« Branché » en janvier, l’IRM Linac ne traite que le cancer de la prostate, pour commencer. CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga
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L’ONCOLOGIE LIVE DE L’IRM LINAC

Cet appareil de radiothérapie, encore rare en France, est une petite révolution à l’Institut Curie de Saint-Cloud où il a été inauguré. Le Département a contribué à son acquisition à hauteur d’un million d’euros, en vue de renforcer l’offre de soins d’excellence et de proximité.

 

 

En un jour maudit, Honoré* s’est vu diagnostiquer le cancer qui menace sa vie ; après quoi, passés le choc et le vertige, la médecine lui a présenté deux échappatoires possibles. À la chirurgie, éprouvée mais invasive, son conseil de la rue d’Ulm à Paris – le Pr C., « un homme de confiance » – préféra Unity, une solution neuve mais invisible (et pour cause) d’irradiation par photonthérapie. « Voilà une option plus simple et moins dangereuse, confie ce retraité, toujours très actif. Le traitement est administré en cinq séances environ, contre une vingtaine habituellement. Quant à la toxicité, elle est moindre sur le moment et dans le temps : pour moi, c’est une source d’espoir et de guérison… » Arme d’un type nouveau dans l’arsenal de l’Institut Curie, berceau historique de la radiothérapie, l’IRM Linac porte en elle une révolution thérapeutique de taille. Sur le site de Saint-Cloud, cet appareil unique en Île-de-France redonne le choix face au cancer de la prostate. Selon des études carcinologiques de référence, cette technologie équivaut en chances à une chirurgie autrement plus lourde de conséquences. Avec 60 000 cas par an, le premier des cancers masculins est à ce jour le seul à bénéficier de ce protocole innovant.

IMAGE DE HAUTE QUALITÉ

Le temps d’appréhender la machine, « nous ciblons prioritairement des tumeurs vis-à-vis desquelles nous avons du recul et une bonne connaissance ; et c’est le cas de la prostate, explique le Dr Pierre Graff-Cailleaud, chef du service radiologie. À terme, nous élargirons les indications à des cas plus complexes, comme celui du rein, jusqu’ici traité par voie chirurgicale ou par cryothérapie (mode de destruction par gélification des cellules cancéreuses, Ndlr). » L’ennemi tapi dans les surrénales, le colon, le sein ou le pancréas, ne tardera pas non plus à subir les rayons de son accélérateur de particules. « Concernant le foie, l’appareil a démontré son efficacité sur les métastases hépatiques. » La préférence du patient pour ce traitement est un préalable insuffisant ; entrent en ligne de compte le type, le stade et l’agressivité de la maladie. Nouvel espoir contre les cancers dits « localisés », prenant la forme d’une tumeur, l’IRM Linac Unity apporte une réelle plus-value par rapport au scanner en usage jusqu’à présent. Cette imagerie qui a le défaut d’être ionisante, impose d’élaborer le plan de traitement sur la base d’un cliché fixe, daté, sans pouvoir identifier une démarcation nette dans les « tissus mous », selon qu’ils sont sains ou cancéreux. « La haute qualité des images IRM le permet, et limite ainsi les risques d’irradiation des organes à risque et des tissus sains avoisinants », souligne le Dr Graff-Cailleaud. Aussi moins de séances s’avèrent-elles nécessaires, par rapport à la méthode conventionnelle. L’allongement de leur durée plafonne en revanche le nombre de patients, huit par jour environ, qu’ils soient issus de l’Institut Curie ou adressés par des hôpitaux de la région.

 

Grâce à la précision de l’IRM, les physiciennes de l’équipe médicale peuvent affiner la dose de radiation délivrée au patient.© CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga

VINGT ANNÉES DE RECHERCHES

Parmi les premiers profils retenus, Honoré a été convié fin mars à sa première radiothérapie Linac. À voir la lourde porte se refermer sur lui, on le croirait plutôt entré dans une salle des coffres en sous-sol. Isolant du magnétisme et des rayons, le blindage protège le pupitre de commandes, où l’on observe un haut niveau de vigilance. Sur les écrans, des coupes transversales et longitudinales retransmettent en temps réel la moindre variation de son anatomie, cernant jusqu’au flux sanguin et aux mouvements de l’appareil digestif. « En fournissant des images précises en continu, nous pouvons suivre les mouvements de la tumeur au cours de l’irradiation, insiste le Dr Graff-Cailleaud. De la sorte, l’accélérateur à particules peut s’interrompre automatiquement, au cas où la zone tumorale sortirait du champ à cause du déplacement d’un organe interne, par exemple. » Avec ce saut technologique, fruit de vingt années de recherches associant l’université néerlandaise d’Utrecht, à la pointe dans le domaine, le corps médical peut espérer distribuer 100 % d’une forte dose sur 100 % de la cible. Une équipe de sept professionnels, placés en astreinte, n’est pas de trop pour s’assurer du juste niveau de radiation, ainsi que du bon déroulé de la délivrance du traitement. Sur la base d’une proposition de l’ordinateur, médecin et physiciens se concertent pour valider, ou amender le détourage par défaut de la tumeur, voire de l’organe tout entier en cas de suspicion de micro-foyers.

 

Ce « fleuron technologique » a été inauguré le 31 mars en présence de Georges Siffredi, du Pr Steven Le Gouill, directeur de l’Institut Curie et du Pr Gilles Crehange, chef du département d’oncologie-radiothérapie.© CD92/Stéphanie Gutierrez-Ortéga

HYBRIDATION INÉDITE

« Beaucoup d’incertitudes, d’ordre à la fois technique et logiciel, se cumulent dans un pareil calcul, explique Marie Blanchet, physicienne médicale. Le degré de précision n’est peut-être pas au pixel mais à trois millimètres près ! » La délinéation réclame un bon quart d’heure de réglages, raison pour laquelle les séances durent en moyenne trois fois plus longtemps qu’à l’accoutumée. De l’autre côté du mur, trop fin pour étouffer les percussions de l’engin, Honoré voyage immobile, bercé au casque par le spleen d’une tout autre compil’ ; Léonard Cohen, en l’espèce. Du reste, les manipulateurs gardent l’écoute et l’informent régulièrement de l’avancement des opérations. L’IRM Linac n’est pas tout à fait un appareil de poche, comme en témoigne son installation étalée sur quatre mois, entre juin et septembre 2024. Pour mieux saisir son caractère révolutionnaire, il faut plonger dans la complexité de ses entrailles. « Tout repose sur cette hybridation inédite d’un accélérateur linéaire (auquel cette IRM est redevable du mot Linac, Ndlr) et d’une imagerie magnétique guidant en temps réel la radiothérapie, résume Raphaël Petazzoni, directeur commercial d’Elekta, son fabricant. L’intégration de ses deux appareils en un était un vrai défi, centré sur la cage de Faraday qui permet d’isoler les deux systèmes, sources de perturbations mutuelles. » Le jeu en valait la chandelle. Dans le cas de la prostate au stade intermédiaire, le taux de contrôle de la maladie s’établit entre 85 et 90 %. Elle est alors déclarée « hautement curable ».

MOINS DE SÉANCES SONT NÉCESSAIRES PAR RAPPORT À LA MÉTHODE CONVENTIONNELLE.

Le suivi au long court pendant au moins cinq ans est rythmé par une consultation tous les trois, puis tous les six mois, en vue de détecter d’éventuelles récidives et confirmer l’absence d’effets secondaires tardifs. Si une partie des lauriers revient aux progrès de la radiothérapie elle-même, en particulier la « stéréotaxie » à l’origine des rayons à haute intensité, l’IRM Linac Unity est en tout état de cause un grand pas pour la radiothérapie dite « adaptative ». Pour l’heure, la Sécurité sociale ne compense guère son surcoût : le patient est pris en charge à 100 %, l’Institut Curie prend potentiellement sur lui la différence. « Ce projet ambitieux repose ainsi sur des investissements financiers et humains lourds, remarque le Dr Graff-Cailleaud. Mais c’est un investissement consenti au service du patient. » Pour l’y aider, le Département a tenu à investir deux fois 500 000 €, soit un huitième du prix d’achat. « Si la santé relève de la responsabilité de l’État, elle ne saurait être déconnectée des exigences de solidarités, d’attractivité du territoire et de bien-être de nos concitoyens, explique le président Georges Siffredi. C’est pourquoi le Département est particulièrement fier d’avoir apporté sa pierre à l’édifice. » 

Nicolas Gomont

*Le prénom a été modifié.

 

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