Par forte pluie, la montée des eaux, inexorable, immerge jusqu’à la plateforme d’inspection, remplissant les 22 mètres de profondeur du bassin. CD92/Willy Labre
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DANS L’ABYSSE INSOUPÇONNÉ D’ANTONY

Sujet à des inondations vouées à s’intensifier avec les aléas climatiques, le bassin versant de la Bièvre est maintenant protégé par un rempart tampon appelé « bassin d’orage ».

Par Nicolas Gomont

 

 

Matinée d’inspection oblige, la trémie et l’étroite crinoline, béantes, donnent droit sur le cœur de la terre. Il y fait sombre, s’y dégage le remugle d’une bonne cave et y faire tomber un objet, même par inadvertance, n’est pas le plus indiqué pour savoir jusqu’où l’échelle peut bien s’enfoncer… « Sous nos pieds, on trouve un grand fût de 22 mètres de profondeur sur 17 mètres de diamètre, explique Julien Veyrières, chargé d’opération à la direction de l’Eau au Département. Terminé cet été, ce bassin de stockage d’eaux pluviales est monté, puis redescendu en charge. Un audit géotechnique s’impose pour déterminer si rien n’a bougé. » Trois mètres plus bas, juste sous le parking de la rue du Chemin-de-Fer, à Antony, les contrôleurs descendus sur la vertigineuse passerelle circulaire scrutent l’anomalie. « Spontanément, on pense à l’étanchéité d’une cuve mais le poids de l’eau n’est pas neutre sur la structure… » Après inspection, la liste se réduit à une inoffensive traînée calcique, sur les 53 mètres de circonférence passés au crible… Certifié conforme, la citerne peut encaisser les efforts de poussée de l’eau, à plein, aussi bien que ceux du terrain, à vide. Dès février 2023 ont eu lieu les premiers remuements de terre pour ce projet réalisé en à peine vingt mois. Au vu du volume à excaver, environ 5 000 m3, le risque était de voir le fossé à peine évidé s’effondrer sur lui-même. « Alors, si ce n’est pour la ceinture haute, ouvrage plus classique de génie civil, nous avons opéré selon le principe de ”passes alternées”. » Avec cette technique, pas de trou préalable, pas de coffrage non plus pour les murs : le moule a été la terre elle-même. « Une pelleteuse est venue creuser, section par section, sur 50 centimètres de large, les parois ensuite remplies de bentonite (une roche argileuse d’origine volcanique, Ndlr). Une fois remplacé par le béton, il ne restait plus qu’à creuser l’intérieur du bassin. »

CE TOBOGGAN DE 49 MÈTRES, TERMINÉ PAR UN VORTEX, A DONNÉ LIEU À UN GROS ŒUVRE DIGNE D’UNE MINE DE FOND.

ÉVITER LES REJETS POLLUANTS

La conception de l’ouvrage, littéralement façonné par la terre avec son aspect granuleux, a été dictée par la puissance d’un autre élément naturel : l’eau… de pluie, en l’espèce. « Si Antony n’est pas directement menacé par une crue de la Seine, nous ne sommes pas à l’abri de violents orages, capables de faire dévaler des torrents du haut du plateau vers le fond de la vallée », rappelle le maire de la commune, Jean-Yves Sénant. Avec la récurrence d’inondations en amont et en aval du pont de la SCNF – en 2008, un orage avait causé d’importants dégâts au collège Descartes – l’enjeu pour le Département, compétent en matière d’assainissement, était d’ajuster son réseau de la RD 920 à ces épisodes, certes exceptionnels mais amenés à s’intensifier avec le changement climatique. Zone la plus critique du bassin versant de la Bièvre, le carrefour de l’avenue de la Division-Leclerc et des rues du Chemin-de-Fer et de l’Avenir – un ancien bois – lui a fourni l’opportunité foncière. Hypothèses un temps examinées, un « bassin tunnel » sous la départementale et un bassin jumeau sous le parking du conservatoire, ont été abandonnées au profit de ce stockage unique de 4 900 m3, dimensionné pour une pluie décennale. « Ce sont là des infrastructures primordiales dans le cadre de notre politique départementale de l’eau, adoptée en 2022, qui est partie intégrante de notre engagement pour le développement durable de notre territoire, souligne Georges Siffredi, le président du Département qui a investi 10,6 M€ dans le projet. Cette résorption du risque de débordement des réseaux va ainsi permettre d’éviter les rejets polluants dans les milieux naturels, et en particulier dans la Bièvre, afin de protéger la faune et la flore locales. »

 

L’ouvrage a été inauguré le 30 janvier par Georges Siffredi, président du Département et Jean-Yves Sénant, maire d’Antony.© CD92/Willy Labre

INFRASTRUCTURE STRATÉGIQUE

Les mêmes objectifs avaient conduit la collectivité à aménager le bassin des Frères-Lumière, en 2008, sur le plateau en amont. En apparence simple, le fonctionnement de son cousin du Chemin-de-Fer s’assimile à un circuit de dérivation. Par l’action conjuguée d’une chambre de répartition, disposée « au chausse-pied » sous la voirie, et d’une galerie d’alimentation, dont la construction fut épique, le trop-plein bifurque de son cheminement initial, temporise dans le bassin, avant d’être restitué par pompage à la première accalmie. « Le doppler (la canalisation mère, Ndlr) est bardé de capteurs de niveau et de vitesse d’eau, détaille Ibrahima Diallo, technicien pour le cabinet Merlin, maître d’œuvre. Passés les 125 litres/seconde, le seuil maximal, on ouvre les vannes automatiquement. Une reprise en manuel est aussi possible depuis la supervision locale, s’il y a dysfonctionnement. » Immergé à même le bassin, non tant par commodité qu’à cause de la compacité du site, le local technique se branche à un générateur et actionne ses accumulateurs hydrauliques pour les vérins en cas de coupure de courant. Être en totale autonomie, nécessité pour cette infrastructure stratégique, ne l’empêche pas d’être en communication constante avec l’extérieur. « L’interface homme-machine de l’armoire de commande compile les données de dizaine de capteurs, données transmises à distance à la supervision Gaia, à Suresnes. » Depuis celle-ci, la Sevesc, délégataire du Département pour l’exploitation du service d’assainissement, surveille en direct le remplissage du bassin, le niveau de ventilation, ainsi que le débit qui déferle dans la fameuse galerie d’alimentation. Courbe pour mieux casser le flux, ce toboggan de 49 mètres terminé par un vortex a donné lieu à un gros œuvre digne d’une mine de fond. « Tout a été creusé à la pioche, des cerces métalliques et un soutènement en bois portant les voûtes, se rappelle Marion Kempf-Uy, directrice des travaux. Pour faciliter la translation, les déblais ont été évacués à bord de berlines sur rail ! Un savoir-faire devenu rare… » Côté maintenance, les échéances varient selon les équipements, de mensuelles pour l’électronique toujours capricieuse, à décennales pour la vantellerie et les pompes en redondance à même de drainer, s’il y a lieu, l’entièreté du bassin en l’espace de 24 heures. Pour cela, les eaux sont divisées par strates en fonction de leur pureté ; le fond sédimenté, avec ses éventuels hydrocarbures et ses particules diverses, est pompé vers les eaux usées pour traitement. Un même souci environnemental a porté le chantier. « Du producteur au lieu de stockage, les entrants (plastique, palettes…, Ndlr) comme les sortants (terre) ont été suivis de près, les déchets mis en décharge adaptée et le béton produit localement », précise Julien Veyrières. Au terme de la phase de test, commencée en septembre, il faudra encore attendre la formation des agents d’exploitation pour que le bassin entre en pleine capacité, « courant mars-avril ».

 

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