L’Espace plongée de la ville, avec son tube de vingt mètres de fond, ne connaît pas d’équivalent dans le sud de l’Île-de-France. Né d’un soutien du Département, cet équipement illustre le rôle majeur des « Contrats de développement Département-ville ».
Dans le remous des bulles, ce serait le calme plat. De la surface, cette palanquée ondoie avec la grâce d’un banc de squales, jusqu’à l’éjection détonante d’un ballon fluorescent. Plus de peur que de mal, « le parachute de palier indique au directeur de plongée qu’elle amorce sa remontée », murmure un connaisseur. Pourtant, aucune marée n’est attendue, nul zodiac à l’horizon : plus de deux cents kilomètres (ou 108 milles marins) séparent ce site réputé de plongée de la côte la plus proche. Laquelle va chercher à Dieppe ou le Havre, c’est selon… Et s’il y avait encore un doute : « En mer, on bâterait pavillon alpha, un drapeau blanc et bleu, proscrivant toute navigation alentour. » Une quarantaine de passionnés a ainsi pris sa soirée pour s’immerger dans la fosse d’Antony, pendant du bassin Lionel-Terray, rouverte en mai. Longtemps, il leur aura fallu, avant son avènement en 2018, mettre cap au sud, vers sa cousine de Chartres – sa fermeture a, depuis, inversé le flux – ou au nord, vers Villeneuve-la-Garenne. Président d’Antony Subaquatique, membre du quartet associatif en « résidence » à la fosse, Brice Fiume fait salle comble : « Le forum a été un réel succès cette année ; et la fosse n’y est pas pour rien ! Auparavant, nous plongions à Lionel-Terray, donc dans trois mètres d’eau. Pas l’idéal, quand on doit simuler des assistances à vingt mètres de fond… » Ayant fait l’impasse sur le certificat – la plongée est un sport à « risques maîtrisés » – quelques candidats au grand plongeon passent cette fois-là « en mode baptême ».

LESTÉ AU PLOMB
Pour eux, l’exploration groupée n’excédera pas six mètres, « la réglementation fédérale étant claire sur le sujet. » Les plus calés (niveau 2 et 3) appréhenderont pour leur part l’autonomie, sans pouvoir s’affranchir des paliers, sculptant jusqu’à l’architecture de ce bassin en escalier (3 m ; 6 m ; 12 m) qui achève sa descente aux abysses dans un tube de vingt mètres par six. « Sa présence, si elle exige des encadrants plus de rigueur, permet d’offrir d’autres perspectives à nos adhérents, explique Brice Fiume. Affiliés à la fédération (FFESSM), nous sommes habilités à valider plusieurs niveaux (quatre en vigueur, dont deux d’initiateur et deux brevets fédéraux, décernés à vie, NDLR), permettant même aux débutants d’être confirmés le jour J. » Et, comme si la bouteille ne suffisait pas (15 kg), c’est lesté de 2 à 7 kilos de plomb, en fonction de sa morphologie, que l’on atteint la plénitude de cette passion. Y aurait-il quelque chose de l’attrait du gouffre dans cette quête, enivré d’oxygène, vers le cœur de la terre ? Mickaël Maubert, « N3 » en prépa N4 – en somme, un plongeur confirmé – y a trouvé l’exorcisme contre le stress. « La plongée, c’est l’anti-sport, une poésie zen… Il n’y a rien de tel que cette sensation d’apesanteur, que d’atteindre ce point limite à partir duquel la gravité se trouve inversée et le corps happé par le fond… dit-il. Et puis, le “bleu”, ce n’est pas notre monde. Cela revient à aller dans l’espace, comme lui un habitat hostile, au demeurant moins bien connu ! » Au rang des spots, la Polynésie n’est pas, à l’en croire, en reste, ou plus près de nous, l’Île des Embiez (Var), les Calanques, et les cimetières de guerre. Comme au large de Marseille, où Brice Fiume a inspecté un Messerschmitt. Comme à ras Mohammed (à la pointe du Sinaï), où Mickaël, tel Cousteau, a découvert l’épave du SS Thistlegorm (cargo britannique coulé par l’aviation nazie en 1941, NDLR).
LE “BLEU”, CE N’EST PAS NOTRE MONDE, CELA REVIENT À ALLER DANS L’ESPACE

LANGUE DES SIGNES
Le plaisir de l’urbex, même en mer, n’est pas celui de Stéphanie, trop sensible à la « présence des drames ». Non moins que ses acolytes, envoûtée sur le plan sensoriel, la « N4 » et guide de palanquée ne se lassera jamais de scruter les fabuleux peuples de l’océan. « En mer Rouge, près du port de Safaga (Égypte), vous pouvez vous attarder comme cela une heure sur un mètre carré. Surtout à la nuit tombée, tellement cela grouille, d’alevins, de microbiologie… », explique-t-elle. Pour un tel privilège, un bon niveau est, à ses dires, requis, et à travers lui, la faculté à se stabiliser au sein d’écosystèmes aussi fragiles que les coraux. Ainsi Antony Subaquatique se met-il en devoir de dispenser les bonnes pratiques, comme de parer les lacunes théoriques, par des cours de biologie sous-marine (objet de diplômes fédéraux, NDLR). Sitôt qu’ils les auront en vue, viendra le désir de nommer ces espèces foisonnantes et, partant, de connaître les signes idoines pour les dire. De même que les règles les plus élémentaires, la langue subaquatique occupe sa part de l’enseignement théorique et celle-ci, déclinée en idiomes, n’est pas une langue morte ! Révolu a contrario, le temps des chronos Submariner, flanquées au poignet d’un « profondimètre » analogique (instrument de mesure de la pression de l’eau). L’heure est venue des « ordinateurs de plongée », plus ou moins sophistiqués, « dont les plus drastiques vont suggérer des paliers plus sécuritaires. » Fort de tout son matériel, l’Espace plongée s’ouvre, au-delà de la « randonnée palmée », à la plongée technique. C’est vrai aujourd’hui des spécialisations au nitrox (mélange enrichi en oxygène), à l’apnée, au scaphandre, à la photo sous-marine, et peut-être demain, de la plongée de nuit. Une relation addictive à l’eau, jusqu’à « l’ivresse des profondeurs »…
Nicolas Gomont