque soit le « geek à capuche », soit l’espion. Il faut changer cette image. On résume trop souvent ce domaine à des métiers techniques alors qu’il réclame aussi des juristes, des chefs de produits, des commerciaux, des spécialistes de la géopolitique, surtout en ce moment ! Sans compter l’enjeu de la féminisation. Aujourd’hui en France, 15 000 postes ne sont pas pourvus, pourtant les rémunérations sont intéressantes et, surtout, ce sont des métiers qui ont du sens. Nous sommes les casques bleus du numérique, notre mission est de protéger un monde virtuel sans défense et de réparer les dégâts. 

À La Défense, un lieu totem de la cybersécurité

Le Campus cyber de La Défense, inauguré en février dernier, réunit sur 26 000 m2 dans la tour Eria tout l’écosystème de la cybersécurité : start-ups, PME, industriels de la cybersécurité et du numérique, services de l’État (ANSSI, ministères de l’Intérieur et des Armées), laboratoires de recherche (Inria, CEA, CNRS), organismes de formation. D’ici à fin juin, 1 800 experts et plus de 100 sociétés y seront installés. L’ambition est de générer des ripostes face aux cyberattaques, de rapprocher recherche et industrie en vue d’innover et enfin de former les experts de demain. Cette société privé-public, à gouvernance exclusivement européenne, est le fer de lance de la stratégie nationale cyber qui prévoit de tripler le chiffre d’affaire du secteur et de créer 37 000 emplois d’ici à 2025.
campuscyber.fr

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