Entamée fin mai, la pose de la pergola du Belvédère constitue un tournant dans le chantier. CD92/Olivier Ravoire
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LA ROSERAIE OU LE RÉVEIL D'UNE BELLE ENDORMIE

À Saint-Cloud, le musée départemental d’art et de civilisation consacré au Grand Siècle prend corps. Étape par étape, la renaissance de la caserne Sully révèle les grandes ambitions du projet architectural signé Rudy Ricciotti.

Par Nicolas Gaumont

 

 

Au temps de la croissance lente des forêts, celui de Le Nôtre, père du Domaine national de Saint-Cloud voisin, qu’aurait-on dit en voyant ces trente-six arbres s’élever du jour au lendemain, telle une graine magique, à six mètres dans le ciel du musée du Grand Siècle ? Que ces artefacts, importés en trois jours d’une usine de Valence (France), furent transplantés ; mais là encore, de quelle manière ! Moulés dans un béton blanc fibré ultra-performant, la pose de ces géants ceinturant le Belvédère – seule construction neuve du musée – marque un tournant sur un chantier qui progresse à vue d’œil. Qui disait grande première mondiale, disait procédés encore jamais mis en œuvre par le constructeur Fayat. À l’image de son « retourneur de poteaux », conçu spécialement. À mesure que troncs et houppiers, confiés à la main ferme d’un grutier, gagnent leur embase respective, les péristyles inspirés du Petit Trianon amènent fraîcheur et volupté au milieu du gros œuvre. Une telle prouesse est réitérée après chaque livraison, échelonnée depuis la fin mai.

 

Stockés, ces troncs en béton blanc attendent d’être grutés sur leur embase respective. Un houppier viendra ensuite les coiffer.© CD92/Olivier Ravoire

UN MUSÉE DE CIVILISATION

« On ne soupçonne pas les heures et les heures d’études et de modélisation numérique que les corolles ont réclamé, explique Rudy Ricciotti, lauréat du concours d’architecture en 2022. Comme on effleure à peine les efforts colossaux que leur silhouette maigre et féminine parvient à encaisser. Derrière ce qui fait sa signature, l’idée n’était pas de fabriquer de l’exubérance pour le Belvédère mais d’avoir de la dignité et de la tenue à côté du Charles-X (la caserne des gardes du corps du Roi, devant héberger un cabinet des collectionneurs en plus des collections permanentes, Ndlr), pur produit du XIXe siècle à l’écriture sobre et rigoureuse. » Il fallait bien cet attribut pour le moins exotique, conforme aux attirances du Grand Siècle, pour symboliser la modernité du second musée à naître de la Vallée de la Culture des Hauts-de-Seine. En 2027, ce lieu privilégié en front de Seine, ancien domaine royal rattaché jusqu’en 1825 au château de Saint-Cloud, sera bien plus qu’une vitrine de l’art du XVIIe siècle français (période allant d’Henri IV à la Régence). Conçu à la manière d’un musée de civilisation, le « MGS » est la pièce manquante d’un puzzle chronologique, qu’esquissent sans l’achever le musée national du Moyen-Âge – musée de Cluny (Paris) et son pendant, le musée national de la Renaissance (Écouen). « Le musée du Grand Siècle est le dernier grand projet de mon prédécesseur, Patrick Devedjian, qu’il nous appartient de mener à son terme, explique Georges Siffredi, l’actuel président du Département, qui y a investi 103 M€. Je suis persuadé que ce choix architectural, audacieux et respectueux du site, est à la hauteur de l’idée qu’il se faisait de ce projet hors norme : ouvert, généreux, lumineux. »

 

DANS SON JUS DES ANNÉES 1850, L’ANGLE DE CE BÂTIMENT EN L ET SON ENFILADE DE CHAMBRÉES MILITAIRES SERA L’AUTRE « VUE » DU MUSÉE.

 

Comme flottant dans les airs, les cheminées du Charles-X reposent désormais sur l’endosquelette qui tient tout le bâtiment.© CD92/Olivier Ravoire

CANON DE LA MARINE

Une ambition et un écrin d’exception pour la donation au Département par Pierre Rosenberg, ancien président-directeur du Louvre, d’une collection de 3 500 dessins et de près de 690 tableaux datant du XVIe siècle au milieu du XXe. À deux ans de l’accrochage, la nature monumentale des plus belles pièces n’a pas attendu pour apposer sa marque sur la charpente centenaire. Le Charles-X a bénéficié de percées en toiture, mettant non seulement les gravats mais encore la construction du monte-charge à portée de grue. « L’ascenseur monumental desservira un sous-sol logistique, où l’on cheminera jusqu’à l’aire de livraison, explique Maxime Witczak, directeur des travaux. Tout est conçu pour que le visiteur ignore qu’en sous-sol, on déplace le genre de chefs-d’œuvre qui s’offrent au même moment à son regard. » Pour les vingt-trois salles du musée aussi, on a vu les choses en grand. Ainsi les hauteurs au plafond ont-elles été doublées ; conséquence logique de la suppression des premier et troisième étages. Outre la hauteur, le poids a aussi dicté ses exigences. « Les coefficients de sécurité, c’est 500 kg par m2. Les planchers bois ne savent pas reprendre cela. Il a même fallu renforcer le béton à l’emplacement désigné d’un canon de la marine. Désossé, le Charles-X repose désormais sur un endosquelette de structures IPN, partant des fondations pour soutenir les sept tonnes des cheminées en toiture ». Dans son jus des années 1850, l’angle de ce bâtiment en L avec son enfilade de chambrées militaires sera, avec le Belvédère, l’autre « vue » du musée. Là, s’enroulera l’escalier à double révolution que Rudy Ricciotti a imaginé suspendu dans le vide, desservant les 7 400 m2 d’espaces muséaux sans la moindre retenue intermédiaire. « On a augmenté les complexités depuis la présentation du projet en 2022, explique-t-il. L’acquis scientifique d’un tel projet, c’est comment par les mathématiques arriver à maîtriser davantage la matière, sa géométrie, avec pour voie de conséquence le processus de fabrication. »

 

La réfection du pavillon des Officiers s’est faite sous l’étroite surveillance d’un architecte des Bâtiments de France.© CD92/Olivier Ravoire

CLASSÉ MONUMENT HISTORIQUE

Maxime Witczak mesure le défi qui l’attend : « Ça n’a jamais été fait. Reste à se mettre d’accord avec le bureau de contrôle sur les coefficients de calcul, les éléments de torsion, de flexion…
Seule certitude, nous opterons pour un béton ultra-haute résistance pour cet ouvrage d’une grande finesse.
 » Achevée en trois mois, la galerie souterraine devant le relier au restant du musée mène déjà à l’auditorium et vers les espaces d’exposition temporaire au rez-de-chaussée du Belvédère. Sa cafétéria au 1er étage et son restaurant avec vue sur le parc, couronné par la résille des arbres, seront bientôt tout équipés ; les électriciens y veillent. Quant au pavillon des Officiers, qui abritera le centre de recherche Nicolas-Poussin et la bibliothèque Pierre-Rosenberg, il s’est métamorphosé du sol au plafond. Comme pour le Charles-X, corniches fendues et enduits effrités ont été repris et pour ce qui est de sa pierre de Saint-Maximin (Oise), des remplaçants de même composition chimique ont été mis en œuvre. Des « ardoises de même épaisseur » à la « couleur de reprise des châssis de fenêtre », ses extérieurs ont fait l’objet de contrôles réguliers de la part d’un architecte des Bâtiments de France. « Car si le pavillon, comme le Charles-X, ne sera classé Monument historique qu’à sa livraison, le parc de Saint-Cloud à proximité, lui, l’est déjà », souligne Maxime Witczak. Altéré par le froid et l’humidité, l’état d’origine de la caserne Sully, inoccupée dix ans avant son sauvetage par le Département, retrouve peu à peu sa stature et gagne une nouvelle destination muséale.

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