Médecin et humaniste, Youssef Tawk s’emploie depuis plus de trente ans à rendre à la montagne libanaise sa cédraie, le combat d’une vie. Un projet qui a reçu le soutien de l’association Amitiés Neuilly-Liban.
Les patriarches de la « forêt des cèdres de Dieu », près de Bécharré, forment, à 2 000 mètres d’altitude, la plus célèbre et la plus ancienne cédraie du Liban, jadis terrain de jeu du jeune Youssef. « Dans un petit pays sans beaucoup d’espaces naturels et pour un enfant de moins de dix ans comme je l’étais, une petite forêt, c’est déjà l’Amazonie ! » Puis ses études de médecine et la guerre civile l’éloignent du Liban. À son retour en 1990, son regard dessillé est frappé par l’aridité de ses montagnes natales ; il lui apparaît que le théâtre de ses aventures enfantines n’est « qu’un bosquet de quelques centaines d’arbres », reliquat d’une déforestation ancienne. Cette « cédraie pure » se montre en outre incapable de se régénérer car ses graines ne prennent pas dans le sol. « Comme dans les sociétés humaines la consanguinité leur est fatale. »
Depuis, le docteur Youssef, comme on l’appelle, se partage entre son métier d’urgentiste et la préservation de la nature, une autre urgence, inspiré par la cosmogonie de Khalil Gibran, poète universel et natif des lieux. Au sein d’un comité villageois, il recycle les déchets, promeut l’écotourisme et replante des cèdres pour les générations futures. « S’occuper des gens, aime-t-il à dire, c’est prendre soin de la nature à court terme, mais s’occuper de la nature, c’est prendre soin de l’humain à très long terme. » Le reboisement évite l’érosion des sols et favorise la reconstitution des nappes phréatiques dans cette montagne du nord du Liban, château d’eau de la région où de nombreux cours d’eau prennent leur source.
À l’époque, ce Don Quichotte arboricole joue les « trouble-fête » face aux bergers établis sur les pentes ; sa première campagne a d’ailleurs lieu sous la protection de l’armée. Il n’est pas non plus botaniste et doit mettre les mains dans la terre. « Au début, c’était décourageant, puis j’ai commencé à expérimenter des façons de labourer, de planter, d’arroser… De 5 % de réussite je suis parvenu à 95 %. » Entre temps, le Comité des Amis de la forêt des cèdres, dédié à la défense des cèdres millénaires, le rejoint dans ses plantations tandis que sa rencontre « providentielle » avec Désirée Sadek, autrice du conte à succès L’Enfant des cèdres, accélère la récolte de fonds et que des donateurs de la diaspora parrainent le projet.
S’OCCUPER DES GENS, C’EST PRENDRE SOIN DE LA NATURE À COURT TERME MAIS S’OCCUPER DE LA NATURE, C’EST PRENDRE SOIN DE L’HUMAIN À TRÈS LONG TERME.
REPEUPLER LA MONTAGNE
Le personnage n’est pas sans rappeler Élzéard Bouffier dans L’Homme qui plantait des arbres de Giono et il est bien L’Homme qui plantait des cèdres, aux yeux de son ami Laurent Sorcelle, auteur du livre éponyme et du documentaire La Bataille du cèdre ! Après avoir vu le film en 2018, Carlos Faddoul, président de l’association Amitiés-Neuilly Liban, œuvrant au renforcement des liens avec le pays du Cèdre, organise une projection et une collecte. S’ensuit la création du « bois de Neuilly » « sur une belle colline bien exposée ». À ce jour, plus de 100 000 jeunes arbres repeuplent la montagne piquetée de vert, futurs géants aux frondaisons tabulaires. « Nous en sommes à 500 ou 600 hectares, c’est énorme quand on sait que la forêt ancienne ne fait plus que 11 hectares. » Les terrains se raréfiant, il s’est déplacé à 2 800 mètres d’altitude où il réintroduit des cèdres et des genévriers, une essence de haute montagne. De nos jours, la crise économique, humanitaire, et la reprise des tensions régionales confirment que « le Liban est sur un volcan qui, à chaque décennie, entre en éruption », éternel recommencement remisant l’écologie au second plan sans entamer une persévérance aussi dure que le bois de l’emblème national. « Tant que je vivrai, et même si je dois le faire seul, je continuerai à protéger la nature. Il ne s’agit pas que de planter, il faut aussi que la beauté continue à exister quelque part. »