L’objectif du Département est que tous les collèges bénéficient à terme d’une restauration de proximité, soit sur place, comme c’est déjà le cas dans une vingtaine d’établissements, soit en liaison froide, lorsque l’installation d’une cuisine n’est pas possible.
Par Nicolas Gomont
C’est l’heure de vérité pour la brigade, aux fourneaux depuis l’aube. Le plat principal, des penne sauce andalouse, va-t-il obtenir le succès escompté ? Quid des hors-d’œuvres supplémentés en chèvre frais et des crèmes dessert au chocolat ? Dans le self, les plateaux se garnissent au fil des présentoirs. Il se trouve même des gourmands pour négocier une rallonge de fromage râpé, à laquelle consent le chef soucieux de la diététique des assiettes. « Je cuisine pour ces collégiens comme je le ferais pour ma fille, qui est bien plus difficile, sourit Omar Sissoko, en poste au collège François-Furet à Antony, pionnier du retour à la production sur place. On ne peut plus reculer maintenant, les enfants y sont habitués et en redemandent ! » En témoigne la fréquentation croissante de l’établissement, qui affiche des taux records de demi-pensionnaires : 90 % chez les 6e et jusqu’à 40 % chez les 3e plus autonomes. « Avec la production sur place, la cantine vient pleinement remplir son rôle d’éducation au goût, souligne la principale Aude Rougier-Canniccioni, déjà en place au moment de l’expérimentation il y a trois ans. Que le déjeuner soit un moment de partage, autour de bonnes choses, est d’autant plus crucial que c’est la seule vraie pause dans la journée d’un collégien. »
CUISINE EN MUSIQUE
Au nombre de sept, les agents d’Elior, prestataire du Département au côté de Sodexo dans 88 collèges, ont ici une mission délicate : tenir une moyenne quotidienne de 375 repas. Et le service en continu ne doit pas excéder 13h30, au risque de retarder le retour en classe. « Nous comptons un grand nombre de demi-pensionnaires, précise la principale. L’implantation d’une cuisine de production a permis de repenser le réfectoire, avec un remplissage optimisé et apaisé. Les élèves mangent bien et ne sont pas pressés de terminer. » La raison de cet engouement est à chercher dans le secret des cuisines, là où tout se joue… ou presque. C’est que les « commissions menu » toutes les six semaines importent aux yeux du chef avide de retours, qui siège avec l’infirmière et deux représentants, un des parents, un des élèves. « C’est l’occasion de faire remonter les remarques de mes camarades, sur l’organisation, la qualité des repas…, explique Augustin Tournier, référent des collégiens. Elles ont déjà permis d’instaurer un plat végétarien une fois par semaine. » Il n’est pas rare que les enseignants ajoutent à cette mécanique « leur grain de sel ». Comme lors de la « Semaine des langues » par exemple, où ils y vont de leurs spécialités ibériques ou britanniques, selon.
LA QUALITÉ GUSTATIVE QUI S’AMÉLIORE, C’EST MOINS DE GASPILLAGE À L’ARRIVÉE.
SÉCURITÉ ALIMENTAIRE
Quand il ne concocte pas un yassa au poulet ou un thiéboudiène, ragoût à base de riz cassé aux légumes et au poisson, Omar Sissoko ourdit des astuces pour faire aimer les légumes verts, riches en fibres et en minéraux essentiels. « Au four, ma cuisson vapeur a tendance à les affadir, observe celui qui est aussi un fin connaisseur de la gastronomie brésilienne. C’est pourquoi je lui préfère la sauteuse, où je les fais revenir au beurre pour leur donner du goût. » Il en va ainsi de la julienne de carottes et de petits pois en sachet, qu’il saupoudre à l’instinct, sûr de son art, d’épices subtilement dosées : herbes de Provence, origan, curry, thym, gingembre… Prenant son mal en patience, il scrute comme le lait sur le feu la mixture compoter et délaye le fonds de bouillon, poivré et salé avec modération. Même dans cet univers insolite, où le plus commun des ustensiles ou des robots de cuisine est atteint de gigantisme, l’arrivée soudaine d’une conserve géante sur le plan de travail prête à sourire. Au préalable, une désinfection du couvercle vient écarter tout risque bactériologique. Après ouverture, une louchée de concentré de tomates est incorporée sans attendre. Il s’agit de limiter le temps de séjour à l’air libre, précaution observée strictement avec les produits frais. Le fond de boîte, au nom de la lutte contre le gaspillage, est aussitôt récupéré et la cellophane, soigneusement étiquetée en date du jour. La traçabilité est poussée au plus loin : les emballages et leur numéro de lot sont ainsi remisés jusqu’à sept jours, de même que les repas témoins, échantillons précieux en cas de contamination.
MOINS DE GASPILLAGE
Cuisiner en gros n’empêchant pas de servir au détail, l’apport protidique – prenons les lardons blanchis avec des oignons – peut être proposé à part selon les goûts et les convictions de chacun. À l’image des coquillettes de grande marque, aux blés 100 % français, de bons produits se retrouvent ainsi dans l’assiette, pour des plats sans fioriture, « comme à la maison ». « La qualité gustative qui s’améliore, ce sont moins d’aliments qui partent à la poubelle, et donc moins de gaspillage, souligne Nathalie Léandri, vice-présidente chargée de l’éducation. On met en place ce système dans tous nos nouveaux collèges et partout où cela est possible. » Au four et au moulin, sans une minute de répit, Omar Sissoko veille pour les collégiens à leur apport journalier, jaugé en grammage, non en calories. « Il est aussi important de laisser du choix pour qu’ils se nourrissent bien en se faisant plaisir », souligne-t-il. Suivant ses consignes à la lettre, ses collègues apprêtent les verrines sans rien laisser au hasard. Avec les adolescents, on ne mégote pas sur la présentation ! Idem pour les yaourts, avec la date de péremption (J-5 maximum) bien mise en évidence sur les étagères, les ingrédients sont disposés de façon à les identifier au premier coup d’œil.
PRODUITS BIO ET LOCAUX
Une facilité accordée aux élèves allergiques, invités à décortiquer la grille des repas publiée d’une semaine sur l’autre sur l’ENT (Environnement numérique de travail, Ndlr), ainsi que la liste des principaux allergènes par plat apposée à l’entrée. « Pour les élèves les plus sensibles, nous stockons dans un frigo à part leurs paniers-repas maison », note la principale. Les autres, qui resteraient sur leur faim peuvent recourir à une ultime option : en provenance d’une boulangerie de quartier, les baguettes tradition, tranchées à la dernière minute pour ne pas rassir, se transforment en un tour de main en sandwichs. Obéissant à un cahier des charges départemental exigeant, les commandes opérées par le chef auprès de la centrale d’achat Pomona respectent un quota plancher de produits bio et locaux (respectivement 1/4 et 1/3). « La viande provient exclusivement de France, l’huile de palme est prohibée, même pour les fonds de tarte », précise Omar Sissoko, tenu d’approvisionner le garde-manger fort de quatre chambres froides. Chaque lundi et vendredi, dès réception des palettes de surgelés, réduits au strict minimum, s’ensuit un contrôle de conformité « exigé par Elior ». Objet d’un rapport sur tablette numérique, le contrôle des températures constitue, à la moindre inquiétude, un indice suffisant pour tout renvoyer à l’expéditeur. Paré à l’imprévu, Omar Sissoko qui a du métier, prévoit toujours un supplément de produits secs dans le cas où la commande ne viendrait pas. Agrémentés d’une sauce, riz et pâtes al dente feront toujours les affaires des « commensaux », les professeurs et personnels, de retour comme les élèves dans leur réfectoire dédié.