Au parc départemental des Chanteraines, entre Gennevilliers et Villeneuve-la-Garenne, une ligne touristique fait depuis plus de quarante ans la joie des petits citadins. Un « vrai train », dans un cadre hors du commun, qui roule six mois par an grâce à une équipe de bénévoles passionnés.
ès que retentit son klaxon, les familles se préparent au spectacle. Les plus jeunes, figés d’admiration, agitent les mains devant la locomotive qui défile au pas, entraînant ses baladeuses. Si les voyageurs jouissent d’un panorama varié sur le parc et d’une vue qui porte jusqu’à la butte Montmartre et à la tour Eiffel, dans sa cabine le conducteur du jour ne quitte pas les rails des yeux : son « jouet » pèse plusieurs tonnes et l’environnement ajoute à la difficulté. « Ici on voit des vaches (celles de la ferme des Chanteraines, Ndlr) mais surtout des ballons. Et souvent quand un ballon traverse la voie vous avez un gamin derrière », avertit Michel Goussu. La voie, d’un écartement de 60 centimètres, capable de tourner très sec, convient au profil de la ligne, contrainte d’enjamber l’A 86 ou encore l’avenue Charles-de-Gaulle par une rampe prononcée dont les courbes hélicoïdales forment presque un coude. Peu utilisée pour le transport de voyageurs, cette voie étroite a surtout été employée par l’industrie et par l’armée, en particulier en 14-18, après avoir été inventée par un fils d’agriculteur, Paul Decauville. « Pour sortir les betteraves des champs boueux, il a eu l’idée de créer une voie portative qui ne s’enfonçait pas dans le sol ! Son succès est d’avoir réussi à la placer auprès de l’armée qui développa tout un système de voies, d’aiguillages et de matériel roulant », explique Didier Meurillon, président de l’association du Chemin de Fer des Chanteraines (CFC) qui exploite la ligne depuis 1984 pour le compte du Dépatement.
Un « vrai train »
L’une des spécificités de ce chemin de fer touristique est d’avoir été créé de toutes pièces par le Département, tout comme le parc aménagé sur d’anciennes gravières à partir de 1975 : la première section réalisée en 1981 longe les bords de Seine depuis le pont d’Épinay avant de traverser le secteur des Hautes-Bornes ; lors de l’ouverture au public des Tilliers, dix ans plus tard, des rails furent posés jusqu’à la gare RER de Gennevilliers. Le tracé, du nord au sud, dessine une forme de « banane » sur cinq kilomètres, auxquels s’ajoutent 500 mètres de voies de remisage et d’évitement pour permettre aux trains de se croiser au niveau des six stations. Non loin de la ferme pédagogique, la station « La Ferme » abrite une gare et un service aux voyageurs qui n’a rien à envier à la RATP ou à la SNCF. La base arrière de la ligne, derrière le poney-club, comprend deux dépôts dont l’un sert d’atelier et des locaux administratifs : vestiaires, bureaux, salle de réunion, ornée d’une belle collection de fanaux ferroviaires… « Certes, on est bénévoles mais on fonctionne comme un vrai train. On a des procédures, des grilles de marche et on fournit un service tout en assurant la sécurité de nos passagers », souligne Didier Meurillon. « En 2022, 8 000 heures ont été consacrées à l’exploitation à l’atelier, ou aux tâches administratives ».
Pas une ligne facile
Les aspirants conducteurs bénéficient d’une solide formation, à raison de 25 heures au minimum, qui doit leur permettre de maîtriser le parcours et ses pièges. « Ce n’est pas une ligne facile, estime Didier Meurillon. Il y a de petits faux plats traîtres, des pentes glissantes par temps de pluie, des passages à visibilité faible. Quand on sait conduire ici on sait conduire partout. » Après avoir apprivoisé le matériel le plus maniable – des locomotives diesel « Socofer » que le Département a tout juste remplacées par des tracteurs électriques – les volontaires peuvent se faire habiliter sur des « Plymouth », des machines « plus sportives » remontant à l’après-guerre ou sur les locomotives à vapeur, encore plus techniques. « De petites bêtes assez capricieuses » qui demandent quatre heures de montée en pression. Pour faire circuler un train, un chef d’exploitation en gare et un chef de train à bord, pour veiller au respect des consignes de sécurité, sont également requis, rôle que Sandrine Riard, l’une des quatre femmes de l’association, connaît par cœur. Dès les vérifications d’usage effectuées, son talkie-walkie à portée de main pour communiquer avec la gare, elle donne le signal du départ puis passe l’après-midi le nez au vent : « J’aime être au contact des gens, je réponds à leurs questions, quand certains s’étonnent par exemple de voir des moutons et des chèvres, je leur parle de la démarche écologique. Le train est une très bonne façon de découvrir le parc. » Au guichet de la gare, sous une belle casquette, Didier Meurillon sait parler de son train aux plus jeunes – il est enseignant à la retraite. « Beaucoup de gens nous ont découvert pendant le confinement avec la règle des 10 kilomètres. Les petits nous aperçoivent et viennent ensuite avec leurs parents, constate-t-il. Mais il y a aussi des habitués. Le train existe depuis quarante ans, on en est à la deuxième ou troisième génération. »
Atelier d’amis
L’atelier, avec ses machines-outils professionnelles et son désordre organisé, tient à la fois de la halle industrielle bruissante d’activité et du repaire de bricoleur. Dans une débauche d’histoire et de technique ferroviaire, tracteurs et les wagons en tous genres y côtoient une draisine à main, invitation à se propulser à la seule force des bras, ou des trains en modèle réduit dissimulés sous des couvertures que les enfants peuvent chevaucher sur un circuit miniature plaine des Fiancés. À l’autre bout du « règne ferroviaire », quatre colosses d’acier, pour certains classés Monuments historiques figurent aussi à l’inventaire, dont la Chanteraines, une Decauville de 1920, en cours de remontage après avoir été « déshabillée » pour son contrôle technique décennal. Le bleu glorieusement taché de graisse, François, un « vaporiste distingué », comme le présente Didier Meurillon, y passera la journée. « On créé du nouveau matériel et on préserve du matériel ancien mais pas derrière une vitrine, explique Michel Goussu. On essaie de reproduire des techniques d’autrefois et même parfois de fabriquer certaines pièces qui n’existent plus ». Pour ce facteur d’orgue à la ville, il en va d’un train comme d’un instrument de musique. « Cet atelier d’amis » mêle tous les corps de métiers en « une mine de savoir » : employés de bureau, psychologue, tourneur-fraiseur, ajusteur, menuisier, cheminots, les uns formant les autres… « Il y a à la fois de la maintenance, de l’exploitation, de l’accueil du public, je retrouve un peu l’ambiance du boulot même si dans le chiffre d’affaires, il n’y a pas le même nombre de zéros ! », sourit Louis Perrier, pour sa part électricien dans une station de ski. Le jeune homme s’implique aussi bien à l’atelier que dans la planification des circulations : « Il vous organise des ballets de trains, à côté de cela le Bolchoï c’est du pipi de chat », plaisante Michel.
Balade zéro carbone
Au printemps, la livraison de deux locotracteurs électriques par le Département a constitué un saut dans le XXIe siècle. Voilà les « Socofer » diesel reléguées au rang de matériel patrimonial aux côtés des « Plymouth » et des antiques « vapeur ». Après des essais, les nouvelles locomotives, revêtues de leur livrée bleue, plus maniables, plus silencieuses et moins polluantes que les précédentes, ont été étrennées lors des journées portes ouvertes du CFC en mai, offrant aux voyageurs une balade zéro carbone inédite dans le parc. « On les conduit du bout des doigts et c’est une tout autre musique que les Socofer », souligne Michel Goussu, parmi les premiers conducteurs formés. Pendant ce temps, les travaux de rénovation des voies et des quais se poursuivent sous l’égide du Département. L’association pourra ainsi aborder les festivités de ses quarante ans, en 2024, sous son meilleur jour. Un comité planche déjà sur la liste des invités, avec des locomotives à vapeur issues d’associations amies et peut-être même de Belgique et d’Allemagne.
Pauline Vinatier
www.cfchanteraines.fr