Au parc départemental des Chanteraines, à quelques battements d’ailes du corridor de la Seine, une riche avifaune, parfois rare, a élu domicile grâce à la mise en place de milieux et d’habitats adaptés.
À deux pas des promeneurs, la faune aviaire prend ici ses quartiers pour qui sait les observer. En cette matinée ensoleillée un grèbe s’est endormi huppe sous l’aile, sa quiétude à peine troublée par les luttes voisines. Appâté par une grosse carpe, un cormoran en chasse est lui-même poursuivi par un escadron de mouettes tout sauf rieuses, dont le message semble être : « Va pêcher ailleurs ! » « Ils sont tous très territoriaux mais finalement chacun trouve sa place », souligne Alain Ramon, référent en écologie pour les parcs du Département. Pendant ce temps, le bec empli de poisson frais, les sternes pierregarins survolent leurs petits en rase motte dans l’espoir de les voir enfin décoller. Bientôt ces grandes migratrices et leurs jeunes s’envoleront vers l’Afrique.

Avec ses 9,5 hectares d’étang, ce parc départemental à cheval entre Gennevilliers et Villeneuve-la-Garenne, est un havre pour les oiseaux. Il a été, en 2004, le premier des dix sites des Hauts-de-Seine labellisés « refuge LPO » par la Ligue de protection des oiseaux ; le partenariat prévoyant des actions de conservation et de sensibilisation. À l’époque l’étang abritait encore un lieu de baignade, fermé deux ans plus tard. « Il faut imaginer l’été jusqu’à 5 000 personnes sur cette plage ce qui posait des problèmes de sécurité et faisait fuir certains oiseaux. » Délimitée par des clôtures et des lignes d’eau, une zone naturelle protégée (ZNP) fait office de réserve ornithologique sans entraver les activités nautiques au centre de la pièce d’eau. Peu à peu les alentours de la plage de sable blanc se sont drapés d’une belle roselière. « Les milieux humides et aquatiques sont les plus fragiles et les plus impactés par les activités humaines, souligne Alain Ramon. À partir du moment où l’on a fermé la zone et amélioré les milieux, on a vu des espèces se poser puis commencer à nidifier parce qu’elles ont trouvé le calme, la nourriture et des habitats adaptés. » Ce tournant aux Chanteraines a coïncidé avec l’introduction par le Département dans ses espaces de nature d’une gestion différenciée alternant secteurs jardinés et secteurs plus « naturels » .

NICHE ÉCOLOGIQUE
Des nidifications marquantes attestent de ce renouveau favorisé par la main de l’homme. Le premier chapitre date de 2013 avec l’arrivée des sternes pierregarins sur les deux et bientôt quatre radeaux flottants de l’étang. « Il est nécessaire de les désherber régulièrement pour rétablir leur caractère minéral, explique le référent en écologie. Car de la même manière que vous ne ferez pas nicher une hirondelle dans un arbre, vous n’attirerez pas une sterne sur un radeau végétalisé. » De nos jours l’unique colonie de Petite couronne compte une vingtaine de couples sur les cent trente recensés en Île-de-France ! En 2024, autre année à marquer d’une pierre blanche, six blongios nains ont vu le jour aux Chanteraines après une longue éclipse, réapparition confirmée par deux nouvelles couvées ce printemps. D’une grande discrétion, ce petit héron tresse son nid entre les roseaux, à la différence des poules d’eau et grèbes installés sur les bords de l’eau pour se mettre à l’abri des prédateurs – les renards sont en effet présents dans les parcs et les Chanteraines en abriteraient une quinzaine… Les passereaux comme la rousserole effarvatte et la fauvette des marais, de bons chanteurs, affectionnent tout autant cet écrin de phragmites. Chaque automne, les cycles de reproduction passés, voit le retour du faucardage consistant à éliminer des ligneux pour maintenir cette roselière dense de plusieurs milliers de mètres carrés, repérée de loin par les oiseaux en survol. En 2025, « l’événement » s’est cette fois déplacé vers les lisières forestières de l’étang, où un couple de hiboux moyens-ducs, reconnaissables à leur masque blanc et à leurs grandes aigrettes, a été entrevu avec ses trois petits au plumage ébouriffé. Un groupe de marcheurs était revenu de sa balade persuadé d’avoir « vu des chouettes ». « Tout le monde a été surpris de voir s’installer cette espèce au milieu d’une trame urbaine aussi dense, c’était extraordinaire, s’émeut Alain Ramon. On a trouvé des pelotes de réjection et les petits ont grandi rapidement, ce qui signifie qu’ils ont trouvé ce dont ils avaient besoin dans les prairies alentours. On espère à présent les revoir l’année prochaine. » Autour de l’étang, les herbes hautes ont remplacé en partie les pelouses. Ces prairies, associées aux milieux aquatiques et forestiers, forment des strates essentielles au rétablissement de l’écosystème et d’une chaîne alimentaire complète : insectes, amphibiens, reptiles, chauves-souris et autres mammifères… « Nos parcs combinent des pelouses pour le public et des prairies d’aspect bucolique, où viennent se nourrir les oiseaux granivores ou insectivores nichant au bord de l’eau ou dans les bosquets. La strate arborée accueille des chauves-souris, des rapaces et des oiseaux de milieu plus fermés, précise Alain Ramon. L’enjeu est d’adosser ces strates entre elles et de ne surtout pas créer de vide. » Des nichoirs ont aussi été installés par endroits, palliant l’absence de vieux arbres liée à des sols de piètre qualité – ici d’anciennes gravières remblayées lors de la création du parc, des années 70 aux années 90. Évidemment, en région parisienne, il ne s’agit pas de « faire le parc de la Vanoise ». « Il faut d’abord accueillir une trame assez commune, à la fois végétale et animale. C’est à partir de ce cortège banal que l’on va créer les conditions propices à l’arrivée d’espèces plus particulières. » Aux Chanteraines, sur une cinquantaine d’espèces d’oiseaux répertoriées, une vingtaine présentent des enjeux de conservation selon les classements régionaux, nationaux et européens (directives oiseaux) et sont dites patrimoniales. Parmi elles, des espèces naguère courantes comme le moineau domestique, « vulnérable » sur la liste rouge régionale et qui ne « niche plus aux Chanteraines ».
LE PARC A ÉTÉ, EN 2004, LE PREMIER DES DIX SITES DÉPARTEMENTAUX LABELLISÉS « REFUGE LPO » PAR LA LIGUE DE PROTECTION DES OISEAUX


OISEAUX RARES
Réalisés tous les cinq ans par la LPO, des inventaires permettent au Département de connaître l’évolution des populations et d’ajuster sa gestion en cas de désordres – la création d’une allée pouvant, à elle seule, effaroucher l’un de ces « oiseaux rares ».
L’« espèce humaine » profite quant à elle de vues sur l’étang depuis les quatre postes du parcours ornithologique créé en 2016, équipé de panneaux pédagogiques. « Les oiseaux ne sont pas dupes, ils ont une très bonne ouïe et avant même que vous n’arriviez, ils vous ont entendus », prévient Alain Cléty. Bénévole à la LPO, cet ancien Gennevillois qui a vu naître le parc assure tous les mois des visites commentées. « Certains familiers des Chanteraines m’expliquent qu’ils avaient l’habitude « d’aller tout droit » le long des allées et qu’ils sont émerveillés de découvrir toute cette vie. » À ses côtés, on apprend à distinguer la foulque macroule de la gallinule poule-d’eau, une affaire de couleur de bec, le grèbe huppé du grèbe castagneux, la sterne pierregarin ou « hirondelle de mer » de sa cousine la mouette, moins élancée et encapuchonnée de brun sombre. Du printemps, où s’expose la vie de famille des oiseaux, à l’hiver qui donne une chance d’apercevoir des migrateurs descendus de Scandinavie, comme le tarin des aulnes, chaque saison vaut selon lui le détour.
HERBIERS ET FRAYÈRES
Afin que ce spectacle gagne encore en richesse et en beauté, les efforts devront se poursuivre « en profondeur ». En aménageant le fond de ce plan d’eau artificiel, « on pourrait voir se développer des hydrophytes, comme le nénuphar ou le potamot, et, avec eux, des zones de frayères, sources de poisson fourrage pour les oiseaux carnassiers », espère Alain Ramon. Parmi ceux-ci, le sélectif butor étoilé aperçu cet hiver, ou plus raisonnablement, le héron cendré, autre échassier habitué du site. « Le parc présente un vrai potentiel pour accueillir une héronnière, grâce à ses arbres situés à proximité de l’eau. Ces oiseaux très grands s’installent le plus souvent sur une cime. » Sur le modèle des radeaux à sternes, l’idée a aussi émergé d’habitats pour le martin-pêcheur, aperçu chassant sur l’étang. « Cet oiseau recherche des talus, des buttes, dans lesquelles il aménage une sorte de terrier. Si l’on créait demain des micro-falaises autour de l’étang, cela pourrait être propice à la nidification de cette espèce, espère le référent en écologie. Pour nous, avoir une espèce qui niche est un aboutissement ! » Même si « rien n’est jamais acquis », les résultats obtenus depuis la signature de la convention LPO initiale il y a vingt ans attestent du chemin parcouru pour inciter la faune indigène de l’Île-de-France à se réapproprier un territoire qui est aussi le sien.
Pauline Vinatier
*À l’occasion de la semaine du développement durable, samedi 4 octobre, la ferme pédagogique des Chanteraines, propose des ateliers en accès libre.
