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DES MÉDIATEURS AU CŒUR DE COLLÈGES APAISÉS

Le Département déploie en milieu scolaire des médiateurs éducatifs formés à la résolution des conflits et à la prévention des risques.

Par Nicolas Gomont

 

Pris sur le fait, Yanis* et Noah pensaient « s’attraper gentiment » au nez et à la barbe du surveillant. « Qu’on se le dise, les garçons, même une « accolade » ne se fait pas “sans consentement”, intervient Myriam Robin. Le message passé, la médiatrice s’enquiert d’Inès, élève gentille et mature, autrefois « un peu isolée ». « J’ai veillé à ce qu’elle s’intègre, il n’y a plus de souci à se faire pour elle. » Préoccupé par son affectation au lycée, Romuald se présente de lui-même. « Je veux bien t’expliquer les démarches mais, pour le reste, il me faut te renvoyer à la direction. » Salomé a-t-elle déjà sollicité ce visage avenant et familier, en qui chacun semble trouver du secours et des réponses ? L’adolescente acquiesce et évoque spontanément la « T.S. » (tentative de suicide, Ndlr) de sa meilleure amie, circonstance rare et tragique, objet d’une première rencontre. « Qu’on se rassure, sa copine se porte bien aujourd’hui. Ses camarades ont donné l’alerte, un changement de classe a été proposé. » À Georges-Seurat (Courbevoie), Mme Robin profite ainsi de la récré pour garder un œil sur ses six cents protégés. « Quel que soit le problème – un coup de déprime, des problèmes à la maison… -, je fais parler l’expérience, dit-elle. Vingt-et-un ans que j’exerce ce métier. »

 

Dans la cour et jusqu’au portail, les médiateurs tâchent de se rendre le plus visibles et le moins intimidants possible.© CD92/Olivier Ravoire

PARER AUX URGENCES

Depuis près de 30 ans, le Département confie aux médiateurs éducatifs le soin d’instaurer un climat scolaire serein au sein de ses collèges publics volontaires. Ni psychologues, ni infirmiers, à bien distinguer des assistants d’éducation (les surveillants, Ndlr), ces professionnels prônent le dialogue en vue de résoudre les conflits et prévenir les conduites à risques, en offrant aux élèves les repères qui leur font parfois défaut. Leur vigilance porte sur les tourments typiques de l’adolescence et intègre les phénomènes de société touchant particulièrement la tranche des 11-15 ans. « La capitalisation de leurs savoirs (une formation annuelle de dix jours, Ndlr) et de leur expérience de terrain les amène à avoir une expertise sur ces problématiques émergentes, explique Christelle Geslin, cheffe du service prévention au Département. On parle aujourd’hui d’égalité filles-garçons, de risque prostitutionnel ou encore de cyberharcèlement. » En cette rentrée, une petite centaine d’agents, répartis dans quatre-vingt-deux établissements, couvrent les zones d’éducation prioritaire et bien au-delà. À l’instar de ses collègues, Mme Robin officie 41 h 30 heures par semaine et reçoit tant sur rendez-vous qu’à l’improviste pour parer à toute urgence. Avec ses affiches contre l’abus des écrans, son tableau « zen » japonisant et sa Marianne aux airs intraitables, son bureau en dit long sur la teneur et le dessein de ses consultations.

ÉLÈVES-AMBASSADEURS

Ce matin-là, Lili, secouée par la lecture d’un manga pour adulte, lui fait part de ses cauchemars et avoue avoir du mal à se concentrer en classe. « Tu es tombée sur le mauvais livre, ce n’est pas de ta faute, il n’aurait jamais dû se trouver au rayon jeunesse, la rassérène Myriam Robin. Pour ton âge, pour n’importe qui d’ailleurs, les faits divers repris dans les livres peuvent occasionner des traumatismes. » En l’absence de la psychologue du collège – présente deux jours et demi par semaine –, l’adolescente se verra proposer un suivi d’abord régulier, appuyé d’un renvoi vers l’Espace Santé Jeunes ou la Maison des Adolescents, gratuits et ouverts à tous. « Une première évaluation y sera faite et s’il y a lieu, une consultation en psychologie lui sera prescrite. En attendant, avec son accord, je vais passer un coup de fil à sa maman. » Interlocuteurs clefs, les parents sont reçus sur rendez-vous, et chaque réunion de rentrée est l’occasion de leur présenter le principe de la médiation, « pour gagner en visibilité ». Leur mobilisation sur les enjeux de harcèlement conditionnera le passage de Georges-Seurat au niveau 3 du programme pHARe (Programme de lutte contre le harcèlement à l’école) de l’Éducation nationale. Également labellisé Respect Zone par l’association du même nom, le collège a décidément fait du (cyber-)harcèlement son cheval de bataille. « Pour que certaines victimes osent se livrer, il suffit parfois d’un regard appuyé et de demander tout bonnement : “Ça va ?”, explique Mme Robin. Pour d’autres, il y a cette peur tenace, cette culpabilité, et il est parfois plus facile de libérer la parole entre jeunes du même âge. » De là sont nés cet « arbre à témoignages » dans le hall, mêlant encouragements et appels à l’aide, et ce réseau de quarante élèves-ambassadeurs, dont Taym, 14 ans, a bénéficié avant de s’engager à son tour.

 

LEUR VIGILANCE PORTE SUR LES TOURMENTS TYPIQUES DE L’ADOLESCENCE ET LES PHÉNOMÈNES DE SOCIÉTÉ TOUCHANT LES 11-15 ANS

THÉÂTRE-FORUM

« Le passage en 6e a été délicat pour moi, avec le déménagement, la difficulté à s’insérer dans une bande, sans compter une petite part de harcèlement, dit-il, évoquant des incidences sur ses résultats et son comportement en classe. En en parlant et en m’impliquant dans les instances, je m’en suis sorti, et maintenant, en 3e, je suis devenu référent d’un 6e qui traverse les mêmes problèmes. » Devenir ambassadeur ne s’improvise pas, et leur rôle ne consiste pas à jouer les justiciers, tant s’en faut. « Il s’agit d’apprendre à repérer les signaux, même faibles, comme l’isolement. Le but n’est jamais de se mettre en difficulté mais, sitôt l’élève identifié, de passer le relais aux adultes. » Que les jeunes harcelés le sachent, aucun phénomène de vengeance ne se met en place. Victime-témoins passifs-harceleur : la priorité est de briser ce schéma, alors que les ados traînent parfois ses effets jusqu’à l’âge adulte. En 2024-2025, une « expérience sociale » ayant vu les ambassadeurs soumettre à leurs camarades un cas d’école de harcèlement scolaire a amené des réactions contrastées. La sensibilisation devance pourtant leur entrée en 6e, par le biais d’un théâtre-forum à destination des CM2. « On soumet ce jeune public à des scènes de racket ou de harcèlement de rue, puis on initie une discussion pour les faire réfléchir, raconte Amélie, 14 ans, également ambassadrice. Je suis convaincue que notre présence en classe et dans les couloirs fait une vraie différence. Les élèves sont réceptifs et ne nous perçoivent pas comme des rapporteurs. »

 

Décrochage scolaire, harcèlement… face à un même motif, une même éthique mais un savoir-être propre à chaque médiateur éducatif.© CD92/Olivier Ravoire

QUALITÉS HUMAINES

Bien des similitudes rapprochent Georges-Seurat de Descartes à Antony. Là, en ce vendredi, l’impossible deuil amoureux de Gaëlle appelle une entrevue particulière, où plus que jamais, les réseaux sociaux endossent le mauvais rôle. « Sa rupture a été très médiatisée dans le collège, amplifiant l’acrimonie de certains commentaires, explique Thomas Delbo, le médiateur du collège. Dès que l’on touche à l’intime, les “guerriers du clavier” se déchaînent. L’effet de mimétisme produit bien des ravages. » Gaëlle se remémore-t-elle la « métaphore des trois tamis », empruntée à Socrate, pour l’aider à faire la part des choses ? « Ce sont des conseils qui m’apaisent, moi qui ai du mal à gérer ma colère, j’ai enfin un point de vue extérieur sur mon histoire, dit-elle. Au final, je me livre beaucoup à lui. » La confidentialité fait l’objet d’un accord tacite avec l’élève et n’excède pas un certain degré de gravité des faits rapportés. En cas de danger imminent pour l’intégrité physique ou psychologique, la loi impose un signalement pouvant prendre la forme d’une information préoccupante (IP) auprès du Service des solidarités territoriales (SST) de référence. « Sans mettre en péril la relation avec l’élève, il est de toute façon bon d’échanger avec la CPE ou l’infirmière, confie M. Delbo. À cet âge-là, ils partent parfois dans des affabulations incroyables et les encadrants détiennent souvent une version des faits plus proche de la réalité. » Le Département procède au recrutement des médiateurs sur la base d’un niveau licence. À les en croire, de bonnes connaissances sur la psychologie de l’enfant ne combleront jamais l’absence de qualités humaines ou, plus surprenant, d’une certaine acceptation de l’échec. « Il ne faut pas s’inscrire dans une démarche de sauveur. Cela peut être minant pour soi-même que d’en faire une affaire personnelle », insiste Thomas Delbo. Nombreux sont les élèves à attendre d’eux qu’ils intercèdent en leur faveur, punition à la clef. Selon la méthode Pikas des préoccupations partagées, l’horizon est pourtant tout autre, et repose sur le développement de l’empathie chez les auteurs d’harcèlement, en les impliquant, par exemple, dans la recherche d’une issue positive au conflit. « 90 % des cas se résolvent par ce biais », affirme le médiateur. Les exclusions sèches ne se pratiquent plus, de même que les renvois temporaires, « sauf si les parents n’adhérent pas au projet ». Une piste serait de les aménager en mesure de responsabilisation auprès du Club Ados Réussite de la ville, où des conseillers d’orientation et une psychopédagogue pourraient améliorer leur relation à l’autre et redonner sens à leur scolarité : « Cela demande une vraie culture d’établissement, mais notre coordinateur de territoire travaille là-dessus. »

*Les prénoms des élèves ont été modifiés

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